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mardi 11 mars 2014

Cannibales & résidents: Jeudi 13 mars, on Monte-en-l'air !

L'écrivain Laure Limongi est actuellement en résidence à la librairie Le Monte-en-l'air. Son projet de résidence, intitulé "L’hospitalité", est centré sur la question de l'hospitalité de la langue, ainsi que sur l'hospitalité dans la pratique artistique et dans le champ social. Alors forcément: bienvenue !

A l'occasion du lancement de cette résidence, Laure Limongi a concocté une soirée spéciale à la librairie le Monte-en-l'air le jeudi 13 mars à 19h. Je serai son premier invité (en présence de Pacôme Thiellement, à qui Laure succède). Il sera donc question de mon recueil critique récemment paru aux éditions Inculte – Cannibale Lecteur. Dans la plus pure tradition de l'Inquisition, Laure Limongi m'interrogera sur diverses questions: écriture, lecture, écriture de la lecture, usage et allumage du blog, a-t-on encore le droit de critiquer, lire est-il naturel chez l'homme, peut-on sauter les pages comme si c'étaient des moutons, etc.

Précisons que le site Remue.net, qui a un espace dédié aux résidences de la région Île-de-France, relayera les éléments. La résidence durera dix mois. À chaque événement, Laure Limongi partagera une recette qui lui aura été offerte et que vous pourrez déguster en buvant un verre après les lectures et discussions. Les traits de L’Hospitalité sont dessinés par Jean-Christophe Menu. (Résidence créée avec le soutien de la région Île-de-France.)

Bon, je résume: c'est jeudi 13 mars, c'est à 19h, c'est au Monte-en-l'air (71, rue de Ménilmontant / 2, rue de la Mare, 75020 Paris). C'est dans le cadre de la résidence de Laure Limongi. On dégustera des ****. Je lirai un texte inédit et cataleptique sur le phénomène inquiétant des résidences. On verra bien si c'est le lecteur qui est cannibale ou le cannibale qui est lecteur… Bref, venez très beaucoup!

mercredi 24 avril 2013

Soliste ou démons: un jeudi en deux

Demain, jeudi 25 avril, deux dates à retenir en librairie. Tout d'abord, au Monte-en-l'air, on parlera de Soliste, le nouveau livre de Laure Limongi publié aux éditions Inculte mais aussi de l’écriture d’Olivier Mellano, l’auteur de La Funghimiracolette (MF, 2006) qui, comme musicien, vient de créer le triptyque How We Tried a New Combination of Notes. Les deux auteurs présenteront une lecture-musicale de Soliste ainsi que d’extraits exclusifs du nouveau texte d’Olivier Mellano. Et l’on parlera écriture et musique : de Glenn Gould, d’instruments imaginaires, d’îles rêvées, de poésie… C'est dès 19h, à la librairie le Monte-en-l'air, donc, au 71, rue de Ménilmontant.

Le même soir, mais à 20h, à la librairie Le Comptoir des Mots, vous pourrez rencontrer Alexandre Laumonier, créateur des éditions Zones Sensibles (une maison dont on vous cause souvent ici). Dans la profession depuis quinze ans, ce graphiste et éditeur passionné met en œuvre une ligne éditoriale exigeante qui relève des "Sciences de l’homme" au sens large. Le papier sera donc à l’honneur, mais aussi la paperasse – laquelle est par ailleurs le sujet du Démon de l’écriture: Pouvoirs et limites de la paperasse (par Ben Kafka), septième livre du catalogue Zones Sensibles, qui sera présenté à cette occasion. (Adresse: 239 rue des Pyrénées - 75020 Paris).

Soyez chics, coupez vous en deux!

