mercredi 13 octobre 2021

La Maison Indigène à Dax – Rencontres à Lire

Vendredi 15 octobre, sur l'invitation de l'écrivain Serge Airoldi, je serai à Dax à l'occasion du festival Rencontres à Lire, pour une causerie animée par Pierre Vilar, on évoquera mon dernier livre paru, La Maison indigène (Actes Sud) et sûrement d'autres choses en lien avec le fait d'écrire… Donc, si jamais vos pas ou vos roues vous portent vers Dax et plus précisément vers la salle de l'Atrium, c'est à 17h, n'hésitez pas à pointer le bout du nez, de l'œil ou de l'oreille (ou les trois). 

En attendant, parce qu'ici on n'est pas radin, un petit extrait de La Maison indigène à l'intention des quelques millions de lecteurs-lectrices qui ne l'ont pas encore lu…






dimanche 10 octobre 2021

Déchirer le coma du papier: Wolowiec aux manettes


Dans Tournures de l'utopie, l'écrivain Boris Wolowiec rode une fois de plus sa rhétorique combinatoire, et une fois de plus l'effet est saisissant, hypnotisant, d'autant plus que Wolowiec recourt à différents régimes d'énonciation. Chaque paragraphe opère un traitement sur la phrase, en dépliant, inversant, combinant, variant les éléments de la phrase:

"Les choses surviennent en dehors de tout. Les choses surviennent en dehors de tout comme une main tourne autour d'une tête. Les choses surviennent en dehors de tout comme un cœur tourne autour d'une main. Les choses surviennent en dehors de tout comme une tête tourne autour d'une main."

Ainsi manipulé, le sens tantôt se brouille, tantôt se précise, et invite la lecture aussi bien à s'abandonner qu'à redoubler de vigilance. Les énoncés de départ peuvent être simples ("avoir besoin") ou opaques ("souder l'usage du ciel"), mais dans les deux cas les déclinaisons auquel l'auteur les soumet instaurent un vertige syntaxique qui permet à la pensée de se confronter à son expression, à ses limites. Certes, ce procédé a quelque chose de mécanique, mais uniquement dans la mesure où la mécanique est ici la vérité du langage (un peu comme quand Proust dit que la jalousie est la vérité de l'amour…). En outre, la mécanique ne se laisse pas enfermer dans un modèle clos, et des lignes de fuite sont toujours possibles, sous-tendues par exemple par des assonances:

"La bombe mendie. La bombe mendie son tombeau. La bombe mendie son ombre. La bombe mendie le tombeau de son ombre. La bombe mendie l'ombre de son tombeau."

Derrière cette saturation grammaticale, on sent que le projet de Wolowiec consiste entre autres à "déchirer le coma du papier". Le mise en abyme de ritournelles décalées et sans cesse remises en jeu crée un effet de sidération. On voit le sens enfler, se contracter, nous échapper, puis soudain resurgir, exploser. Mais le texte ne se contente pas de kaléidoscoper des énoncés, et d'autres segments travaillent tout autrement: ainsi, on trouve dans Tournures de l'utopie, des souvenirs personnels (une conférence de Rita Gombrowicz, des chansons populaires), des souvenirs télévisés (une publicité possiblement transcendantale pour les rasoirs…), des remerciements (au poète Christophe Tarkos, avec qui Wolowiec partage de nombreuses cadences), des analyses cinématographiques (Melville, Cimino, Bruno Dumont…), des sensations (face à un tableau de Van Gogh). 

Qu'elle semble sujette aux combinatoires ou au contraire en quête d'une vérité, la phrase de Wolowiec abrite une forme d'urgence mystérieuse et opère comme un trou noir attractif:

"Mourir c'est tomber à l'intérieur d'un trou. Mourir c'est tomber l'intérieur d'un trou qui tourne sur lui-même. Mourir c'est tomber à l'intérieur d'un trou qui tourne sur lui-même autour de lui-même. Mourir c'est tomber à l"intérieur du tourbillon d'un trou. Mourir c'est tomber à l'intérieur de la danse d'un trou. Mourir c'est tomber à l'intérieur du tourbillon qui danse à l'intérieur autour d'un trou, à l'intérieur du tourbillon qui danse à l'intérieur comme autour d'un trou."

