mercredi 26 février 2020

De la traduction considérée comme un sujet de discussion



Que faire un vendredi soir par ce temps pourri? Certes, il y a encore des terrasses chauffées, et on peut bien sur aller au Théâtre de la Bastille voir "A l'ouest", mais bon, ça ne fait pas de mal parfois de varier les plaisirs, alors si vous aimez entrer dans une mairie ou si la traduction vous intéresse, n'hésitez pas à faire un saut vendredi soir à 18h dans le treizième arrondissement, François Brun et moi essaierons de briller de mille feux et d'éveiller chez les personnes présentes à cette rencontre le sentiment rare et privilégié d'assister à une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et n'aura pas d'imitateur, mais là je crois que je m'emballe un peu, faut que j'arrête de prendre des substances dures (du genre: la poésie de Franck Venaille…), alors venez tou tout simplement passer un bon moment entre quatre murs comme à la grande époque de Sade – en attendant ,vous pouvez toujours écouter "Come Away with me" de Norah Jones ou prépare une quiche aux blettes.

mardi 25 février 2020

Eloge de la pulsation: A l'Ouest d'Olivia Grandville

A l'Ouest – spectacle de danse signée Olivia Grandville qu'on peut voir actuellement à Paris au Théâtre de la Bastille jusqu'au 29 février – est né de l'entrecroisement ou plutôt de la collision de divers projets et événements. Au départ, il s'agissait d'échafauder à partir de la musique de l'artiste new-yorkais Moondog, mais au travail que faisait ce dernier sur la musique des pow-wow est venue se greffer l'histoire politique, à partir d'une manifestations de peuples indiens à Standing Rock. Le spectacle, bien sûr, ne se résume par la fusion de deux intentions – procéder à des variations chorégraphiques sur le pow-wow et réfléchir par l'image et le geste à la tentation de l'appropriation culturelle qui nous habite plus ou moins consciemment. Il fait vite éclater le carcan folklorique et la réflexion culturelle, pour offrir un vertige dansé, où le corps amérindien est traversé par d'autres pulsions rythmiques (hip-hop, danse bretonne, etc).

Sur scène, autour d'un igloo en treillis métallique que viennent enneiger des bâches de plastique transparentes et au centre duquel brûle doucement le feu d'un téléviseur bloqué sur un paysage emblématique, cinq femmes – cinq esprits en quête de transe – martèlent la terre au son d'une musique (composée par Alexis Degrenier) qui procède par nappes et tourbillons, alentissements et vrilles. Des devenirs animaux traversent ces corps; les jambes, qui au début cisaillent l'espace tels des fléaux battant le blé (il s'agit de préparer le sol où danser en aplatissant l'herbe – la grass-dance est un des schèmes du pow-wow), deviennent vite des pattes d'étranges oiseaux – les danseuses portent un haut noir et frangé doré d'une cagoule à visière, un passe-montagne qui rend les visages indistinct, elles alternent et combinent plus d'une vingtaine de pas, s'esquivant toujours, chacune traversée par une expérience unique que chaque autre pourtant explore à l'identique. Electrons, élans, forces magnétiques et telluriques, possession et délivrance: la chorégraphie invoque tous les élémentaux, fait des corps une constellation fiévreuse d'échos physiques. Sidération, tremblement – et mystère.

Œuvrant de tous leurs membres à marquer autant que repousser le sol, s'inventant méduses noires pour mieux fluidifier l'espace scénique, traquant l'envol dans la répétition, chaque corps dansant s'efforce de nous rendre visible la musique invocatoire héritée de Moondog. Libres de saturer le cercle du monde à force de pulsations, les corps danseurs – on pourrait presque parler ici de "corps dansés" – finissent par incarner totalement les cadences qui les animent, et ce dans une spirale combinatoire qui aboutit à une expérience souverainement chamanique. L'énergie semble inépuisable, et ce spectacle qui pourtant ne dure qu'une heure semble s'affranchir du Temps pour n'être plus que l'arpentage vertigineux d'un monde nié. (A l'issue de la représentation, un court film vient rappeler la colère amérindienne et les exactions commises par l'Eglise chrétienne – histoire de, là encore, marteler le sol de la mémoire avec une histoire brisée qui n'est pas finie.)