lundi 25 mars 2013

Printemps belge: passez la porte

Le festival Passa Porta, c'était la semaine dernière, c'était à Bruxelles, et ce fut sous la neige. Un printemps belge pas ordinaire pour évoquer, entre autres choses, le printemps arabe, lors d'une soirée en compagnie de Khaled Khalifa, Khaled Al Khamissi, Raja Ben Slama, Ibrahim Al-Koni et Boualem Sansal. Pour l'occasion, les Halles de Schaerbeek étaient bondées et (presque) tout le monde avait un casque afin de bénéficier de la traduction simultanée. Il y eut un débat et des lectures, mais le moment fort fut lorsque le Syrien Khaled Khalifa – arrêté en mai dernier par la police syrienne alors qu'il assistait aux funérailles du jeune musicien Rabi’ Al Ghazi, laquelle police qui lui cassa la main avant de le relâcher – prit la parole pour prononcer ces paroles glaçantes: "Arrêtez de nous juger. Laissez-nous mourir." Deux jours plus tard, lors du dîner de clôture, nous avons évoqué Alep en ruines, où je m'étais rendu quelques années plus tôt avec Mathias Enard, et son vieux marché dont il ne reste plus rien – mais la liberté, m'a-t-il dit de sa voix ténue en tirant sur sa clope malgré le froid de gueux qui sévissait rue Léopold, vaut toutes les ruines du monde. 
Le vendredi, Passa Porta proposait une soirée entièrement dédiée à l'art de la nouvelle. Dans l'immense salle Flagey, neuf auteurs se relayèrent donc pour nous lire un texte, juchés sur une estrade que dissimulait en partie une immense pyramide de livres. Les textes étaient projetés simultanément sur grand écran. On attendait Lydia Davis et Arnon Grunberg mais aussi les Irlandais Anne Enright et Gerard Donovan, ainsi que les Belges Kristien Hemmerechts et Pierre Mertens, plus Tahar Ben Jelloun et Enrique Vila-Matas. Hélas, le début fut catastrophique, avec un Tahar Ben Jelloun plus mauvais que jamais, si la chose est possible, qui ânonna son texte insipide, aussi vulgaire que ridicule, et qui laissa de marbre l'assemblée venue écouter de la littérature. Son histoire de call-girl décommandée au dernier moment était si pathétiquement mal écrite – convenue, bâclée, inepte, sans intérêt, tâcheronne – qu'un message tracée au stabilo sur un bout de carton par une main à trois doigts aurait fait figure de chef-d'œuvre à côté.
Heureusement, le reste de la soirée fit oublier (ou rire de) ce triste épisode – Enrique Vila-Matas nous réjouit avec ses pérégrinations dans le bus de la ligne 24; Anne Enright fut brillante et drôle avec son histoire de femme enceinte dans un ascenseur, et Gerard Donovan remporta le morceau avec une nouvelle aussi fine qu'émouvante, d'un équilibre parfait, imprégnée d'un humour en demi-teinte, sans fausse note. Mertens fut un peu long, mais assez classe. Et Lydia Davis montra qu'une nouvelle peut faire cinq mots et rire. A la fin de la soirée, on avait presque oublié la pathétique prestation de Papi Jelloun, même si les textes lus par les autres écrivains n'avaient fait que renforcer le contraste entre leur art impeccable et le texte mâchonné par l'ex-Goncourt 87… La neige s'abattit ensuite sur Bruxelles telle une faramineuse et goulue chantilly ayant repéré une gigantesque gaufre.
Le dimanche, les rencontres, lectures et débats se déroulèrent un peu partout dans Bruxelles: plus de 70 auteurs! Après avoir été questionné sur mon travail (un auditeur me demanda si je jouais avec les mots…), j'eus la la chance de cuisiner Eric Chevillard dans une des salles du Beursschouwburg – l'auteur d'Oreille rouge, pourtant peu friand des rencontres publiques, donna une magistrale leçon de littérature devant un auditoire plus qu'attentif (il y eut même un bébé qui parut enchanté par tout ça). On put également entendre Percival Everett s'expliquer sur son œuvre (tout en s'estimant le pire juge de celle-ci), ainsi que l'écrivaine et éditrice Laure Limongi.
Pour la clôture, le dessert s'appelait Julian Barnes. Salle comble au Bozar, discussion en anglais, pas de traduction, this is Europa. Toujours aussi classe, l'auteur du Perroquet de Flaubert se livra à l'exercice obligée de la conversation, alignant quelques souvenirs sur la France (pas hyper passionnants, reconnaissons-le), mais parvenant néanmoins, par son charme et sa culture, à faire pointer quelques sourires. Il cita surtout cette phrase géniale de Tchaikovski: "Il ment comme un témoin oculaire." Il ne restait plus qu'à aller dîner chez Roma. Philippe Delerm, qui ressemblait plus que jamais à Haneke (l'humour en moins?), s'éclipsa très vite, sans doute indisposé par la présence de Chevillard qui l'avait pulvérisé dans Le Monde il y a peu (une dernière goulée d'air frais, Philippe?). On aperçut également Alain Badiou, songeur devant son risotto comme s'il déchiffrait un concept deleuzien ; Alain Mabanckou fit la bise à la patronne du restaurant qui voulait juste récupérer le manteau de l'écrivain pour le suspendre (le manteau, pas l'écrivain); Chevillard nous expliqua qu'il renversait souvent son verre et le prouva dans les dix secondes qui suivirent ; puis ce fut l'heure d'affronter les trottoirs gelés. On en profita pour aller siroter un dernier (et inéluctable) spritz avec Patrick Deville et Eric Chevillard sous les ors et lambris de la grande salle du Métropole. Puis minuit sonna comme si Lindon était dans le coup et on glissa vite se réfugier dans la chaleur de notre chambre, sise Galerie de la Reine, au-dessus du Théâtre du Vaudeville, où, paraît-il, quelques semaines plus tôt, avait eu lieu un crime atroce. Mais bon, la veille, au Musée royal, on avait vu le Marat de David, alors…
Quelque part dans la froideur de la nuit, en train de caler sur un sudoku, un certain Tahar ben Jelloun devait être encore en train de se demander pourquoi diable on l'avait invité à un festival de littérature…

