Jean-Yves Jouannais a mis en place depuis un certain temps un système
d’échange d’un genre particulier : ils donnent des livres de sa
bibliothèque personnelle (ceux qui n’entretiennent aucun lien avec la guerre)
aux personnes venues assister à ses « conférences » sur la guerre
– cycle intitulé "L’encyclopédie
des guerres" –, charge à ces personnes de lui apporter en échange des ouvrages traitant,
eux, de la guerre. Il explique et commente cette démarche dans son dernier
livre, Les barrages de sable, un
« traité de castellologie littorale » où la notion de barrage est
examinée sous toutes ses facettes, le château de sable jouant un rôle essentiel
(et peut-être mystérieux) dans notre façon d’expliquer (d’enseigner ?) la
guerre aux enfants. Certes, le château de sable est promis à la défaite, mais
selon Jouannais l’enfant qui voit son œuvre rongée, rasée, ruinée éprouve en
réalité, presque à son insu, un plaisir secret face à ce qui, de l’extérieur,
semble pure vanité érigée devant la nature (l’ennemi ?) : il se
jouerait ici un désir d’être « subjuguer ».
En vingt chapitres, donc, Jouannais explore mes liens entre guerre et
construction éphémère sur la plage, l’Histoire se distillant au filtre
d’activités de loisir, le trop-plein des activités guerrières se déversant dans
la « vacance », le divertissement balnéaire. Récit, dialogue,
souvenirs, mises en scène, commentaires : si les formes d’abordage
changent, l’obsession jouannaise reste la même. Parfois, le procédé peut
paraître artificiel, comme si le thème et ses variations devait se couler dans
les formes du discours au lieu de les réinventer, de les produire. Comme si le
sable du château gardait la mémoire du moule qui l’a édifié et crénelé et
pouvait se dresser quel que soit le sol discursif élu.
Mais revenons à cette histoire de bibliothèque fonctionnant sur
l’échange. Je veux bien offrir à Jouannais l’excellent roman de Mohsin Hamid, Comment s’en mettre plein les poches en Asie
mutante, qui sort chez Grasset en même temps que ses Barrages de sable. Il y trouvera en effet le passage suivant qui à
lui seul justifiera sa présence sur ses rayonnages :
« Deux artères jusqu’alors réservées à la circulation ont en conséquence été reconverties sur tous les côtés de la propriété, la voie extérieure étant maintenant bordée de plots en béton supportant des glissières en acier qui arrivent à hauteur de poitrine, un peu comme une barrière qui fermerait agressivement l’espace de jeux d’un enfant géant, le résultat évoquant une combinaison de douves sèches de château fort et de plage fortifiées en attente d’un débarquement militaire, tandis que celle de l’intérieur est ponctuée de portails automatiques, de dos-d’âne, de caméras de surveillance montées sur leurs piquets et de chicanes formées par des caissons en bois renforcées de sacs de sable et remplis de pétunias. » (p.118)
Que me donnera en échange Jouannais ? L’image dans le tapis d’Henry James ?
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Jean-Yves Jouannais, Les
barrages de sable, traité de castellologie littorale, éd. Grasset ;
Mohsid Hamid, Comment s’en mettre plein
les poches en Asie mutante, trad.. Bernard Cohen, éd. Grasset
Ah, le "motif sur le tapis", celui que Manguel rappelait à notre bon souvenir, à savoir "la formule inventée par Henry James pour désigner le thème récurrent qui parcourt l’oeuvre d’un auteur, sa signature secrète". Approcher pour de vrai des écrits, quels qu'ils soient, n'est peut-être rien d'autre que la quête, l'approche de cette formule. En abordant ton oeuvre comme un tout (c'est le cas depuis un peu plus d'un an), je sens que je n'en ai jamais été plus proche...
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