A l'ouest, spectacle de danse d'Olivia Grandville – avec Lucie Collardeau, Clémence Galliard, Olivia Grandville, Tatiana Julien et Marie Orts.
Théâtre de la Bastille, tous les soirs sauf le mercredi (relâche) à 21h jusqu'au 29 février.

vendredi 21 février 2020

La Ronde et le Hasard: "Substance" enfin primé !

Certains d'entre vous le savent déjà: je ne suis guère friand des prix littéraires. Je veille donc à ne jamais figurer sur leurs listes (ce qui, somme toute, est assez facile, car j'y figure rarement…). C'est un choix personnel qui ne regarde que moi, comme on dit au miroir, et qui ne m'empêche pas de me réjouir parfois quand est primé.e un.e écrivain.e que j'apprécie. Bon, financièrement, ce n'est peut-être pas la décision la plus intéressante que j'ai prise dans ma vie, mais dit c'est dit, adieu lauriers, dansez muscade.

Hélas, les prix littéraire en France sont légion, et on ne vous avertit pas toujours que vous figurez sur leurs sélections. Ce qui devait arriver arriva, tagada. On m'a décerné un prix. Mais, heureusement, il s'agit d'un prix très particulier, le seul qu'il m'était possible, finalement, de recevoir avec joie et fierté. Ce prix m'est attribué par la revue La Ronde, qui paraît tous les premiers vendredis du moi et qui vaut le détour (abonnez-vous, soyez sympas). Le Prix me couronnant (ô César) est annoncé dans le numéro d'octobre 2019 (La Ronde a envoyé la revue à mon éditeur, mais ce dernier, estimant sans doute que rien ne presse, ne m'a remis ce courrier qu'hier), et apparemment cet événement n'a pas défrayé la chronique (ingrats médias), ce que je regrette amèrement. Je remercie donc ici avec un coupable retard tous les membres de la revue La Ronde. Leur lucidité les honore, et ma pudeur aussi.


Je dois quand même préciser que, si ce prix me comble à ce point, c'est qu'il est très particulier. Il s'agit en effet du "Grand Prix du Hasard". Le lauréat (moi!) a donc été tiré au sort parmi les 336 romans parus à la rentrée dernière. Le coup de bol au service de l'objectivité ! L'aléatoire rendu bienveillant ! La gloire au petit bonheur la chance ! En outre, pour être sûre ne pas influencer ce tirage au pif, La Ronde, nous dit-on, "s'est assurée de n'en lire aucun". Un choix à l'état pur. (Une vidéo rend même compte de ce miracle qu'est le hasard.)

Allez, champomi !

mercredi 19 février 2020

Lambert Schlechter : une rencontre à ne pas manquer

Jeudi 20 février 2020

nous vous invitons à venir rencontrer l'immense écrivain luxembourgeois

Lambert Schlechter

à la Librairie Charybde, à Ground Control (21 rue du Charolais, 75012),
dès 19h30,

         à l'occasion de la parution de:::

Je n'irai plus jamais à Feodossia

paru aux éditions Tinbad (neuvième volume d'un magnifique et vaste projet intitulé "Le Murmure du Monde" entrepris il y a quatorze ans). Schlechter, c'est la page érigée en boîte noire, un phrasé unique, multiforme, à la fois généreux et solitaire, où humour et curiosité résonnent sur fond d'érudition et de musicalité.

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises ici et de l'œuvre de Schlechter, qu'on pourrait à certains égards rapprocher de celle de Bernard Collin. N'hésitez à cliquer sur ces liens (ça ne coûte rien).

Rater cet événement serait se rendre coupable de non-assistance à la littérature, ni plus ni moins. On vous aura prévenus.

mercredi 12 février 2020

Jérôme, de Jean-Pierre Martinet

Texte lu lors de la soirée "Inculte & Michard" à la Maison de la Poésie le vendredi 7 février 2020