mardi 19 mars 2013

Passa Porta: par ici l'attention

Du 20 au 24 mars 2013, durant quatre soirées et une grande journée, le Festival Passa Porta va se dérouler à Bruxelles et proposer  rencontres,  lectures et débats avec la participation d' écrivains du monde entier. Bon, ça tombe en même temps que le Salon du Livre de Paris, mais l'ubiquité est désormais si monnaie courante qu'on ne va pas se plaindre. Personnellement, j'y serai dès vendredi et jusqu'à lundi, sur l'invitation du festival qui m'a donné carte blanche pour inviter trois écrivains. J'avais proposé dans un premier temps Claude Simon, Louise Labé et Mark Twain, mais ces derniers étaient accaparés par des réflexions posthumes on ne peut plus justifiées. On a donc opté pour des vivants, plus souples et plus accommodants. En l'occurrence: Eric Chevillard, Laure Limongi et Percival Everett.
Ces rencontres auront lieu le dimanche 24, dans le cadre de ce que Passa Porta appelle "Le Parcours". Ce jour-là, vous pourrez voir et entendre Adam Zagajewsk, Alain Berenboom, Mircea Cărtărescu, Anne Enright, Enrique Vila-Matas, Patrick Deville, Christos Chryssopoulos, Jean-Pierre Verheggen, Lydia Davis, Céline Curiol, Charles Pennequin, A.S. Byatt, Julian Barnes et bien d'autres (le programme est en ligne ici).
Mais revenons à mes trois invités. Je ne suis pas peu fier d'avoir convaincu le très discret Eric Chevillard de participer à ce festival (même s'il m'a fallu recourir à des menaces psychiques) et j'entends bien le torturer amicalement avec les pincettes de la curiosité. Ça sera entre 16h et 16h45 (à Beursschouwburg). On vous en reparlera, d'autant plus que le même Chevillard (il n'y en a qu'un) participera également, la semaine prochaine, mardi et mercredi, à un Colloque universitaire organisé par Pierre Jourde qui se tiendra à Valence, et où j'aurai de nouveau l'aubaine de lui dire tout le bien que j'écris de lui (dans un texte intitulé Un traître parmi les traîtres – allez savoir…). Gageons qu'après ces épreuves et ces ordalies, l'auteur d'Oreille rouge rentrera dans le bois pour un bout de temps.
J'animerai aussi la rencontre avec l'écrivaine et éditrice Laure Limongi, qui sort ces jours-ci un nouveau livre aux éditions Inculte intitulé Soliste, roman-variations qui tourne autour de Glenn Gould. Laure Limongi lira un extrait du roman érotique de Nicholson Baker à 16h (il faudra là encore s'ubiquiser…), en suite de quoi je la cuisinerai de 17h à 17h45 (au même endroit): on parlera donc musique, mais aussi poésie, édition, Bessette, Federman, Denis Roche… et cuisine (mais pas de chat – désolé, Laure).
Quant à Percival Everett, mon troisième invité, auteur prolixe et caustique, c'est Antoine Pickels qui aura le privilège de lui poser des questions, à 15h.
Enfin, pour ce qui est de Mézigue, je causerai de ses livres et de son parcours de traducteur à 14h avec Sylvia Botella.
Bon je résume, parce que je m'y perds moi-même : 14h: Claro. 15h: Everett. 16h: Chevillard. 17h: Limongi. A dimanche, donc, si vous êtes dans le coin.

