Les mœurs évoluent, et les
mentalités parfois les suivent, en traînant un peu la patte et la loi. Certes,
le temps n’est plus où l’homosexualité était considérée comme une pathologie
(depuis 1992 pour être précis), mais bon, force est de reconnaître dans notre
démocratique société une certaine résistance à poursuivre jusqu’au bout une
certaine logique sociale. Car si les homosexuels ne sont plus des malades, on
voit mal pour quelle raison ils n’auraient pas le droit de se marier et d’avoir
des enfants, sauf à estimer qu’ils ne sont plus des malades légalement mais que
bon, personne n’est dupe, ces gens sont bel et bien du côté du pathologique,
qu’ils le veuillent ou non. Un prof pédé reste aux yeux de certains un
pédophile déguisé. Comme si l’obligation de défendre un droit sexuel était
synonyme de l’exacerbation de pulsions sexuelles susceptibles de déraper à tout
moment. C’est comme si tout père hétéro était soupçonné d’inceste dès lors
qu’il a une fille. Bref, les mentalités évoluent, mais il est clair qu’elles font
surtout semblant d’évoluer.
La question du mariage gay, et
celle de la possibilité pour un couple gay d’avoir des enfants, est proprement hallucinante
parce qu’elle est posée à l’envers. En effet, la question qu’on entend partout est
la suivante: doit-on accorder le droit à des homosexuels de se marier (et
d’être parents) ? Alors que la question devrait être plutôt : doit-on
accorder le droit à des législateurs de décider qui a le droit de se
marier ? Certes, le mariage est une institution, et ses conditions sont
spécifiées dans le Code civil (mais pas dans la Constitution…). Dans la mesure
où, même hypocritement, la société
(le législateur ?) admet qu’un homosexuel n’est pas un malade, en quoi
cette normalité chèrement acquise empêcherait ce dernier de passer un contrat qui, pourtant, semble à en
croire certains une des bases de la société ?
On aurait pu penser, naïvement,
qu’en permettant aux homosexuels de se marier, les promoteurs du mariage-comme-garant-de-l’ordre-social,
verraient ainsi un moyen de « neutraliser »,
d’« assimiler » ces éléments qu’ils ont longtemps considérés comme pathologiques
ou asociaux, ou du moins comme menaçant la cohésion de la société. Eh bien non,
même pas. Une fois de plus, répétons-le, ce n’est pas le mariage gay qui pose
problème, mais le fait que des acteurs sociaux et politiques aient le droit de
décider de sa validité. Il faudrait arriver à prouver, pour justifier de ce
droit, que le mariage homosexuel est séditieux, ou dangereux génétiquement, ou
proche des réseaux terroristes, ou d’une couleur qui n’existe pas dans notre
spectre policé. Parce qu’enfin, même si certains citoyens estiment que les
pédés dénatureraient la sainte
institution du mariage, estimer ne
peut signifier légiférer. Côté Code
civil, à part la phrase purement rhétorique qui constitue l’article 144
(« L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans
révolus »), il n’est partout question que des « époux ». Ceux
qui se sont épousés, donc.
En toute bonne logique, il
faudrait que le Code civil recense expressément tous les cas de figure où le
mariage est interdit. Ce qu’il fait pour certains cas (entre frère et sœur,
oncle et neveu, etc). Mais nulle part il ne spécifie qu’entre homme et femme la
chose est interdite. Il ne fait que le sous-entendre en disant :
« L’homme et la femme ne peuvent… »
Y aurait-il une autre raison si
évidente à ce tabou qu’elle nous serait inaudible, invisible ? Des
personnes mariées forment un foyer fiscal, et apparemment, jusqu’à ce jour, cet
arrangement ne perturbe pas la société. Cherchons encore. Ah oui, bien sûr, il
y a cette histoire d’enfants. Car qui dit mariage, dit enfants. Même si,
rappelons-le, la loi n’oblige pas les gens mariés à avoir des enfants, mais
passons. Donc, le problème serait le suivant : des gens de même sexe ne
seraient pas aptes à élever un enfant. Mais les parents ont un devoir face à l’enfant, celui de subvenir
à ses besoins, son éducation, etc. Un devoir.