Jean-Pierre Martinet a eu une vie de merde – mais bon, il n’est pas le seul. Loin de là. C’est même la norme, si on y réfléchit bien. Statistiquement, vu le monde dans lequel on vit, les chances d’avoir une vie de merde sont littéralement écrasantes. C’est indéniable. C’est un fait. Et dire le contraire serait aussi con que de récuser le terme de violences policières en ce moment.
Martinet a perdu son père alors qu’il était encore jeune, mais bon, là encore il n’est pas le seul. Et puis il faut bien que les pères meurent un jour. Il faudrait aussi que les violences policières cessent, mais c’est un autre problème. Ou pas.
La mère de Martinet – appelons-la Madame Martinet – s’est donc retrouvée veuve – mais bon, elle n’est pas la seule dans ce cas-là. Les hommes vivent moins longtemps que les femmes, c’est connu, même si on se demande bien pourquoi, peut-être parce qu’au dernier moment ils se disent que ça suffit comme ça, qu’ils ont assez pourri la vie des femmes, qu’elles ont droit de respirer un peu. On aimerait parfois que les violences policières prennent modèles sur les pères qui meurent jeunes. Mais c’est peut-être trop leur demander.
Deux des frères de Martinet étaient des arriérés mentaux, mais bon, il ne devait pas être le seul dans ce cas-là. L’arriération mentale est quelque chose de très courant. Elle existe sous de nombreuses formes. Il suffit de descendre dans la rue en ce moment et de se retrouver face à face avec des CRS pour s’en rendre compte.
Madame Martinet, en plus d’être veuve, était complètement barge. Mais les mères barges, ça court les rues, ça n’a rien d’exceptionnel. Ce n’est pas parce qu’elles sont veuves qu’elles n’ont pas le droit d’être barges. D’ailleurs, tant qu’à être veuve, autant être barge. La mère de Martinet était barge, elle déboulait dans les bistros de Libourne armée d’un pistolet en bois, elle criait « haut les mains ! » puis elle sifflait quelques verres. Elle ne devait pas être la seule. On ne va pas en faire tout un fromage. Et puis un pistolet en bois c’est quand même moins dangereux qu’un LBD.
Martinet, lui, n’était pas barge, du moins pas autant que sa mère. Il ne brandissait pas de pistolet en bois dans les cafés de Libourne, il ne tapait pas les gens à terre, il n’éborgnait personne pour le compte de le République. En revanche, il était persuadé que des oiseaux avec des becs d’acier allaient lui tomber dessus. Mais bon, il ne devait pas être le seul.
Martinet a essayé de gagner sa vie comme il a pu. Parce que, même une vie de merde, il faut bien la gagner. Alors il a acheté un kiosque à journaux. Quelle drôle d’idée. Pas forcément une idée de merde, mais pas loin. Il a vite fait faillite. Mais il ne doit pas être le seul type à avoir acheté un kiosque à journaux et à faire faillite. Personne n’a dit qu’une vie de merde se devait d’être originale.
Martinet a travaillé également à l’ORTF. Je vous passe les détails, mais le fait est qu’il a fini par démissionner. Là encore, on ne peut pas vraiment dire qu’il est le seul à avoir démissionné d’un boulot. Ç’aurait pu être pire. Il aurait pu se faire virer. Il aurait pu travailler pour BFMTV ou récuser le terme de violences policières. Mais non, il a juste démissionné, ce que certains devraient faire avant que tout leur pète à la gueule. Je ne citerai personne.
Je ne crois pas l’avoir encore dit, mais Martinet écrivait. C’était un écrivain. Et comme tous les écrivains, il a annoncé un jour qu’il abandonnait la littérature. Par la suite, il a écrit encore deux livres. Il n’est pas le seul écrivain à avoir dit qu’il abandonnait la littérature et à continuer à écrire et publier. C’est triste, mais c’est comme ça. Enfin, je dis c’est triste, mais non, ce n’est pas triste, du moins dans le cas de Martinet, je suis ravi qu’il ait continué d’écrire. Ce qui est triste, c’est tous ces écrivains qui annoncent qu’ils n’abandonnent pas la littérature, alors qu’en les lisant il est clair que c’est la littérature qui les a abandonnés. Là encore, je ne citerai pas de noms. On est civilisés ou on l’est pas.
Puis Martinet a sombré dans l’alcool. Et aussi dans l’alcoolisme. Les deux vont souvent de pair. Je dis « sombré » parce que c’est comme ça qu’on dit. On pourrait dire : il s’est hissé dans l’alcool, ou encore il s’est élevé dans l’alcool, mais en fait ça ne serait pas très crédible, alors on préfère dire « il a sombré ». Bien sûr, il n’est ni le premier ni le dernier écrivain à sombrer, que ça soit dans l’alcool, la nostalgie ou la gloire, vous vous en doutez bien. Tant qu’à avoir une vie de merde, autant faire les choses dans les clous. Et tant qu’à sombrer, autant le faire corps et âme.
Ça tombe bien, parce que Martinet est mort d’une embolie cérébrale, mais bon, ce n’est pas très original, et des dizaines de milliers d’autres gens sont morts, meurent ou mourront d’embolie cérébrale. Martinet est mort seul, comme des centaines de milliers d’autres gens, qui bien qu’étant des centaines de milliers, meurent seul. Martinet est mort pauvre, comme des milliards d’autres gens, qui pourtant n’ont jamais entendu parler de la théorie du ruissellement. Bref, Martinet a coché à peu près toutes les cases du formulaire « Vie de merde ».
En un sens, on peut dire que Martinet a vécu une vie de merde exemplaire – mais bien sûr il loin d’être le seul dans ce cas-là. Parce qu’il est assez courant de perdre son père jeune, d’avoir une mère folle, de faire faillite, d’être poursuivi par des oiseaux au bec d’acier, de se payer une embolie, etc.
En revanche, Martinet a écrit Jérôme, et là, pour une fois, on peut dire qu’il est le seul. Le seul à avoir écrit Jérôme. L’unique personne sur cette terre pourrie à avoir écrit ce roman extraordinaire. Parce que Jérôme n’est pas un livre de merde, même si son auteur a eu une vie de merde. Jérôme est ce qu’on appelle un soleil noir, pas la peine de vous faire un dessin, vous savez ce qu’est le soleil et vous savez ce qu’est le noir, le noir absolu. (Et merde aux violences policières.)