(Et un grand merci à Marianne Cosserat et Nathalie Capart qui m'ont sollicité et soutenu tout au long de la préparation de ces quatre rencontres, ainsi qu'à toute l'équipe du Festival que je me fais une joie de rencontrer.)

vendredi 1 février 2013

Comme un châtiment infligé la nuit par un tracteur géant

Ça y est, on est en février. Conforama propose -20% sur tous les meubles et la décoration* (* horst Top Confo, faut pas déconner), mais à vrai dire on s'en fout pas mal. On est juste rassuré que le correcteur automatique de l'ordi ne connaisse pas le mot Conforama et le souligne de petits points rouges. Ça veut peut-être dire que les machines ne se sont pas encore tout à fait soulevées. Une fusillade a explosé dans une école d'Atlanta. On va bientôt pouvoir établir une carte spécial fusillade des Etats-Unis, qui remplacera l'ancienne, celle qui indiquait la production de patates et d'uranium. Comme disait Céline dans Mort à crédit: "Mon tourment à moi c'est le sommeil. Si j'avais bien dormi toujours j'aurais jamais écrit une ligne." Heureusement, il se passe des trucs chouettes.
Pour commencer, Laure Limongi a un site. Ça s'appelle tout simplement http://laurelimongi.com/. Vous y trouverez une rubrique « biographie », la liste et les présentations de ses livres, le descriptif de son travail éditorial au sein de « Laureli », des photographies ainsi que très prochainement des captations vidéo de lectures publiques, le blog et le fil Twitter. Par ailleurs, la défunte collection LaureLi renaît aux éditions Inculte, avec la parution ces jours-ci de Nudism, le nouveau livre de Daniel Foucard. Il y est question d'un énergumène qui tâte du populisme groenlandais, se lance dans l'activisme nucléaire puis milite en faveur du nudisme. L'incipit? "Je tiens bon." On souscrit, évidemment. Toujours chez Inculte, on vous conseille vivement deux autres parutions: Décor Lafayette, d'Anne Savelli. "Absurde d'écrire sur les grands magasins": c'est l'incipit, et l'auteur dément cette assertion avec une liberté et une invention dont vous nous donnerez des nouvelles. Ah, il y a aussi La Cité des oiseaux, d'Adam Novy (traduit par Maxime Berrée). Imaginez un évangile décalé, portant sur une cité partiellement souterraine, à mi rêve entre la Hongrie et l'Oklahoma. Comme le dit Novy dans un entretien: "A moins de me mettre à écrire des histoires de vampires, je serais toujours obligé d'avoir un boulot."Mais les oiseaux, c'est bien aussi.
N'oublions pas le nouveau numéro de la revue Décapage, avec un sommaire d'enfer. Chevillard et son "puis" sans fond, Ernaux, Faye, Vinau, une nouvelle inédite de Viken Berberian, un méga dossier sur Marie Darrieussecq…
On arrête là pour aujourd'hui? Non. On finit sur un auteur encore inédit en France, Mark Leidner (à ne pas confondre avec Mark Leyner), auteur d'un premier recueil de textes, Beauty was the case that they gave me, paru chez Factory Hollow Press en 2011. Dans un poème intitulé "Blackouts", on peut lire ceci:
C'est comme utiliser une pince à épiler pour extraire des diamants des conduits lacrymaux de votre petite amie.
Comme un jeu vidéo vicieux, avec la terre qui s'enrichit en tournant…
Vous tirez la chasse et poignardez le monde d'en bas avec une épée d'eau en spirale.
Comme regarder brûler une maison écoénergétique.
Comme être étiqueté psychopathe et jeté en prison puis relâché parce qu'un nouveau psychopathe court les rues et que seul un psychopathe peut battre un autre psychopathe.
C'est comme chasser à coups de battes des chauve-souris vivant dans le couloir d'une station spatiale abandonnée.
C'est comme avoir besoin de quelqu'un mais ne pas le savoir.
C'est comme essayer d'écrire un thriller avec un fusil braqué sur votre tête.
C'est comme avoir des enfants pour rigoler.
C'est comme se couper la main avec un bout de métal pendant que vous faites l'amour.
C'est comme un châtiment infligé la nuit par un tracteur géant.
C'est comme perdre aux échecs contre un homme des cavernes.
C'est comme un homme des cavernes qui perd aux échecs contre un dinosaure.
C'est comme un dinosaure qui perd aux échecs contre une forêt primitive… qui perd aux échecs contre une étoile primitive?
C'est comme tabasser vos gosses en rythme.
Ou foncer dans un semi au milieu d'un vol d'oiseaux.
Vous refusez de faire la charité parce que vous êtes convaincu que la charité est un complot.
Vous aviez un porte-documents plein de preuves mais une femme qui se faisait passer pour une prostituée vous a sucé dans votre chambre d'hôtel et l'a volé…
Un beau philosophe…
Je pense que les gens merdiques ne devraient pas dire ce qu'ils pensent avec autant d'éloquence.
C'est comme un croisement entre un orgasme et un trou noir.
C'est agréable mais ça vous aspire et vous rapetissez.
C'est comme bouffer une bite sur une assiette en papier.
C'est comme trouver un col roulé dans la rue et l'enfiler immédiatement, par dessus le col roulé que vous portez déjà.
Vous entrez dans votre chambre d'un air arrogant et vous présentez une pétition contre vous que vous avez signé un millier de fois.
C'est comme essayer de refaire le Seconde Guerre mondiale uniquement avec des mouvements de karaté.
Vous devez être comme une éclipse solaire, mais alors quand vous levez la tête c'est juste quelqu'un que vous ne connaissez pas qui vous balance lentement on poing dans l'œil.
C'est comme une souris qui sort de son trou en admirant son propre collier de diamants.
Ça devrait être comme de découper des toiles d'araignée dans des bottes de cow-boy avec des ciseaux.
Ça devrait être comme boire de l'eau dans une rivière vraiment très chère.
Mais c'est comme des Oreos au petit matin.
C'est comme ramollir un livre de coloriage dans l'eau du bain pour pouvoir plus tard le violer d'un trou…
C'est comme boire une bouteille entière de cabernet sauvignon dans une cellule de prison.
C'est comme manger des bouts de toast trempés dans l'eau des toilettes.
Vous ouvrez la porte de chez vous pour la première fois et comprenez que vous avez toujours vécu dans un réfrigérateur.
C'est comme respirer avec scepticisme l'air humide d'une nouvelle planète.
C'est comme apprendre le mot allemand désignant le genre de honte que les astronautes connaissent quand ils se masturbent dans l'espace.
C'est comme ne pouvoir que s'énerver quand les choses se passent bien.
C'est comme arrêter de polir de l'argenterie pour s'adouber avec un petit couteau.
[To be continued… ?]