Or le devoir est quelque chose qui découle d’un sens acquis des responsabilités
envers autrui. Il n’est dit nulle part que ce « devoir » est
intrinsèquement lié à l’hétérosexualité, que je sache. On peut estimer que des
homosexuels sont inaptes à élever des enfants – c’est un délire comme un autre.
Mais comment établir légalement que ce délire doit avoir valeur de loi ?
On ne retire pas son enfant à une veuve sous prétexte qu’elle ne forme plus un
couple selon les critères édictés par le Code civil concernant le mariage. Bref,
une fois de plus, on se demande de quel droit on peut interdire à des gens du
même sexe d’avoir et surtout d’élever des enfants en étant mariés, puisque jusqu’à présent ils ont le droit de le
faire en ne l’étant pas.
On soupçonne bien une autre et vague
raison, mais outre le fait qu’elle ne saurait fonder la validité d’une loi,
elle paraît un peu spécieuse. Ce serait de considérer que le couple hétéro
marié constitue un modèle qui a fait ses preuves de façon éclatante, tant dans
la gestion des affects que dans la bonne éducation des enfants. Bon, là,
franchement, on a juste envie de rire. Parce que ce n’est pas la mixité
sexuelle des parents qui garantit l’équilibre d’un enfant, mais leur bonne
intelligence. Un père alcoolo et une mère foldingue ne font guère le poids
devant deux lesbiennes sobres et saines d’esprit, si on veut jouer à ce petit
jeu.
On comprend bien que ce qui est
illégal, au fond et dans le fond, ce n’est pas le mariage gay, mais le droit de
restreindre le mariage aux couples hétérosexuels. Pourtant, le mariage gay
continue de représenter une menace aux yeux d’une fraction de la société.
Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que les mentalités n’ont pas
évolué. Parce que nombre de gens continuent à penser que l’homosexualité est
une maladie. Mais surtout parce que penser
que l’homosexualité est une maladie n’est pas, curieusement, considéré comme un délit de pensée. Ce
qu’il devrait être, de toute évidence et en toute bonne logique. Et s’il n’est
pas considéré comme tel, ça ne peut signifier qu’une chose : les personnes qui légifèrent estiment
que l’homosexualité reste dans les faits une maladie puisqu’on a le droit de le penser. Et surtout, elles pensent que
contrarier cette conception pathologique de l’homosexualité, ce serait
s’aliéner une part de la société. Par conséquent, il vaut mieux à leurs yeux interdire contractuellement un état de
fait qui n’a rien d’illégal (puisque les couples homosexuels existent hors
mariage sans enfreindre la loi) plutôt que d’inscrire dans la loi cette
évidence : l’homosexualité n’est pas
une maladie. Autrement dit, leur attitude peut se résumer ainsi : Bah,
ne nous inquiétons pas, les mentalités changeront quand elles changeront, et
non quand la loi l’aura décidé. Ne nous hâtons pas. N’anticipons pas. Chaque
chose en son temps. On imagine aisément ce qu’il adviendrait de l’antisémitisme
s’il n’était sanctionné systématiquement.
L’attentisme a peut-être ses
vertus lorsqu’il s’agit de légiférer. Sauf que dans le cas qui nous préoccupe,
ce qui pose problème au niveau démocratique, c’est le droit d’un petit nombre à assurer légalement la longévité d’un délit de pensée qu’on voudrait nous
faire passer pour un simple préjugé
que le temps finira bien par balayer. Or ce droit
devient, de fait, et en soi, un délit.
Puisque : Ne pas considérer un délit comme un délit est un délit. On
attend donc des maires ou des autres acteurs politiques ayant autorité sur eux,
qu’ils considèrent, en leur âme et conscience, et non en leurs couilles et
ovaires, l’urgence et le bien-fondé de la désobéissance civique.