lundi 10 février 2020

In memoriam P.G.

à Pierre Chopinaud


C'était mon premier feuilleton de rentrée 2018 dans Le Monde des Livres, lors de la parution d'Idiotie, de Pierre Guyotat, mort il y a quelques jours à l'incessant mitan de son œuvre — une œuvre que j'ai découverte au début des années 1980 et qui, livre après livre, m'a été tuteur, défi, énigme, partition, horizon, scandaleusement proche et terriblement lointaine, une œuvre que je m'étais mise à relire intégralement et chronologiquement il y a deux ans, la redécouvrant comme si sa masse critique avait enfin libéré toute sa complexe énergie.

L'œuvre de Guyotat, dont chaque pan est un continent, dont chaque étape-livre réinvente un monde et notre façon de le lire, je l'ai vécue, année après année, comme un rendez-vous bouleversant et bouleversé avec une langue qu'il importait non de dompter mais d'ingurgiter, quel que soient les risques encourus. C'était un rappel, au sens d'une injection, une sorte aussi de dévoration, et bien sûr une errance, parfois une perdition. Comme tant d'autres, j'ai suivi son "évolution", ses transformations, ainsi qu'on suit la croissance unique d'un organisme langagier affranchie de toute littérature, fracassé par l'histoire, rongé par le sexe. Comme tant d'autres, j'ai "grandi" avec Guyotat, échoué sans prévenir sur les rives calcinées d'Ecbatane.

La seule fois où nous nous sommes rencontrés, pour une brève soirée à Nation, nous avons parlé électricité – ce qu'elle fait aux corps. Et je me dis que tout son travail était, à sa façon, une indispensable réinvention de l'électricité, tant il est vrai que chacun de ses livres, aussi impénétrable soit-il parce qu'à refaire du fond de la glotte, m'a traversé selon d'éblouissants voltages de plus en plus humains. 






jeudi 6 février 2020

Memento mori (encore bien vivant) – ou: Ce que j'ai lu entre 1985 et 1997 (2)

Livres lus en 1985 (suite):

