Affichage des articles dont le libellé est Pacôme Thiellement. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pacôme Thiellement. Afficher tous les articles

jeudi 23 juin 2016

Apocalypse celluloïd

En juillet, fais ce qu'il te plaît: tel semble le mot d'ordre lancé par l'écrivain Pacôme Thiellement à qui la Cinémathèque française vient de proposer une excitante carte blanche.

Au programme, quatre films à voir de toute urgence:

Jeudi 7 juillet à 19h30 : « La Mémoire courte » de Eduardo di Gregorio (1978)

Mercredi 13 Juillet à 19h30 : « Gloria Mundi » de Nico Papatakis (1975)

Jeudi 21 Juillet à 19h30 : « Monsieur Klein » de Joseph Losey (1975)


Jeudi 28 Juillet à 19h30 : « Jamais plus toujours » de Yannick Bellon (1975)

Et pour vous donner envie de les voir, rien de tel que l'invitation rédigée à l'occasion par cet incendiaire sans cesse régénéré qu'est le barde Thiellement…

"On ne sait pas si le mois de juillet sera aussi pourri que le mois de juin jusqu’à hier matin, mais on sait que Paris nous appartiendra. Car, comme dit Péguy : « Paris n’appartient pas seulement à ceux qui se lèvent matin (Et qui ainsi préparent, avant qu’on soit levé, la campagne, la bataille, la victoire de la journée) Paris appartient à ceux qui pendant les mois d’été préparent la campagne d’hiver. »
La cinémathèque aussi nous appartiendra, à raison d’un jour par semaine : un jeudi, un mercredi, un jeudi et un autre jeudi. On verra ensemble des films très bizarres : politiques, anxiogènes, énigmatiques, farceurs, ésotériques. Tout d’abord « La mémoire courte » de Eduardo di Gregorio, dans lequel (en seconds rôles stellaires) Jacques Rivette et Hermine Karagheuz jouent un couple qui enquête sur d’anciens nazis entre Paris et l’Argentine. Ils se tiennent en arrière-plan de Nathalie Baye et Philippe Léotard dans une intrigue labyrinthique et inquiétante où tourbillonne Bulle Ogier. 
Puis « Gloria Mundi » du regretté Nico Papatakis : un film sur la guerre d’Algérie et ses perpétuations dans le Paris des années 70. Un film avec la sublime Olga Karlatos sur la mise en scène de la torture qui se transforme en torture : un film violent, grinçant, suspendu quelque part entre Antonin Artaud, Jean Genet et Carmelo Bene : de nos quatre films d’été le plus angoissant, le plus hiératique, le plus théâtral. 
Dans « Gloria Mundi » il y a aussi Roland Bertin qui passe dans ce film pour se retrouver dans le suivant, « Monsieur Klein » de Joseph Losey, moins méconnu que le précédent, mais tout aussi difficile à déchiffrer, où Alain Delon joue Robert Klein, marchand de tableaux et spolieur de juifs lui-même pris pour un juif dans le Paris de l’Occupation, et qui enquête pour retrouver le M. Klein avec lequel on le confond jusqu’à s’y confondre lui-même. Juliet Berto et Michael Lonsdale font swinguer le récit de leurs mélodies grinçantes et Hermine Karagheuz réapparaît soudain dans une scène mémorable. 
Et le quatrième sera un peu moins angoissant, mais tout aussi mystérieux : « Jamais plus toujours », avec Bulle Ogier à nouveau, qui joue Claire, une femme qui revient sur Paris pour assister à une vente aux enchères d’affaires appartenant à son ancienne amie, Agathe, une comédienne, et qui retrouve le metteur en scène de celle-ci, joué par Roger Blin. La musique de Georges Delerue n’a jamais été aussi obsédante. Et Paris toujours plus chiffré, crypté : le puzzle des souffrances du passé dans leurs correspondances avec le mystère douloureux, langoureux, du jour. 
Voilà. Vous savez tout ou presque. Venez voir ou revoir ces quatre films-monstres des années 70, ces quatre chefs d’œuvre inquiétants : les quatre cavaliers de l’Apocalypse qui nous aideront à préparer notre campagne d’hiver." (P.T.)

mardi 11 mars 2014

Cannibales & résidents: Jeudi 13 mars, on Monte-en-l'air !

