Les lecteurs de ce blog connaissent ma passion pour les prix littéraires, des prix qui semblent tous s'être fixé le triple objectif suivant: se discréditer, ridiculiser la littérature, humilier les auteurs. Aujourd'hui, nous nous pencherons sur le cas du Prix des Grandes Ecoles. Nos futures élites sont parties du postulat suivant:
"Il importe de se préparer à la réalité du monde de l’entreprise, mais la littérature n’est pas un pensum: loin d’être déconnectée du réel, elle l’éclaire."
Qu'à cela ne tienne, vissons joyeusement la lampe torche de la littérature dans le cul de l'entreprise, on y verra plus clair. Et puis c'est toujours utile de rappeler que la littérature n'est pas un pensum, dès fois que certains s'imagineraient que si. Bon, passons au jury. Qui sont-ils? Réponse des intéressés:
"Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont 15 et viennent tous de grandes écoles."
Jeunes et beaux? Et riches? blancs? On ne nous le précise pas. Bon, ils aiment les livres: la preuve, ils sont tous photographiés devant des rayonnages. A la fois, c'est comme s'ils tournaient le dos aux livres, mais bon, ne soyons pas de mauvaise foi. Ah j'oubliais, ils sont aussi imaginatifs. La preuve, ils ont créé, tenez-vous bien… le Concours du plus beau paragraphe! Accrochez-vous:
"Il s’agit d’une initiative du Prix Littéraire des Grandes Ecoles afin de donner une chance à tous les étudiants de France de dévoiler à la face du monde leur talent littéraire ! Le principe est simple : nous vous donnons le premier paragraphe d’un roman, généralement un classique, et vous devez rédiger le second ! Audace, inspiration, finesse de la plume, mais aussi respect du support seront des critères qui nous serviront à choisir parmi vos œuvres !"
Un concours du plus beau deuxième paragraphe???!!! Oui, bref, on s'en fiche un peu, du moment qu'on y trouve la "finesse de la plume". Cette "finesse de la plume" m'interloque un peu. Elle suscite en moi des images étranges, dégage un petit parfum Bilitis… mais je préfère ne pas élaborer. Revenons au concours lui-même. Le lauréat sera récompensé, et pas qu'un peu! Rendez-vous compte:
"Participez sur notre site et tentez de gagner un stylo Montblanc (modèle Meisterstück) remis lors de notre soirée de clôture par notre parrain, David Foenkinos !"
Un stylo à 395 euros + serrer la paluche de (ou taper la bise à) David F., voilà qui doit donner confiance en l'avenir. En plus, associer Foenkinos à un prix littéraire, c'est plutôt audacieux. Parce que, hein, côté finesse de la plume, David, il s'impose un peu, à croire qu'à chaque livre il s'efforce de faire rentrer une oie dans un taille-crayon…
Bon, n'hésitez pas à aller sur le site du prix littéraire des grandes écoles, vous y apprendrez par exemple que la littérature est "un degré de fusion avec un style – un auteur – et une histoire – pour orienter la fusion". Duh? Orienter la fusion? Sors de ce corps, Bellanger! Et si jamais vous doutez encore du sens de la littérature, voici la déclaration d'une étudiante embarquée dans ce beau et jeune projet – ça devrait rassurer tout le monde:
"Afin de satisfaire ma curiosité personnelle et de comprendre les mouvements de notre monde moderne, je porte un intérêt tout particulier aux tendances qui l’animent. Ces tendances ne se limitent pas, selon moi, seulement au monde de la mode. C’est donc pourquoi, je m’intéresse aux univers créatifs dont la littérature tient une part considérable."
Flaubert vous avait pourtant prévenus, guys: les honneurs déshonorent.