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lundi 19 juin 2017

A l'ombre des traducteurs en pleurs

Quand un traducteur peut-il dire que sa traduction est achevée? La seule réponse valable semble être: quand l'éditeur la lui arrache doucement des mains et signe le bon à tirer. BAT! En effet, même achevée, la traduction qu'il a rendue va être soumise à relecture. Divers lecteurs vont repasser derrière lui, afin de signaler les "problèmes". Or les problèmes peuvent être nombreux et de nature variée. Il peut s'agit d'incohérence, de faux sens, d'un oubli, d'une formulation peu claire, d'un doute sur l'orthographe d'un nom propre, d'un détail typographique, etc. Quelle que soit la compétence du traducteur, il n'est pas infaillible et commence, en outre, à souffrir d'une éprouvante presbytie due à un contact rapproché avec le texte. Il faut donc qu'il passe la main. Pour schématiser, il existe trois sortes de traducteurs: ceux qui estiment qu'on ne doit pas toucher à une virgule de leur traduction; ceux qui sont à l'écoute et disposés à examiner toutes les suggestions et remarques; ceux qui s'en fichent un peu et acceptent tout en bloc. 

La première catégorie regroupe, paradoxalement, les traducteurs qui commettent les pires erreurs, mais qui confondent excellence et intouchabilité. Sûrs de leurs choix, ils estiment que toute intervention est déplacée, puisqu'elle émane d'un non-professionnel de la traduction. Leur arrogance, forgée à force d'années à passer entre les radars (l'éditeur n'osait pas les contredire…), est phénoménale. Ils ne doutent de rien. (Pour avoir longtemps "repris" des traductions – un exercice salutaire – je peux vous dire qu'on arrive parfois à des sommets de ridicule. Il m'est arrivé d'être obligé de signaler en marge le numéro de page du dictionnaire qui venait contredire l'ânerie monumentale assenée par le "grand" traducteur.) Parfois, ces traducteurs-là se vexent, s'emportent, claquent la porte. Non mais. On ne les avait jamais traités ainsi. Ils ont "la confiance de l'auteur", en outre. Ben voyons. Ils respectent davantage les délais que le texte. On a envie de les décorer pour qu'ils prennent leur retraite au plus vite.

La deuxième catégorie regroupe les adeptes du doute; ceux-là ont compris qu'il fallait un regard neuf pour traquer la bourde, et qu'il ne s'agissait nullement de les humilier ou de les gronder. A titre d'exemple, mon éditrice d'Actes Sud, Marie-Catherine Vacher, me rend souvent mes traductions  de Vollmann truffées de propositions, plusieurs par pages, et j'en valide bien souvent la quasi totalité.)Car toutes visent à améliorer le texte, et non à rectifier la traduction: la nuance est de taille. Presque tout le temps, la collaboration est édifiante, enrichissante, et drôle quand on sait mettre de côté son orgueil et fixer sans ciller l'énormité qu'on a laissé passer. J'ai récemment traduit "crow" par foule et non par corbeau. Je n'en suis pas fier, mais en revanche je remercie Mathilde Helleu de m'avoir mis le nez dessus. Et vous pouvez, vous, lecteurs, la remercier également. 

Quant à la troisième catégorie, on les comprend aisément, vu les tarifs en vigueur. Autant dire amen à tout et ne pas perdre davantage de temps. C'est plus reposant, mais aussi plus risqué. Un peu de débat ne nuit pas à la santé de l'esprit.

Mais dans tous les cas, le fait est que le nom de la personne qui va "revoir" votre traduction, et sans qui le texte se présenterait bien souvent aux lecteurs dans un état insatisfaisant, est rarement mentionnée – qu'il s'agisse du correcteur/de la correctrice qui ne se limite pas à traquer les coquilles, et/ou du relecteur/de la relectrice, lequel est parfois un.e stagiaire, une personne extérieure, ou un ami, mais rarement un zébu. On parle souvent de l'ombre dans laquelle végètent les traducteurs, mais on ne parle quasiment jamais de ceux et celles qui "sauvent", dans une certaine mesure, voire une mesure certaine le texte traduit. Ceux et celles qui s'y collent, vérifient, doutent, interrogent, soulèvent des lièvres (et même des zébus).

Bref, il serait bon que les éditeurs (et/ou les traducteurs/traductrices) signalent, soit en début de volume soit en fin de volume, le nom de ces héros méconnus. Il m'est arrivé de le faire en remerciements, mais je crois qu'il reviendrait à l'éditeur de le faire systématiquement. En fait, maintenant que j'y réfléchis, ça devrait même être obligatoire. Je suis sûr que certains éditeurs en conviendront. Je suis sûr également que d'autres s'y opposeront et penseront: "Et puis quoi encore?" 

Et puis quoi encore ? Bonne question. On va réfléchir. Je suis sûr qu'on peut allonger la liste, histoire de rappeler qu'un livre, en dépit de sa singularité, bénéficie d'un soutien collectif qui n'a aucune raison de rester anonyme. 

vendredi 14 octobre 2016

Raymond Federman, une traduction à prendre ou à laisser

A mes heures perdues (!), quand mes petits loisirs d'oisif nanti m'en laissent le temps, je traduis le roman de Raymond Federman, Take it or leave it, son dernier grand roman encore inédit en français, paru aux Etats-Unis en 1976. Tout Federman ayant été traduit jusqu'ici, à ma connaissance, grâce entre autres à l'obstination, Laure Limongi, et de quelques autres, je ne vois pas pourquoi on s'arrêterait en si bon chemin, d'autant que ce texte-là est, comment dire? In-sa-tia-ble. Absolument insatiable.