jeudi 29 novembre 2012

Si ? Non? Sinon Bessette


On ne s’habitue pas à Bessette. On ne l’apprivoise pas. Elle est dévoration, esquive, feu follet, ni Duras ni Stein, mais seule comme Artaud, mais autre, otage d’une langue qui réinvente la liberté en shuntant, au sens électrique, le courant syntaxique imposé par la frivole aventure romanesque. Chacun de ses livres met à mal l’histoire littéraire, anticipant des ruptures qu’on croyait acquises, innovant en marge et à la barbe des bateleurs et bricoleurs à peine naissants. Elle est, dès les années cinquante, la folle dans le grenier narratif, la souris dans le moulin à parlotte, celle qui pense en actes les noces un peu chiennes du récit et du poétique. Peu lue, peu commentée, à peine soutenue, elle fait de sa singularité un avant-poste à occuper par ceux qui viendront, qu’ils l’aient ou non découverte, et là n’est pas la moindre ironie de sa fortune contrariée.
Non que Bessette ait fait le deuil définitif des galons narratifs et cherche à s’avancer en haillons, hors tout uniforme, toute convention. Elle attache une extrême importance à confectionner des héroïnes, quand bien leur étoffe a déjà les reflets du linceul. Femmes en procédure d’isolement, tentées déçues par la copule, le conjugal, femmes au travail, ni fille ni mère ni épouse, ou les trois mais si peu, si mal, femmes prise dans les concupiscences des hommes, et sans cesse éblouies par l’idée de la sortie, de la fuite. Des héroïnes, donc, à jamais teintées de folie nervalienne et de fatalisme flaubertien, dont le cœur ne consent à battre qu’au prix d’un dérèglement de la grammaire – la grammaire : la grande affaire de Bessette, son paradis et son charnier.
Puisqu’en elle tout est décalée, froissée, et que coïncider avec le monde n’est plus de mise, il faut que la langue suive, et à son tour décale, froisse, non par un dépliement insensé, comme l’a fait Proust, non par un feuilletage savant, comme s’y ingénia Joyce, mais par une musique autre, plus proche véritablement de ce que devient, de ce qu’est devenue la nouvelle communication, celle qui feint de relier les êtres par des conversations téléphoniques où se réinvente l’interruption du message, des télégrammes rétifs à la conjugaison, des slogans avares de verbes, des petites annonces renonçant aux articles et pronoms. Toutes choses déjà pressenties et expérimentées par Apollinaire, Breton et consorts, mais dans la sphère du poétique, hors le champ méprisé du roman. Bessette la folle en reprend la leçon, sa raison, dans Si, insensée variation autour du désistement de soi :
Dire que la langue de Bessette est d’essence électrique n’est pas verser dans la métaphore, figure de style que par ailleurs elle évite comme l’eau de rose ou le bon mot. Electrique est ici à prendre au sens d’alternatif. La phrase est une cadence réduite bien souvent à ses pôles, à une danse entre négatif et positif – courts-circuits bienvenus, of course. On se croit encore dans le théâtre, le vaudeville, avec ses portes claquées et ses apartés audibles de tous, on est déjà dans le cinématographique, la succession des photogrammes, le dialogue noir et blanc. Le verbe, Bessette le by-pass, littéralement – mais pas systématiquement –, non parce qu’il serait le toton bourgeois par excellence, que n’importe quelle ficelle habilement tirée fait tourner en guise de turbine, mais parce qu’elle préfère l’injecter ailleurs, sous une autre forme, à une autre intensité, en concorde mystérieuse avec un souffle qu’elle sait moduler, qui est le souffle Bessette, à la fois élan et affre, suffocation et variation.