L'écrivain Laure Limongi est actuellement en résidence à la librairie Le Monte-en-l'air. Son projet de résidence, intitulé "L’hospitalité", est centré sur la question de l'hospitalité de la langue, ainsi que sur l'hospitalité dans la pratique artistique et dans le champ social. Alors forcément: bienvenue !

A l'occasion du lancement de cette résidence, Laure Limongi a concocté une soirée spéciale à la librairie le Monte-en-l'air le jeudi 13 mars à 19h. Je serai son premier invité (en présence de Pacôme Thiellement, à qui Laure succède). Il sera donc question de mon recueil critique récemment paru aux éditions Inculte – Cannibale Lecteur. Dans la plus pure tradition de l'Inquisition, Laure Limongi m'interrogera sur diverses questions: écriture, lecture, écriture de la lecture, usage et allumage du blog, a-t-on encore le droit de critiquer, lire est-il naturel chez l'homme, peut-on sauter les pages comme si c'étaient des moutons, etc.

Précisons que le site Remue.net, qui a un espace dédié aux résidences de la région Île-de-France, relayera les éléments. La résidence durera dix mois. À chaque événement, Laure Limongi partagera une recette qui lui aura été offerte et que vous pourrez déguster en buvant un verre après les lectures et discussions. Les traits de L’Hospitalité sont dessinés par Jean-Christophe Menu. (Résidence créée avec le soutien de la région Île-de-France.)

Bon, je résume: c'est jeudi 13 mars, c'est à 19h, c'est au Monte-en-l'air (71, rue de Ménilmontant / 2, rue de la Mare, 75020 Paris). C'est dans le cadre de la résidence de Laure Limongi. On dégustera des ****. Je lirai un texte inédit et cataleptique sur le phénomène inquiétant des résidences. On verra bien si c'est le lecteur qui est cannibale ou le cannibale qui est lecteur… Bref, venez très beaucoup!

mardi 12 novembre 2013

Kabbalerie légère

Pop Yoga? Le titre d'un album inédit des Residents? Le mot de passe enfoui de Philip K. Dick? Une position gnostique dangereuse ? Cherchez encore. Pensez Pacôme Thiellement et vous brûlerez, d'un feu facétieux qui agace les ombres et dérange les grilles. Car le bifide "pop yoga" n'est autre qu'une
"méthode pour accéder à l'union de la divinité par l'étude active des œuvres de la culture populaire".
Autrement dit: comment relire les dits & chants de ces chevaliers crispés dont, bon gré mal gré, nous avons fait les nouveaux croisés de notre sémillante modernité, et tant pis si le Graal est du soda, tant mieux si notre haridelle fait vavavoum.
Dans Pop Yoga, recueil de textes qui paraît ces jours-ci aux éditions Sonatine (dont certains inédits, et d'autres seulement prononcés), Pacôme Thiellement, revisite, en ouroboros attentif, les multiples cas de possession et autres lieux hantés par des quasi stars vite devenus trous noirs. Sa constellation, qu'il maîtrise tel un Bergerac les états de la lune, est constituée des plus vifs et des plus sombres attracteurs: Elvis Presley, John Lennon, Les Residents, David Lynch, Pynchon, Schreber, Pink Floyd, Fantômas, Jarry, Lowry, Burroughs, Fred, Joyce, Zappa, Andy Kaufman, etc. Pop Yoga se veut festin nu pour cannibales lysergiques, exégèse fractale, magic tour du monde des symbioses dangereuses.
Comme s'il réinventait la foule des spectres de l'album Sergent's Pepper, Thiellement fait se croiser et dialoguer mythes et cultures, rituels et sessions, En-Sof et pré-pop. Qu'on se rassure, la Kabbalerie est légère, car la plume de maître Thiellement se rit de la cuistrerie autant qu'elle se méfie de l'analyse définitive. 

