lundi 19 novembre 2018

Jeudi (ce que je veux)

Jeudi 22 novembre à 19h (vérifiez quand même l'heure…), à la librairie L'Arbre à Lettres, 62 rue du Fbg Saint-Antoine (Paris), à l'occasion de la remise parisienne du prix de la traduction Laure-Bataillon (à Claro ((c'est moi)) pour la traduction de Jérusalem d'Alan Moore, éd. Inculte) et du prix Bernard-Hoepffner à Guy Jouvet (pour sa traduction du Voyage sentimental de Laurence Sterne, chez Tristram), vous êtes contraints de venir assister à une petite discussion décontractée avec les traducteurs susmentionnés, discussion qui sera animée (mais pas dessinée) par Alain Nicolas.

Je vous parlerai de Lucia Joyce et des problèmes qu'elle continue de poser des années après sa mort et vous expliquerai pourquoi traduire est une perte de temps qui permet d'en gagner ; Guy Jouvet, quant à lui, vous parlera sûrement de la guerre des Flandres et de défluxion. Vous voilà prévenus. Un verre de l'amitié à 11° sera offert aux survivants.

lundi 12 novembre 2018

Le Grand Prix de la Littérature américaine attribué à L'Arbre Monde, de Richard Powers, traduit par Serge Chauvin, aux éditons du cherche-midi

© Pauline Maillet/Festival AMERICA 
On vient de l'apprendre:

Richard Powers est le lauréat de l’édition 2018  du Grand Prix de Littérature américaine avec L’Arbre Monde, paru en septembre au Cherche-Midi, et traduit divinement bien par Serge Chauvin.

(Note: Les précédents romans de Powers sont tous parus dans la collection Lot49, qui a dû s'arrêter après la parution du dernier livre de William Gass, Regards, traduit par Marc Chénetier)

mercredi 7 novembre 2018

D'un livre qui en est deux


Quand on interroge un écrivain sur son œuvre, on oublie souvent que l’objet dont il s’agit reste irréductiblement double : le livre lu n’est pas le même que le livre écrit. Celui qui interroge l’écrivain parle d’un livre lu, fini, qu’il tient entre ses mains, qu’il peut feuilleter, citer, commenter. Mais l’écrivain, lui, n’a pas la même vision de son livre. Quand on lui parle de son livre, il sait bien sûr qu’on lui parle de cet objet de papier palpable, mais il ne peut s’empêcher d’en avoir une tout autre vision, une tout autre intellection, car pour lui le « livre » en question c’est avant tout l’immense accumulation des pages écrites, les passages biffés, les pistes écartées, les divers états qui se sont succédés ou surimposés, les divers rêves par lesquels est passé le livre, son état fantasmé tel qu’il l’a guidé tout au long de l’écriture.

Son « livre » est nettement plus touffu et mobile que celui, pourtant le même, dont on lui parle. S’il a bien sûr conscience et souvenir de l’état final, il n’en reste pas moins que ce livre est une espèce d’archéologie encore en mouvement, encore en tremblement, il est dense du temps souvent long qui lui a été consacré, et qui s’oppose à l’immédiateté de sa parution autant qu’à l’indécidable de sa fragile longévité. Voilà pourquoi, entre autres choses, il n’est pas toujours aisé pour un écrivain de parler de son livre – car « son » livre grouille d’intentions réalisées et d’esquisses avortées, les chapitres ont bougé, le début a été cent débuts, la fin est arrivée assez tôt, etc. Quand on lui cite une phrase, ce n’est pas cette phrase qu’il entend, mais toutes celles qui se sont entredévorées avant d’accoucher de celle-ci ; tel passage est pour lui moins lié à son point final qu’aux pénibles problèmes que ledit passage a causés à sa narration en s’imposant.

On lui parle d’une trajectoire précise là où il sait que des hasards nécessaires ont fait tanguer l’œuvre vers d’autres rives. Alors, à force d’être questionné, l’écrivain s’adapte, il se fait auteur, il donne les bonnes réponses, il formate un peu ses commentaires, la magie volcanique s’estompe, il faut apprendre à envoyer des signaux de fumée, qui plus est lisibles, et lisibles de loin. Pourtant, son livre demeurera à jamais une expérience, irréductible à la forme par défaut satisfaisante qu’il a fini par adopter.

lundi 5 novembre 2018

Comment commence (un livre)

Et sans doute le livre qu'on commence à écrire a-t-il déjà commencé, et ce avant même qu'on décide de son commencement. Oui, il a commencé dans la marge, à la limite de la vision périphérique de l'esprit, prenant naissance dans l'angle mort de la pensée. Il peut rester longtemps dans ces limbes vigilantes, mais sa quête d'une forme le pousse assez vite à solliciter notre imaginaire, le livre encore à écrire s'invite sous forme pour ainsi dire organique dans la moindre de nos cogitations, il suscite des rapprochements, teste des liens, appelle des prolongements. Il est tout sauf une idée, ou bien c'est une idée dotée de branchies, qui inhale l'eau trouble de nos rêves. Il nous habite, nous hante, s'accroche à nos distractions. Il est têtu, tenace, il a à cœur de faire l'épreuve de la structure, du gauchissement, de la torsion — va-t-il résister à nos malhabiles manipulations? Puis il prend racine, ou plutôt crée ses propres racines, sa matière volatile se densifie, il lui importe de devenir objet de langage, matière à langue, et pour ce faire il élit ses quartiers non seulement dans nos pensées mais dans notre corps, il est comme une maladie salutaire dont on doit apprendre à identifier et décrypter les symptômes. Il a besoin de cette maturation, de cette macération. Surgir n'est pas son but; ce qu'il veut c'est se diffuser, nous changer en diffuseur, se complexifier sans s'obscurcir. On s'en saisit alors, on met à plat, on déplie, on compare, on superpose, on rogne, on arrache, on froisse, on voit ce qui tient, ce qui ne tient pas, ce qui doit d'abord casser pour que ça tienne. Car ce livre déjà commencé dans l'infra-corps, il ne s'agit pas de le raconter, mais de le laisser rhizomer à sa guise, un certain temps du moins. Commence alors le dépassement du commencement. On se retrouve au milieu du livre, on cherche ses points d'équilibre, on le met lentement en mouvement, rotation, fuite, cascade, le voilà qui nous occupe tout entier, nous exige et nous éprouve. On recommence avec lui.