En revanche, quand Bessette veut parler le verbe, le faire parler, elle n’y va pas par quatre chemins, elle décline, étiquette, liste, et ce afin d’extraire au plus vite le verbe écharde qui est, dans Si, la trappe par où peut-être passer, le sujet objectivé du livre :
Naître. Vivre. Mourir.
Quel assemblage. Langage des verbes.
Vivre. Dormir. Mourir.
C’est déjà mieux.
Vivre s’éveiller manger aimer dormir mourir.
La liste s’allonge des conjugaisons vitales.
Se lever travailler se coucher.
Pour dormir.
Pour vivre.
Pour mourir.
C’est monotone. Ça manque de diversion.
Venir partir retourner paraître disparaître être exister s’anéantir s’évanouir.
Liste noire. Au panier. A la corbeille. Effacer. Gommer.
C’est déjà plus accessible.
L’exercice de conjugaison est terminé.
Mais pourquoi avait-il commencé ?
Sans pourquoi.

Tout. Tous les verbes.
Mais pas : mourir.

Nous voilà de plain-pied dans ce Si, qui est à la fois condition, chiffre amputé (un six réduit à un son, bientôt motif comptable), instrument servant à l’amputation (scie appliquée aux mots, aux êtres), simple syllabe suspendue, arrachée au cœur du nom de l’héroïne : Désira.  Prénom étrange, mais guère plus obscur dans sa tenue et sa vérité que l’Emma de Flaubert, prénom piégé par le passé du verbe qu’il incarne, récit à lui tout seul qu’un a féminise in extremis. Que veut Désira ? Certainement pas revenir à la vie pour parler aux épiciers, ces nouveaux Homais. Juste s’en aller « hors et loin de l’imbroglio infâme du réel ». Commettre le « crime parfait » : se suicider – et non-vivre enfin parmi les « squelettes au rire solide ».
La question du suicide, posée par l’héroïne à elle-même, est la matrice malmenée de Si. Désira veut mener à bien cette « conversation sur le point final », preuve s’il en était besoin que le meurtre qu’elle envisage a autant à avoir avec la chair qu’avec le verbe. Lasse d’être réduite à l’attribut d’un sexe qui serait substance et identité, rétive aux compagnies les mieux attentionnées, prise dans l’étau des « joies froides » et des « joies chaudes », Désira va de colère en colère, comme autant de cases sur un jeu de l’oie qui finira cou coupé, se laisse courtiser par toute une théorie de « Marchands », résistant succombant, prêt à quelques derniers tours sur un manège de moins en moins forain, de plus en plus détraqué, cruel.
Elle essaie des remèdes – l’autre, la littérature de poche, le ciné… –, mais tout conspire à l’infantiliser, à l’objectiver, à la reconduire dans la petite boutique de la vie. « Dois-je me suicider ? » se demande-t-elle. Nous demande-t-elle ? Oscillant entre entêtement à dire et aspiration à ne plus être, sentant se rapprocher « l’heure du gardénal et du champagne », Désira, héroïne irascible et rebelle, jugée femelle et supposée putain (« Je ne suis qu’une femme. Ne que. »), entame une longue et curieuse excursion aux confins de la pulsion de mort. Mais peut-on mourir entre les pages d’un livre ? C’est finalement à cette question qu’Hélène Bessette s’efforce de répondre, et pour ce faire elle finit par déclencher des tourbillons, brouiller des pistes et concevoir des plans d’évasion qui sont les ressorts mêmes de la langue, de sa langue.
Si : non plus l’énoncé d’une condition mais la force d’une affirmation. Non. Si. Si. Non. Il n’est pas dit qu’il faille choisir puisque « toutes les histoires sont à dormir debout ». Madame rêve.
__________
Postface à Si, d'Hélène Bessette, éd. Laureli