Tout commence donc par Elvis, le king au jumeau mort, "comédien de son idéal", devenu à force de déhanchements "le crash-test d'une expérience sur l'humanité". Car l'icône pop, même gavé de substances, a toujours quelque chose à nous dire sur l'enfer. Ainsi en va-t-il, par exemple, de Lowry, dont Thiellement rappelle fort à propos les liens avec Stansfeld Jones (disciple de Crowley), mais dont il a l'intelligence de nous dire:
"[…] Ce qui est surtout curieux avec ce roman, c'est que Malcolm Lowry, en travaillant la matière ésotérique, a finalement produit un parcours de contre-initiation."
Nous invitons toutes les personnes encore vivantes à pratiquer le pop yoga entre deux cures de yoga pop. Ce livre leur ouvrira tout un tas de portes de corne et d'ivoire – qu'on se le dise.
Le lecteur rompu aux exégèses joyeuses et court-circuitantes de Thiellement sera par ailleurs ravi (transporté? comme Timothy Archer ?) d'apprendre que les éditions MF rééditent le scarabique opus de l'auteur Poppermost, considérations sur la mort de Paul MacCartney, dans une "nouvelle édition suivie de textes inédits de Mark Alizart, Claro, Aurélien Lemant, Laure Limongi, Wilfried Paris, Pierre Pigot et Laurent de Sutter, auxquels Pacôme Thiellement a ajouté sa propre contribution".
____________
Pacôme Thiellement, Pop Yoga, éd. Sonatine, 23 € + Poppermost, éd. MF, 16 €
_____
Illustration: Kyunghwan Kwon, Concept Drawing, 2010

lundi 10 septembre 2012

La main au marteau: Nerval via Thiellement


Ce serait commettre une grossière erreur que de voir en Pacôme Thiellement un maître de l’herméneutique ou quelque brigand jailli des sombres arcanes, chargé de rassembler les membres épars (et pillés) d’Osiris. Son gai savoir se moque des stratégies occultes. S’il décrypte, c’est pour animer l’hiéroglyphe, l’aider à démordre de la poussière et faire de ses essors une danse nouvelle. Thiellement est un chasseur de chimères, mais jamais il ne les tue ni ne les empaille.
On s’en convaincra à la lecture de son vibrant essai sur Nerval, L'Homme-électrique, dans lequel, armé d’outils deleuziens, il déplie le drame d’Aurélia et la scénographie des Chimères afin de montrer combien leur auteur – si mal aimé, si mal compris, à l’exception notable de Proust –, plutôt que de se protéger du monde par un parapluie occulte, s’est lancé dans une entreprise de désenvoûtement. Je dis bien « afin de montrer » et non de « démontrer », car Thiellement, en grand émancipateur de freaks, est essentiellement du côté de la monstration. Attentif aux pulsations des textes, il laisse les confluences aller leur gré, passer leurs gués, et s’il superpose parfois des calques qu’on pensait hétérogènes, c’est pour mieux qu’un désir de palimpseste s’insinue dans le feuilleté de la pensée. Afin de rendre Nerval (au) vivant, électrique, Thiellement nous montre comment Nerval a su, au fil des désillusions, réorchestrer les discordances de ses amours déçues afin de les organiser en galaxies. Pour cela, il convoque ses frères, la tribu mobile de ceux qui, à sa semblance, ont rêvé d’être un jour comme Blanqui sortant de prison et voyant défiler, dans le flux des foules, l’armée exacte de ses complices. Impossible, donc, pour Thiellement, de ne pas convoquer Artaud, non pour établir de pesants parallèles, mais pour « machiner » leurs trajectoires, leurs stratégies. Son livre sur Nerval est donc aussi, et peut-être surtout, un livre sur Artaud, dont il se révèle un lecteur plus qu’épanoui. Il nous rappelle également à quel point le freudisme s’est très tôt cherché un sain logis plutôt que de s’aventurer dans le vortex de l’hypnose, et ce afin d’opposer la supercherie du transfert aux ondes et charges de la sexualité. D’où l’importance du concept d’antérotisme chez Nerval, dont Thiellement montre qu’il a pour ancêtres l’amour courtois (et entretient un rapport complexe avec la gnose), et qui génère des concepts, comme celui, impeccable, de « l’horloge à filles ». On croisera également, au fil de ces pages électriques, Proust et les géniteurs du Grand Jeu, Huysmans, Zappa, Breton et même les Beatles. Car pour Thiellement, au-delà même de toute esthétique avant-pop, il s’agit d’établir une vaste cartographie des désenvoûteurs. Comme si « l’inconsolé » n’était pas celui qui s’abîme dans la tristesse mais celui qui refuse, moyennant risques et chutes, les stratégies de consolation. En cela, Thiellement est profondément post-spinoziste, et ce n’est pas la moindre de ses vertus.
C’est un livre, au final, sur l’envoûtement de l’amour — c’est donc un ouvrage pratique. Une méthode, si l’on veut, pour rentrer dans la lecture en ange déchu mais armé. Et pour faire du lecteur, à son tour, un « homme électrique », susceptible de produire des synthèses disjonctives et d’initier des devenirs (Deleuze n’est pas cité pour rien dans l’ouvrage, et l’on peut avancer sans trop d’erreur que Thiellement est un de ses plus brillants continuateurs, tant par le style que par l’audace). Car de quoi s’agit-il, en vérité ? Quel est le projet tendu de toute lecture, sinon de se faire un autre corps, inconsolé ? Thiellement sait ce que lire veut dire, et le dit :
« […] le corps de l’Homme électrique est toujours à construire. Il ne sert à rien de tenter de le retrouver dans les récits forgés par notre conscience pour expliquer nos actions. Il faut agir, à la main et au marteau, jusqu’à ce que les anamnèses se produisent. » (p. 152)
 ______________
Pacôme Thiellement, L’Homme électrique – Nerval et la vie, Musical Falsa, 2008


