Fin août, 2016, la collection Lot49 publiera le premier roman de Sergio De La Pava, A Naked Singularity, un livre dont l'histoire éditoriale est assez atypique, puisque, après sept ans d'écriture, le manuscrit fut rejeté par 88 agents et éditeurs américains, ensuite de quoi l'auteur le publia à ses propres frais, faisant imprimer une centaine d'exemplaires. Susanna, la femme de Sergio, entreprit alors de démarcher les éditeurs avec le texte publié et réussit finalement à exciter la curiosité d'un éditeur des Presses universitaires de Chicago, qui accepta de le publier, grâce entre autres au soutien critique de Brian Evenson, également auteur chez Lot49. A partir de là, le succès arriva, le roman remporta quelques prix prestigieux, et les critiques se réveillèrent et finirent par le lire, l'inscrivant alors dans la lignée de Pynchon, Gaddis, David Foster Wallace, et quelques autres. Paru en 2008, ce roman sera donc publié à l'automne prochain, la traduction est quasiment achevée (je compte y mettre un point final le 31 décembre à minuit quand l'univers se rétractera spasmodiquement et sera aspiré par la singularité nue qui clapote au fond du big trou noir).
Le roman met en scène un avocat de la défense, Casi, qui se retrouve embringué dans le casse du siècle. Mais loin d'être un procedural novel, le livre de La Pava est une centrale atomique d'intrigues, de commentaires, de digressions, d'hallucinations, et nous offre, outre une immersion poisseuse dans les arcanes de la justice américaine, des pages magnifiques sur la vie du boxeur Wilfred Benitez, ainsi qu'un traité sur l'art de réussir un expresso, la mise au point d'une défense judiciaire parfaite, le maniement du sabre face aux brutes, quelques recettes de cuisine épicées, des considérations philosophiques sur les mondes possibles, une tentative pour rendre réel un personnage de sitcom, quelques excursions du côté de Moby Dick, le récit d'un enlèvement dramatique, des dialogues dignes des grands inquisiteurs, une panne générale dans Manhattan, un singe qui est peut-être un chimpanzé, un rat en cage, une fillette qui refuse de parler, quelques symphonies de Beethoven, des outrages à la cour, des avocats psychotiques, et six cent quatre-vingt-neuf pages de suspense… Sans doute le premier thriller à thriller de façon thrillamment thrillante.
[Extrait:::]
"Quand je levai les yeux depuis le sol je découvris
que je pouvais Tout voir. Je vis les fondements de l’univers ; les quarks
et les neutrinos dans leur ubiquité visible, qui tremblaient et rebondissaient,
les uns contre les autres et sur moi. Je vis le Temps lui-même, la quatrième
dimension, nue et énorme dans toute son horreur, ni s’écoulant ni figée, et à
côté de lui l’Ailleurs relativiste, inerte et défunt. Je vis la Musique, non
les notes ou les sons mais ce qu’elle était vraiment. Je vis les belles mais
incomplètes Mathématiques, ses nombres entiers et les lois auxquels elles
obéissaient, et je compris tout cela. Je vis des esprits, je vis des pensées,
désincarnées mais claires. Je fixai la conscience en soi, vis à quoi elle
ressemblait, et finis par avoir peur. Les concepts étaient visibles ; je
vis la Justice et la Lâcheté, l’Hostilité et la Jalousie.
Je vis des corps lépreux entassés, rejetés par ce
qui les avait animés et se figeant apparemment en une masse unique de muscle et
de cartilage fibreux. Je vis les morts et les non-nés tenter de griffer les
vivants. Et les vivants n’étaient pas en bonne santé. Ils étaient malades et
déformés, avec des bras là où auraient dû se trouver les jambes, avec la peau
pelée qui dévoilait l’ambigüité là où était de mise la distinction. Je vis la
chair dévorer la chair et entendis des os craquer sous la pression et à partir
de ce moment je me mis à entendre également tout. J’entendis les couleurs et
les cercles, les arbres et les triangles. J’entendis la Peur lécher le visage
de la Haine accompagnée par un dernier hurlement murmuré. Puis j’entendis,
sentis et vis le monde commencer à se fendre pour admettre, progressivement, le
retour de la Lumière."