Michel Serres, Les Cinq Sens (Grasset)
Jorge de Sena, Le physicien prodigieux (Métaillé)
Horacio Quiroga, Contes d'amour, de mort, de folie (Métaillé)
Gavarry, Légendes des dames (POL)
Delmas, Chronique des guerres occitanes (POL)
Kaplan, Le livre des ciels (POL)
Laporte, Moriendo (POL)
Anne Portugal, Les commodités d'une banquette (POL)
Jacques Géraud, L'empereur (POL)
Marc Cholodenko, La tentation du trajet Rimbaud (POL/Hachette)
Blecher, Aventures dans l'irréalité immédiate (Denoël / LN)
Gustaffson, Musique funèbre (Presses de la renaissance)
Gomez de la Serna, Gustave l'incongru (Champs Libre)
Altenberg, Esquisses viennoises (Pandora)
Karin Reschke, La vocation du bonheur (Actes Sud)
Gadenne, L'intellectuel dans le jardin (Actes Sud)
Berberova, L'Accompagnatrice (Actes Sud)
Musset, Confessions d'un enfant du siècle (Garnier)
Torga, Lapidaires (L'Equinoxe)
Schneider, Lenz (Flammarion)
Guibert, Des aveugles (Gallimard)
Kleist, La Marquise d'O (Phébus)
James Joyce, Giacomo Joyce (Gallimard)
Grasset, La chose littéraire (Gallimard)
Gomez de la Serna, Echantillons (Grasset)
Rilke, Chant de l'amour et de la mort (Emile Paul)
Laporte, Tournoyer (Indifférences)
Voltaire, Le taureau blanc (L'oiseleur)
Thévenon, Une intoxication alimentaire (Dilettante)
Holder, Nouvelles du nord (Dilettante)
Soupault, Paolo Ucello (Rieder)
Harry Matthews, Conversions (Gallimard)
James Purdy, Je suis vivant dans ma tombe (Albin Michel)
Jean Paulhan, Traité du ravissement (Périples)
Les Mémoires du baron Mollet (Gallimard)
Hans Erich Nossack, Nekya (Gallimard)
Cendrars, Moravagine (Grasset)
Emmanuel Carrère, L'amie du jaguar (Flammarion)

[à suivre…]

mardi 4 février 2020

Memento mori (encore bien vivant) – ou: Ce que j'ai lu entre 1985 et 1997 (1)

J'ai retrouvé un carnet où j'ai noté tout ce que j'ai lu entre janvier 1985 et février 1997. Je ne sais pas trop si ça a le moindre intérêt, mais je doute qu'une liste de livres puisse avoir un effet néfaste sur d'éventuels lecteurs. Est-ce un memento mori? une liste de courses déjà faites? une note de blanchisserie extraite de l'obscurité? C'est la trace d'un parcours, des empreintes de pas laissés par les yeux (oui, je sais, l'image est absurde…), une guirlande de souvenirs souvent déchirés par l'oubli. Au mieux, c'est une partie de moi, à la fois détachée et rattachée. J'en livre ici la liste non pour me vanter d'avoir lu tous ces livres (dont certains n'ont dû être lus qu'en traviole, incomplètement, ou peut-être pas du tout, allez savoir). C'est une liste, et si c'est aussi ma peau, alors autant la sauver.

1985
Thomas Pynchon,
Michel Rio, Les jungles pensives 
Antonio Lobo Antunes, Le Cul de Judas
Baptiste-Marrey, Les Papiers de Walter Jonas
Deleuze, L'Image-Mouvement t. II
Toussaint, La salle de bains
Céline, Maudits soupirs pour une autre fois
Catherine Lépront, Une rumeur
Artaud, Lettre contre la cabale
Decoin, La dernière nuit (aucun souvenir…)
Suarès, Voyage du Condottiere (il m'inspira mon premier roman)
Sollers, Lois
Laurent Danon-Boileau, La Stupeur
Venaille, La Tentation de la sainteté
Cholodenko, Histoire de Vivant-Lanon
Renaud Calus, Notes sur les manières du temps
Cholodenko: Meurtre
Tsepeneag, Exercices d'attente
Leslie Kaplan, Le Criminel
Michel Bernanos, La montagne morte de la vie (une claque)
Pierre Marcelle, La démolition
Alain Nadaud, L'envers du temps (une claque)
Perec, Je me souviens (je m'en souviens)
Perec: Penser/Classer
Danielle Mémoire, Dans la tour
Danielle Sallenave, Les portes de Gubbio
Paul Morand, Lewis et Irène
Paul Morand, Hécate et ses chiens
Calvino, Palomar
Queneau, Mon ami Pierrot
Queneau, Les Fleurs bleues
Scarpetta, L'Impureté
Henric, La peinture et le mal
Miller, Jours tranquilles à Clichy
Rilke, Histoire pragoises
Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge
Borgen, Lillelord
Rudigoz, Les infirmières d'Orange
Hocquard, Aerea
Olivier Rolin, Phénomène Futur (une claque)
Manganelli, Centurie
Chesterton, Un nommé Jeudi
John Buchan, La centrale d'énergie
John Buchan, Le 26ème rêve
Beaussant, L'archéologue
Kipling, Histoires comme ça
Cahier Georges Perec t. 1
Lupasco, La Tragédie de l'énergie
Reumaux, Comment cuire les bébés
Gadenne, La Coccinelle
Mendoza, Le Labyrinthe aux olives
Mendoza, La Crypte ensorcelée
Duras, La douleur