mardi 28 août 2012

Soap primordial: Pacôme is back

Alléluia ! 

Le premier roman de Pacôme Thiellement, Soap Apocryphe, vient de sortir aux éditions Inculte. 

On le lit très vite (mais là on vient de tomber dans Tanguy Viel, alors on est encore sous le choc). On vous parlera aussi bientôt de son essai sur Nerval, L'Homme-électrique

En attendant la déferlante Thiellement, voici ce que l'éditeur nous dit du livre de sieur Pacôme:

"Un petit groupe de jeunes intellectuels travaille à l’édition d’un livre apocryphe ­intitulé Contre ­Clément démontrant comment Jésus devenu vedette a imposé le christianisme grâce au star-system. En parallèle, Pauline Jacques, l’ex-petite amie de Léon Tzinman, l’un des exégètes, comédienne de son état, entame une irrésistible ascension et devient maîtresse du monde.
Soap apocryphe est le premier roman de Pacôme Thiellement, écrivain, journaliste et réalisateur français, connu pour ses essais mêlant culture pop et philosophie (Les Mêmes Yeux que Lost, Tous les chevaliers sauvages, sur l’épopée d’Hara Kiri). Un texte drôle, érudit, critique acerbe du pouvoir de la célébrité, un Umberto Eco à la mode pop."

Et en prime, voici un extrait:

« En l’an 30, à Jérusalem, ou s’approchant. Après être revenu d’entre les morts, un certain Jésus-Christ – plus connu à l’époque sous le sobriquet drolatique de Pet d’Âne – avait épaté la gale­rie en tenant quarante jours dans une espèce de corps astral, gluant, glissant, collant, bâclé à la 6-4-2 par son Père pour asseoir son succès d’estime auprès de son petit cercle de fans. Un pigeon épileptique chut en flèche sur ses potes et ils se piquèrent de parler en langues. “C’est fou comme ça marche, ce genre de conneries”, pensa la bande à Jésus quand elle vit le Christ-Club passer de onze personnes à trois mille. Simon-Pierre, le manager du groupe, ­cigare au bec, flairant la bonne affaire, prit instantanément les choses en main et décida d’apporter la news aux autres kabirous disséminés sur le continent. Les jurés de la Sainte Académie commencèrent leurs tournées de pop stars. »

A signaler une chouette rencontre en librairie, au Monte-en-l'air (71 rue de Ménilmontant, à Paris), le mardi 4 septembre:

A l’occasion de la sortie de Soap Apocryphe le premier roman de Pacôme Thiellement aux éditions Inculte, Le Monte-en-l’air n’est pas peu fier d’accueillir l’auteur le mardi 4 septembre. A cette occasion, Laure Limongi fera parler l’artiste et The Umbilical Chords nous offrira un concert.