J'en ai traduit environ un quart, je crois, et à chaque fois que je m'y colle, c'est un plaisir pyrotechnique, une valse à mille trois cents temps, une folle partie de poker qui se joue avec des grenades à fragmentation, ça pense ça danse ça déconne ça bouleverse ça fonce, autant dire que c'est une fête iconoclaste d'une rare liberté. Federman voulait "écrire un livre pareil à un nuage qui change en avançant" et il a amplement réussi. Je lui avais promis de le traduire, et son âme qui repose en paix commence, je crois, à s'impatienter. 


Le seul hic, c'est que je n'ai pas encore trouvé d'éditeur français pour cette traduction en cours… Si vous êtes éditeur, considérez donc ce post comme une petite annonce dans la plus pure tradition. C'est, littéralement, A prendre ou à laisser… Je recommence, cette fois-ci en mettant les formes:



TRADUCTEUR EXPÉRIMENTÉ, 54 ANS, BARBU, MARIÉ, QUATRE ENFANTS ET UNE CHATTE RÉPONDANT AU DOUX NOM DE SALAM,
VIVANT À PARIS ET EN HAUTE-MARNE, AIMANT LA BONNE CHÈRE,
LES LIVRES, LES SPORTS DE COMBAT
(MAIS VUS DE TRES LOIN),
LE PING-PONG ET LE BIBLOQUET
CHERCHE ÉDITEUR SÉRIEUX, CENT ANS MAXI,
FRAIS, DISPOS ET CONSENTANT,
AYANT DÉJÀ PUBLIÉ DES LIVRES (OÙ ON S'EN FOUT DE L'HISTOIRE),
AIMANT LE SAUT EN PARACHUTE ET LES DIGRESSIONS,
DÉSIREUX DE PUBLIER SA TRADUCTION
DU ROMAN DE RAYMOND FEDERMAN,
TAKE IT OR LEAVE IT.
TARIF CORRECT. SEULE CONDITION REQUISE:
ETRE UN PEU FOU.
N'HÉSITEZ PAS ME CONTACTER ENTRE 5H30 DU MATIN ET 23H59. 

mardi 31 mai 2016

Traducteurs de tous les pays, révoltez-vous!

Depuis des années, les traducteurs littéraires se battent à feuillets nus pour que soit reconnu leur travail, c'est-à-dire, entre autres, pour que leurs noms soient présents sur la couverture des livres ou cités dans les recensions critiques et les notices bibliographiques. Leur cause a pas mal progressé depuis vingt ans, mais ça résiste encore. Il n'est pas rare de tomber encore sur des éditeurs qui vous expliquent que la charte graphique de leur couverture les empêche de l'encombrer avec votre nom. (C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je signe seulement "Claro", car le gain d'encre et de place est considérable pour l'éditeur.)

Quant aux articles dans la presse, il arrive encore souvent de lire un éloge du style de l'auteur sans qu'un vague lien soit établi avec le fait de la traduction. Très récemment, Olivier Mannoni, traducteur de l'allemand, signalait une notice établie par un festival littéraire, dans laquelle il était précisé que l'auteur avait remporté… un prix de traduction. Hum. Mouais. C'est pas gagné, hein, cette histoire de reconnaissance.

Voilà pourquoi je propose les solutions suivantes – au choix – afin de régler une bonne fois pour toutes cet épineux problème.

1/ Obligation faite à l'éditeur qui refuse de signaler le nom du traducteur sur la couverture de rajouter un bandeau rouge portant, au choix, les mentions suivantes: "Ceci est un faux", "Ce livre s'est traduit tout seul", "Peu importe la langue pourvu que ça soit lu".

2/ Le traducteur pourrait aller en mairie et faire une demande de changement de nom, en proposant d'adopter celui de l'auteur qu'il traduit. Ainsi, il serait assuré de figurer sur la couverture.

3/ L'éditeur ne souhaitant pas faire mention du traducteur sur la couverture devra publier le livre dans sa version originale, en faisant figurer la traduction uniquement en note de bas de page, à raison d'un appel de note par mot.

4/ Les critiques désireux de louer le style de l'auteur mais rechignant à évoquer le nom ou le travail du traducteur devront démontrer que la langue est une donnée transcendantale qui se moque de ses incarnations bassement vernaculaires.

5/ Plutôt que des prix de traduction, on créera des Prix d'Invisibilité, dont on dissimulera soigneusement l'attribution. 

6/ Tout éditeur, critique ou rendeur-compte de traductions qui omettra de signaler le nom du traducteur devra recopier cent fois la phrase suivante: "Petit bout de traduction, quand te dépetit-bout-de-traductionneras-tu? Je me dépetit-bout-de-traductionnerai quand tous les petits bouts de traduction se dépetit-bout-de-traductionneront.

Voilà. Il était temps d'agir. C'est chose faite. Et maintenant que la pluie s'abatte incessamment sur les contrevenants!