C’est l’histoire d’un homme qui un jour part de chez lui et se prend un appartement en face de son ancien foyer. Un type en mode Bartleby, qui un jour n’en peut plus, sans trop savoir pourquoi, parce que la goutte, à force de ne fréquenter que la circonférence du vase, s’invente des débordements, discrets et si possible muets.
On pense assez vite à la nouvelle de Hawthorne, Wakefield, qui narrait, d’après un fait réel, l’histoire d’un
lambda ayant déserté le domicile conjugal, mais pas pour aller traficoter au
Harrar, juste mariner à quelques encablures de rue, en pseudo Pessoa résigné.
Demarty cite d’ailleurs en exergue Hawthorne, dont il a découvert la nouvelle
après avoir commencé son roman – eh oui, nos idées ont des racines, et c’est
tant mieux.
Mais le roman de Demarty est fourbe, bifide. En apparence, le lecteur
se retrouve embarqué dans une intrigue crypto-hussarde, sur fond de bistroquet à
la Blondin, avec portrait en pied et surtout en verre de piliers de comptoir, leurs
us et coutumes, puisque notre Oblomov parigot traîne ses godillots aux Indociles Heureux, pataud repaire
d’épaves sentencieuses aux atavismes pittoresques.
Certes, Demarty excelle dans l’art du portrait – volute vitriole, craie
qui crisse, coup de gomme, il sait peindre la lippe rêveuse de l’humanoïde au
coude pneumatique face au dernier verre, ainsi que ses propos moulés dans la
bassine du bon sens aviné. Se la jouant potache, l’auteur voudrait nous
entraîner dans un jeu de l’oie (où l’œuf est tumeur), comme si son récit, qu’il
sait taché d’auréoles de vain, s’écrivait avec nonchalance.
Soyons clair sur le sujet :
c’est une histoire banale à pleurer (l’amour ne dure qu’un temps) avec une
variante connue (se casser) mais plus rare (se casser en face, sans rien dire,
rien expliquer). Mais Demarty a du talent, et son talent, heureusement, cache
des monstres. Sous le vernis bien français de ce récit, gronde autre chose. Un bateau ivre s’agite dans
la bouteille de verre.
Comme si, à force de cabrioler,
l’auteur avait, en imprudent voyageur de sa prose, changer le cirque à mots en
massacre à affects. Certains passages brûlent alors les marges, et la phrase
s’invente des foulées qui ne laissent pas l’exercice indemne. Car quand Demarty
semble nous faire le coup de google maps, histoire de resserrer sa vision, ça
donne ça :
« Plan large sur une petite bille bleue, striée de marbrures ocre et vertes, qu’un enfant distrait, jouant avec son sac de voies lactées, aura égarée aux confins du cosmos comme sous un vieux meuble. Là, s’enroulant de poussières filantes et de miettes d’univers, elle, tourne encore et tourne pourtant, vieille derviche vacillante s’exténuant à danser un orbite autour d’un gros calot doré, lui aussi las et perdu dans l’aurore des temps. »
Le passage ne s’arrête évidemment pas là,
car Demarty ne lâche que rarement sa proie. Son écriture est en combat contre
elle-même, l’ange y fait la bête et la bête dévore tout. Dès qu’il s’essaie au
fluet, il vire au grave. Quelque chose – de sombre, de grenu, de cranté – le
rattrape dans l’écriture et l’entraîne, le hale ; du coup, ce qui était esquisses
et fusains devient tourbillons et crachats. La note désabusée, qui se la jouait
presque Simenon, est rattrapée par un devenir-Chevillard qui la pousse et la
propulse malgré sa modestie (et grâce à sa virtuosité), vers ce qui ne peut
être qu’un vrai risque assumé.
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Pierre Demarty, En face, Flammarion
Bonjour ,
RépondreSupprimerJe m'étonne de l'utilisation (sans mon accord) de la photographie dont je suis l'auteur pour cet article
En tant qu'écrivain , j'imagine que le droit d'auteur ne doit pas vous être étranger
Bruno FONTANA
brunofont@hotmail.com
Mille excuses pour cette utilisation cavalière. Le mal est réparé. Votre photographie n'est plus visible.
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