Différence et répétition, adjonction et précision, variation et disjonction – pour programmatique que soit le texte de Wolowiec, il n'est pas moins, paradoxalement, furieusement organique. Le langage parle, alimenté/miné par ses possibles et ses impossibles. Et en prime, si vous tendez bien l'oreille interne, vous y entendrez Le Petit Bal perdu chanté par Bourvil…

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Boris Wolowiec, Tournures de l'utopie, Le Cadran ligné, 15€

A lire, un extrait ici sur le site poezibao, ainsi qu'une critique sur le site sitaudis, signé Christophe Stolowicki

 

lundi 4 octobre 2021

Et ensuite m'écrouler: Malaicu-Hondrari sur la piste des écrivains suicidés

 


Comme j'ai la vague impression que d'autres livres ont été publiés en même temps que Le Livre de toutes les intentions, de l'écrivain roumain Marin Malaicu-Hondrari, je me permets de vous rappeler un peu de quoi retourne ce livre (et ce qu'il retourne), on ne sait jamais. 

Le narrateur de ce court roman est obnubilé par les écrivains qui se sont suicidés (et, ma foi, ils sont légion, même si le narrateur a du mal à comprendre et admettre que Beckett n'en fait pas partie…). Il décide donc d'écrire un livre sur ces morts illustres – mais comme il est roumain et qu'il sillonne l'Espagne en Lexus LS 430, "boîte automatique, diesel, intérieur cuir, peinture gris métallisé" (et fume cigarette sur cigarette ((et boit café sur café)) –, sa décision s'accompagne d'une condition un peu spéciale: il souhaite écrire le livre en une nuit:

"J'étais seul dans ma caravane, mon cahier ouvert sur mes genoux. Penché sur lui, j'admirais sa couverture en cuir. La nuit tombait, plus de douze heures d'obscurité et soixante pages au moins m'attendaient. J'allais l'écrire, mon livre d'une nuit, mon livre sur les suicidés, et ensuite m'écrouler."

Je ne dévoilerai rien en disant qu'il ne parvient pas à l'écrire, même si, à sa folle façon, le livre de Malaicu-Hondrari est précisément ce livre-là. Un roman caféiné et tabagique, qui vole de fleur noire en tombe rouge, de noyé en défenestré, de pendu en disparu. Kleist, Anne Sexton, Trakl, Akutagawa, Pizarnik, Sylvia Plath, Sarah Kane, Romain Gary, Leopoldo Lugones, Horacio Quiroga… Tous ces spectres défilent sous ses yeux, sous sa plume, il s'interroge sur leurs mobiles, les moyens de leur fin, la beauté inexpugnable de leur poésie. Tel un personnage un peu largué de Bolaño, il erre et vadrouille, en attente la plupart du temps de sa bien-aimée, Iris, même si, destin oblige, il finit par échouer dans un chenil-hôpital où des dizaines de chiens mènent la vie dure à la proprio. Un récit libre, sauvage, à la fois insouciant et inquiet (mais si…).

Si ça ne suffit pas à vous intriguer, voici deux des dix préceptes de l'écrivain qu'on trouve page 47:

"IX. N'écris pas sous le coup de l'émotion. Laisse-la mourir et ensuite, évoque-la. Si tu es capable de la ressusciter telle qu'elle était, alors tu es arrivé au milieu du chemin."

X. Quand tu écris, ne pense pas à tes amis, ni à l'impression que donnera ton récit. Ecris comme si ton histoire n'avait d'intérêt que pour le petit contexte de tes personnages, dont tu aurais pu faire partie. Ce n'est pas autrement qu'on tient la vie d'une histoire."

Voilà. A vous de jouer.  A moins que vous ne préfériez lire un des quinze livres dont on parle partout dans la presse comme si la loterie faisait mal les choses…