A suivre, donc…

mercredi 16 mai 2012

Pacôme sur l'île: Lots of lost

Quand Pacôme Thiellement s'attaque à un objet, l'objet chante. Littéralement. C'est le cas pour la série télévisée Lost, à laquelle il a consacré un opus: Les mêmes yeux que Lost. Le propos de Thiellement est complexe. Dans un premier temps, on pourrait croire qu'il endosse le costume du décrypteur, et qu'il va se contenter de déplier les choses, de commenter les plis, voire d'en faire d'autres. Mais ce serait aller trop vite en besogne. Surtout quand il s'agit de Lost, un objet qui, un peu comme La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski, est plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur. Lost, en dehors de tout jugement esthétique, a le mérite de prendre le spectateur pour un lecteur. C'est une série qui saisit l'œil en lui promettant des réponses. Des réponses qu'elle finit par attendre de lui. D'où l'impossibilité, ou la vanité, de tout décryptage. Voilà pourquoi Pacôme Thiellement préfère déplacer l'île des naufragés, la faire voyager, l'attirer à coups d'aimants savants. Comme il le dit très clairement page 59:
Il y a deux Lost: un Lost dont la dimension ésotérique de la pop culture est la matière, et un Lost dont le caractère pop est en réalité une opération de désoccultation de la matière ésotérique elle-même.
L'essai de Pacôme Thiellement n'est donc pas un essai, mais plusieurs essais, plusieurs tentatives pour arracher la série à son socle cathodique et la faire vibrer à d'autres fréquences, celle de la terre creuse, celle du "roi du monde", de la gnose, etc. Henry James est également convoqué, avec son motif visible/invisible, tel qu'il est exposé dans L'Image dans le tapis — autrement dit: comment être perçant? Mais la fréquence la plus pertinente est plus secrète:
Ce livre est le récit de ma relation à l'écho de [la] musique lointaine et cachée [de Lost].
On sait que nombre de spectateurs, tenus six ans en haleine, ont été furieux suite au dénouement de la série. Pour l'auteur des Mêmes yeux que Lost, la raison est simple: ils sont passés à côtés d'eux-mêmes. Ils n'ont pas compris que Lost les interrogeait et ont préféré continuer à interroger Lost. Alors qu'il fallait quitter l'île, sans regret, sans amertume. Parce qu'on n'est pas tous les jours Jack Shephard. Le thème de Lost, du moins un de ses thèmes apparents, c'est le rapport au père. Doit-on haïr ce qu'on craint de devenir un jour? L'autre thème, plus sous-jacent, c'est cette vaste blague: Vous pensiez vraiment qu'on allait tout vous expliquer? Vous pensiez vraiment que tout s'explique? Comme le dit Thiellement, ce qu'on touche du doigt, ou plutôt de l'œil, c'est
"l'impossibilité d'accéder à une quelconque information fiable sur les tenants et les aboutissants du récit tout le long de celui-ci"
Oui, le spectateur, à l'instar des "disparus", appuie régulièrement sur le bouton de sa télécommande pour empêcher la fin du monde (de la série). Il est étonnant à cet égard que Thiellement ne s'attarde pas sur la polysémie des noms propres de Lost, qui sont eux-mêmes comme des boutons déclenchant d'autres ailleurs. Parce que, bon, John Locke et Desmond Hume… ça fait déjà beaucoup d'empiristes! Ou Jack Shephard, dont le nom signifie quasiment "berger". Ou Richard Alpert, dont l'homonyme, ami de Thimothy Leary, se rendit un jour en Inde et devint "servant de Dieu". Ou Kate Austen, sorte de Jane Austen décalée en fugitive. Ou encore Daniel Faraday, dont le nom reste lié à l'électromagnétisme. Ou Sawyer, qui a plus d'un trait commun avec le héros de Mark Twain. Ou Sayid Jarrah, dont le nom rappelle celui de Ziad Jarrah, l'un des terroristes du 11 septembre. Ou Linus, qui n'était que le "deuxième pape"…
Mais le fait que Thiellement ne se lance pas dans la chasse aux doubles n'est finalement pas si étonnant que ça, peut-être. Son propos n'est pas de retourner les cartes. Il n'attend rien de l'exégèse, sinon la grâce. Car il cherche, et trouve, autre chose: la modification de l'être à l'épreuve de la vanité des signes. Les signes ne nous montrent rien, sinon nous-mêmes en train de les traquer. Notre vie est un parcours, mais seulement si nous la bâtissons à l'ombre de la défaite (et l'auteur de rappeler la phrase de Borgès où il est dit que la défaite a une dignité qui appartient rarement à la victoire). Nous échouons si nous nous contentons de parcourir le grand livre des détails et pensons qu'en reliant les points on obtient des lignes. L'initiation, qui est la grande affaire de Thiellement, est une façon de rendre l'individu à ses lacunes. Cela consiste à entrapercevoir ses vies autres, ses existences "flash-sideways", puis à embrasser le chaos du choix comme si l'on dévorait une matrice de l'intérieur.
On l'aura compris; le livre de Pacôme Thiellement n'est pas une "interprétation". C'est une danse. Il faut faire danser le sujet, ou même danser le sujet, si l'on veut qu'il s'anime autrement. Prenez une île. Faites-en une série. Puis prenez la série, faites-en une île. Entretemps, l'île est devenue un œil. Il suffit d'ôter le voile de maya qu'est la paupière. Encore faut-il savoir dévoiler sans révéler. C'est tout l'art de Pacôme Thiellement: le dévoilement sans la révélation. La forme d'une épiphanie plutôt que sa teneur. La magie.


