Naissance de la gueule :
c’est le titre, et on va vite y entrer dans cette gueule, on va vite s’y
dissoudre aussitôt, avec la langue, la langue brûlée de l’auteure, AC Hello,
sur laquelle on pourrait se méprendre en allant trop vite, c’est-à-dire, qu’on
pourrait, emporté par sa rage, ne voir là qu’un écrit à dominance tripale, un
cri plus ou moins modulé, alors qu’en réalité la langue de Naissance de la gueule est du côté du chant, riche en inflexions,
et travaillant ses ratés à l’aide d’une rythmique redoutable. Tout commence au
bord du fleuve du périph, qui charrie ses véhicules aveugles, et qu’une
« fille à la bouche ouverte » vient sentir plus que voir, en
absorbant les pulsations, s’en écœurant – et l’écœurement finit alors par
remplacer son cœur, car en elle, en cette fille, fanfaronne « un fils de
pute » qui l’empêche d’exister, de fondre sa voix dans le flux. Oui, ici,
tout est affaire de flux, de jus, et ça fuit, la fille fuit, les fluides
fuient, et c’est parti pour une cavale de la langue et des organes, des pensées
avortées, des pulsions foirées.
La bouche étrangle, la gueule veut parler. Et respirer. Des sons
forcent la trachée, et ces sons font guerre :
« Ma tête est une opposition. Un ensemble d’expulsés. Je rigole
sur ma chaise. J’irai jusqu’au bout de ma terrible tête qui n’a plus peur
d’elle-même. C’est foutu. Pour la rêveries idéaliste et optimiste. C’est
foutu. »
La fille donc fuit, c’est-à-dire qu’elle se réfugie, aussi, chez des
gens, mais les gens mordent, au début ils accueillent, puis ils demandent,
demandent de la parole, de la bave, or la gueule veut sortir de la bave, en a
marre de se faire cogner parce qu’elle refuse d’être « dans la culture du
debout », et forcée de parlée, contrainte à l’articulation, se déchire
elle-même dans sa la ngue :
« Isui sanorce, riste, isui anomerb, anometoil, anomlarge, barje,
anomcile, anolair, sanorce, isui pfilld’monde, isui illemonde, isuis anom i
puitvoir, i puimrapandre dsinterstices, i puitvoir dtamaison, ié lcor ié la
c’science extensible et isui prtou. Ipuistir, ipuistir. »
Au lecteur d’apprendre à mâcher ça, il le faut, ça n’est pas fini, ça
continue, et après toutes sortes de « collisions », d’aheurtements
ressentis en chair et en langue commence un drôle de voyage en Floride, où ça
ne fait qu’empirer, mais différemment, avec Stanislas, avec Emmy aussi, Tobby,
Jérôme Akoulov, un monde interlope qui parfois vomit, parfois se branche sur
l’art et l’argent. La fille va vomir tout ça aussi, lasse de ce:
« malaise
ontologique de ces blaireaux de merde, en habits d’apocalypse, dont la cervelle
remplie d’attractions illimitées, tend des sucreries à des jambes, des
poitrines, des nez et des crânes »…
Exit la fille, commence alors la troisième partie de ce retable cramé,
un texte intitulé « claque-tête », à la justif étroite, qui
mitraille, utilisant les syllabes comme des semonces, des rat-rat-rat
mitraillettes, pour qu’on entende claquer la violence, la guerre, les rafles, les rafales.
Naissance de la gueule : quand le langage ne se laisse pas faire,
ça fait mal, rien n’est épargné, et ça laisse dérisoire pas mal de proses
racées.
______________
AC Hello, Naissance de la gueule,
éd. Al dante, 13 €
A.C. Hello pratique la performance et/ou la lecture sur scène. Crée des situations. Elle dessine, peint et écrit. Nombreuses publications en revues et fanzines (papier ou internet, dont Overwriting, Chimères, Armée noire…). Expose également. Un passage (rapide mais efficace) dans le collectif L’Armée noire.
Elle crée la revue Frappa en 2014, revue multimédia visible sur le net, et qui a vocation a exister également en version papier.
De la même auteure :
Paradis remis à neuf (Livre + CD, éditions Fissiles, 2014)