mardi 28 août 2012

Soap primordial: Pacôme is back

Alléluia ! 

Le premier roman de Pacôme Thiellement, Soap Apocryphe, vient de sortir aux éditions Inculte. 

On le lit très vite (mais là on vient de tomber dans Tanguy Viel, alors on est encore sous le choc). On vous parlera aussi bientôt de son essai sur Nerval, L'Homme-électrique

En attendant la déferlante Thiellement, voici ce que l'éditeur nous dit du livre de sieur Pacôme:

"Un petit groupe de jeunes intellectuels travaille à l’édition d’un livre apocryphe ­intitulé Contre ­Clément démontrant comment Jésus devenu vedette a imposé le christianisme grâce au star-system. En parallèle, Pauline Jacques, l’ex-petite amie de Léon Tzinman, l’un des exégètes, comédienne de son état, entame une irrésistible ascension et devient maîtresse du monde.
Soap apocryphe est le premier roman de Pacôme Thiellement, écrivain, journaliste et réalisateur français, connu pour ses essais mêlant culture pop et philosophie (Les Mêmes Yeux que Lost, Tous les chevaliers sauvages, sur l’épopée d’Hara Kiri). Un texte drôle, érudit, critique acerbe du pouvoir de la célébrité, un Umberto Eco à la mode pop."

Et en prime, voici un extrait:

« En l’an 30, à Jérusalem, ou s’approchant. Après être revenu d’entre les morts, un certain Jésus-Christ – plus connu à l’époque sous le sobriquet drolatique de Pet d’Âne – avait épaté la gale­rie en tenant quarante jours dans une espèce de corps astral, gluant, glissant, collant, bâclé à la 6-4-2 par son Père pour asseoir son succès d’estime auprès de son petit cercle de fans. Un pigeon épileptique chut en flèche sur ses potes et ils se piquèrent de parler en langues. “C’est fou comme ça marche, ce genre de conneries”, pensa la bande à Jésus quand elle vit le Christ-Club passer de onze personnes à trois mille. Simon-Pierre, le manager du groupe, ­cigare au bec, flairant la bonne affaire, prit instantanément les choses en main et décida d’apporter la news aux autres kabirous disséminés sur le continent. Les jurés de la Sainte Académie commencèrent leurs tournées de pop stars. »

A signaler une chouette rencontre en librairie, au Monte-en-l'air (71 rue de Ménilmontant, à Paris), le mardi 4 septembre:

A l’occasion de la sortie de Soap Apocryphe le premier roman de Pacôme Thiellement aux éditions Inculte, Le Monte-en-l’air n’est pas peu fier d’accueillir l’auteur le mardi 4 septembre. A cette occasion, Laure Limongi fera parler l’artiste et The Umbilical Chords nous offrira un concert.

A suivre, donc…

mardi 6 avril 2010

Quand Rouge Déclic a faim de party


Le numéro 1 de la revue Rouge Déclic vient de sortir, avec pour point de mire The Party, (autant le film éponyme dans lequel Peter Sellers démontrait que s’amuser c’est avant tout contaminer autrui à son insu). La fête? Oui, mais avant tout l’idée d’une communauté friable et festive. Le programme est varié, assorti de quelques off , et, comme le dit Cendrine Dumatin dans son éditorial, il s'agit de donner ici « une fête électrique ». Ainsi Bertrand Schefer, dans un beau texte intitulé 1986, rappelle les liens invariablement tissés entre fêtes et défaites, convoquant Flaubert pour un souvenir personnel à base de sac suspendu qu’on prendra bien soin ici de ne pas percer ; Alessandro Mercuri imagine le tournage de Pornobello avec un luxe de mouvements de caméra ; votre serviteur essaie de mettre les doigts là où ça fait mal typoglycémiquement ; Daniel Cabanis sort ses fiches à mots-thèmes et narre les devenirs de l'instable Bexer, dans un des textes les plus réussis et les plus malins de la revue.
On relira aussi avec plaisir un extrait traduit du texte de Joseph Moncure March en déplorant que le nom du traducteur soit passé sous silence : un bonjour donc et un bravo à Gérard Guégan. Il y a aussi Henri Calet, dont on ne se lassera jamais, et Laure Limongi, qui évoque la « saudade stoïcienne » du fameux Nothing to lose, chantée virginalement par Claudine Longet, Laure Limongi qui rappelle, après Deleuze, que la fête n’a d’autre sens que de répéter un «irrecommençable », à l’instar des nymphéas d’un Monet (pas le même que Michelle Monet, hein). Alain Giorgetti enfonce le clou avec un texte intitulé The After, assez poilant. Bref, vous avez compris, c'est open bar et chahuté, alors abonnez-vous ou achetez-le chez un libraire riant.