TO BE CONTINUED

Inculte & Michard : une soirée unique (heureusement)

Vendredi 7 février 2020, à 20h, nous vous proposons d'assister à une soirée pas-comme-les-autres à la Maison de la Poésie. En effet, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, et pour la première fois dans l'histoire de la littérature, des écrivains vont monter sur scène pour vous parler de livres qu'ils ont lus et aimés et même parfois cornés. La chose n'avait encore jamais été tentée, de mémoire animale ou humaine. C'est donc une grande première (et sans doute une petite dernière). Il y a fort à parier que cette soirée, par sa magnitude, son audace et sa pluralité, marquera les esprits, son temps, voire infléchira le cours jusqu'ici tranquille de la chose écrite. Rares sont les occasions de bouleverser un paysage qu'on pensait immuable. On peut parler dans le cas présent d'un tsunami, et même d'un tiramisu.



Bon, cela dit, il est fort possible que j'exagère la portée de l'événement, et il serait sans doute un peu prématuré d'avancer que les présentations d'auteurs et les lectures de textes qui auront lieu vendredi 7 février 2020 à la Maison de la Poésie à partir de 20h changeront du tout au tout notre et votre perception de ce vaste continent en apparence figé qu'est le monde des lettres. Il est même très vraisemblable que nos brèves quoique rémunérées (enfin j'espère…) interventions ce vendredi 7 février 2020 à la Maison de la Poésie à partir de 20h laisseront de marbre quiconque aura l'idée saugrenue, lors d'un vendredi soir ordinairement dédié au délassement et à la fête, d'aller s'enfermer dans une salle plus ou moins chauffé pour y écouter des écrivains, pour certains fort peu connus, vous parler d'écrivains pas forcément connus non plus, et en plus hélas il n'y aura personne pour jouer de l'ukulele afin de donner une dimension artistique à ce non-événement. A vrai dire, on pressent même une sorte de naufrage, une salle aux trois quarts vides, un public blasé qui part en plein spectacle, préférant affronter une éventuelle ondée et un froid certain plutôt que de rester à se farcir d'ineptes élucubrations littéraires.

(Le but de cette soirée était au départ, je le précise quand même, de donner une vision de la littérature autre que celle plébiscitée par le groupe Lagarde & Michard. Et de vendre autant qu'eux, tant qu'à faire. Voire de finir réifiés dans un académisme universitaire de bon aloi. On n'est pas des saints et on a des familles à nourrir, et parfois aussi des chats et des chiens et, paraît-il, des sarcoptes.)

Mais bon, on ne saurait rien prédire avec certitude, ce monde est si instable, nous le savons bien, alors qui sait?  peut-être certains d'entre vous, s'ils n'ont rien de mieux à faire (et à boire), auront envie d'écouter Arna Bertino disserter librement sur Du moyen de parvenir, de Béroalde de Verville, ou Mathiard Enas se livrer à d'habiles digressions sur Casanova, ou Maylal de Kerangis refaire le portrait de Louise Labé, ou encore Mathaudie Larnieu délirer tranquillement sur le groupe des Hydropathes, ou Hélèny Gaude s'autoriser quelques lumières sur Lydia Tchoukovskaïa, ou, le pire étant toujours envisageable, moi-même me penchant sur le cas de Jean-Pierre Martinet et de son effroyable et sublime Jérôme. Bref, c'est vous qui voyez, ça coûte cinq euros, c'est ça aussi l'happy hour…