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Marin Malaicu-Hondrari, Le livre de toutes les intentions, traduit du roumain par Laure Hinckel (oui, celle-là même qui a traduit l'immense Solenoïde de Cartarescu), éditions Inculte


vendredi 1 octobre 2021

Nicolas Richard en duo


OYEZ. Samedi, à 17h31, sur l'imprudente invitation du Festival Fo/Vf, j'aurai l'immense plaisir coupable de converser avec le traducteur (et néanmoins ami) Nicolas Richard. Pourtant, tout nous sépare: Je vis à Bar-sur-Aube, il a grandi à Tours. J'ai traduit Pynchon I, il traduit Pynchon II. J'ai écrit des livres, lui aussi. Nous nous connaissons depuis que le feuillet est mal payé. Quand je sèche sur une phrase où il y a des mots que je ne comprends pas le sens qu'ils veulent dire, je lui écris un mail que j'envoie et il me répond presque tout de suite (sauf s'il escalade un mur d'escalade) avec souvent la bonne réponse. On s'estime, même s'il boit de la bière brune. Nicolas Richard, pour ceux et celles qui le connaissent, ne recule devant aucun argot, aucun dialogue, alors que je refuse toute traduction comportant des tirets de dialogue. Il a traduit près de cent livres, alors que j'en ai traduit plus de trente mille, mais c'est un détail, size don't matter, really.

Nous sommes amis, ai-je dit un peu à la légère, même s'il est (soi-disant) en train de traduire Howl de Ginsberg, ce poème que je rêvais de retraduire (mais que je serais infoutu de retraduire alors bonne chance Nico). Que vous dire d'autre? Ah oui. Nicolas a traduit Riddley Walker, de Russel Hoban que je rêvais de traduire, mais que j'ai été infoutu de traduire, donc, tant pis pour ma pomme. En outre, il m'a piqué Pynchon sous le prétexte fallacieux que je n'entravais rien à la bulle internet et au polar des années 70, ce en quoi il n'avait pas tout à fait tort. Nicolas a par ailleurs commis un roman sur Pynchon, même s'il refuse qu'on dise qu'il s'agit d'un roman sur Pynchon, mais pourquoi je prendrais des gants, et comment je ferais pour taper à l'ordi avec des gants, soyons sérieux. La rumeur court également comme quoi Nicolas m'aurait battu au ping-pong lors d'une soirée haut-marnaise assez improbable. Légende, là encore. Il porte parfois des chemises dont aucun summer-of-loviste  ne voudrait pour suaire, mais elles lui vont à merveille, allez comprendre. Ce qui me différencie essentiellement de cet homme retors, ambitieux, vénal mais musclé, c'est qu'il est cool. Il est même probable qu'il ait inventé la coolitude (alors que je peine à imposer la ronchognitude). Bref, nos retrouvailles risquent d'être houleuses, d'autant plus que nous ne nous devons rien, ni argent ni pognon. Alors, si jamais d'aventure vous vous baladez du côté de Gif-sur-Yvette (ne me demandez pas qui est ce monsieur Gif ni ce qu'il pouvait bien faire sur cette pauvre Yvette…), n'hésitez à venir assister à notre affable passe d'armes. (Vous pouvez aussi nous payer des coups (à boire) après, ça fait toujours plaisir.)

Ah, j'oubliais. Nicolas (Richard) vient de sortir un livre qui parle de traduction et que vous devez acheter afin que son auteur – qui a quand mêle traduit Obama, alors ne le plaignons pas trop – puisse vivre dans les limites de la décence. Ça s'intitule Par instants, le sol penche bizarrement (aux éditions Robert Laffont). C'est un chouette livre (qui coûte quand même 22€90, mais bon…) où le traducteur se met à nu mais n'allez pas non plus vous faire des idées, d'ailleurs on voit bien sur la couverture que tout ça reste très vêtu. J'avais trouvé un meilleur titre à son livre, mais Nicolas, avec son arrogance naturelle et son quant-à-soi un peu hautain, n'en a pas voulu. Tant pis. Moi j'aimais bien. Même si, j'en conviens, ce titre était moins vendeur: Comment j'ai traduit certains livres des autres que je n'ai pas écrits. Mais bon, le titre qu'a choisi Nicolas Richard a ses mérites; c'est vrai qu'en traduction le sol, parfois, penche bizarrement. Le traducteur, qui est somme toute ni plus ni moins, qu'un réagrégeur, ne saurait qu'opiner. (Et puis, Nico et moi, on a connu Bernard Hoepffner, le saint patron de nous. Paix à son âme joycienne, burtonienne et la liste est longue.)

C'est samedi 2 octobre et pour les détails c'est là: https://www.festivalvo-vf.com/rencontres-2021-tarantino-woody-allen-et-moi/

Si vous ne venez pas, nous ne vous en voudrons pas. Quoique.