dimanche 4 décembre 2011

Poppermost Pacôme

Il y a presque dix ans, les éditions Musica Falsa publiaient un drôle de livre signé Pacôme Thiellement intitulé Poppermost, considérations sur la mort de Paul McCartney, que je n'ai lu "vraiment" que très récemment, à la faveur de trajets ferroviaires, entre Paris et Marseille, en écoutant, casques sur les oreilles, non pas les Beatles mais plutôt des chants juifs ou des reprises de reprises de reprises…. Est-ce d'ailleurs un livre sur les Beatles? Rien n'est moins sûr. En fait, l'auteur, en recourant à une méthode schizo-analytique dont il relance la donne en la nourrissant de réflexions pop, se penche sur la question du devenir, et son avortement. Quand devient-on Beatles (ou plus précisément "autre", "walrus")? Quand cesse-t-on de déplier le désordre du monde pour redevenir celui qui ne devient plus mais se contente de passer par les cases de l'être? Le grand concept à l'œuvre dans le livre est celui de "tour", que Thiellement décline également en "entourloupe". Etre l'homme-œuf demande un certain sens du vertige, façon derviche. Eclairant cette histoire de "tour" avec les lueur de Lewis Carroll, Artaud et quelques autres, confrontant l'entreprise des Beatles aux derniers avatars du christianisme, Thiellement finit par créer un livre d'un romantisme très particulier, un romantisme irradié où la question de l'identité est sans cesse remise sur la sellette, comme s'il importait, jusqu'au bout, d'être "naïf" (au sens poétique), et de croire, une avant-dernière fois (celle-là, seule, compte) qu'il est possible de se défaire de soi-même, une bonne fois pour toutes, et ce sans verser dans les ornières diverses qui accompagnent l'infini des chemins pop-rock (satanisme, guitar-héroïsme, mercantilisme etc, tout ce qui lie le rock et la pop à une orthodoxie cheap). Le livre se double en outre d'une belle visite aux Residents, qui aide à tout mieux comprendre et faire détonner. L'anonyme comme phase deux du collectif. Deviens ce que personne n'est: ni toi ni lui ni les autres, mais all together.
Riche et furibond, généreux et bousculeur, bourré de freaks et de tricks (mais ne trichant jamais avec le lecteur — il est bien trop généreux pour ça), Poppermost redistribue les cartes de la mythologie pop (malicieux tarot…), et, dans une langue qui se rêve sans organes, approche au plus près de la couture entre eros & thanatos, l'air de rien, comme si la ritournelle du devenir butinait le plus noir sillon. C'est le livre d'un troubadour shooté à la pensée, un livre joyeux, funambule, qui ne laisse entrer la tristesse que pour mieux y chercher des lignes de fuite, possibles ou impossibles. C'est aussi un livre sur l'amitié, donc un livre de philosophe, entre marteau et enclume, qui sans cesse attrape le lecteur par les épaules pour l'entraîner dans une danse, possiblement nervalienne, dont le nom reste à inventer. Bref, une revolution 9 + 1 + 1…
C'est le livre de celui qui sait que I am he as you are he as you are me and we are all together.
______________
Pacôme Thiellement, Poppermost, éd. musica falsa, 2002