Pour en savoir plus et mieux, un site.

vendredi 26 février 2010

Les bizuths de la fortune



Paru en 1959 aux éditions Gallimard, La Tour d’Hélène Bessette est enfin réédité par Laure Limongi dans la collection LaureLi, après quatre autre titres qui ont permis au lecteur d’entendre une musique autre, un fracassement nouveau – une poétique tendue. La Tour est un voyage-spirale, à la fois ascendant et descendant, au bout du désir consumériste, une danse crispée autour du bûcher des choses muettes qui ont un prix. A cet égard, « la tour » du livre est à la fois la reine Eiffel, symbole de la capitale/du capital, babel effilée dont il convient de gravir les lumineux étages afin de dominer le monde, puisque le « verbe dominer est de toute évidence, le verbe numéro 1. Le verbe champion. Super-vedette. Le verbe à sensation. » Le monde n’est plus une forêt de symboles mais un lupanar d’objets, et les personnages du roman de Bessette sont des « cœurs crevés emplis de monnaie », obnubilés par les billets, ivres de sous, qui veulent parader dans « la rue millionnaire ». Attirés telles des phalènes par les ors rimbaldiens de cet opéra merveilleux qu’est le monde des « réclames tapageuses », les voilà aspirants bourgeois jusqu’à la moelle de leur être, ne rêvant qu’acquisition, accumulation, ascension. Mais la « tour » du livre – cette « tour Eiffel », qu’on peut entendre aussi comme le tour que font F et L, Fernande et Louise –, est aussi, bien sûr, « un » tour, instrument de torture, engin à refaçonner, orbite grisant, rotation. Comme si le capitalisme était un manège ne menant nulle part, mais dont les révolutions, vertigineuses, étaient seules garantes d’un dynamisme perdu.

Afin de restituer la musique de l’hydre consommer/consumer, Hélène Bessette va très loin dans la langue et ses rythmes démembrés. Congédiant le verbe dont se rient les actifs de sa prose, cassant la syntaxe comme un bâton dans l’eau du paragraphe pour en laisser paraître et la fibre et la pulpe, frottant entre eux les mots afin d’en irriter l’amadou sensible, Bessette orchestre une poétique de l’énonciation en perpétuel renouvellement, alternant sursauts et litanies, élans et chutes, dans un hoquètement du dire comme on en éprouve rarement. La phrase, coudée, osseuse, recommence à chaque fois à l’instant de sa césure, afin que tinte plus cruellement le prix des choses et que brille plus sinistrement leur aura viciée. Désireuse de nous balader dans le « Luna Park loufoque » de ce grand magasin qu’est le « paysage crevé » du consommable, l’auteur structure ses séquences comme des bolges constituées d’éructations très articulées, où le client est le damné, où le prix est la peine, le crédit fausse éternité.

Teintant ses prémisses d’accents tantôt verlainiens, tantôt rimbaldiens – « du soleil pâmé à la traîne sur les meubles vernis de notre maison », « on s’époumone sur des félicités », « des mouchoirs mignons de dentelles » « les sourires mousseux se rassasient de mille riens », etc. –, Bessette travaille sa prose par intensités, syncopes, éclats, boucles ; on entend son clavier cahoter, tout n’est plus que fusées (au sens baudelairien), ritournelles, bris de cantiques, et la cadence, en apparence épileptique, est plus charpentée et plus grisante que le vin des amants le plus noir. Car ce que ses personnages gagnent en biens matériels, ils le perdent évidemment en volonté d’aimer, et leurs sensations, s’étant trouvé un siège plus creux qu’une vitrine, ne sont plus façonnées que par la matière, la texture, la couleur, le poids et l’aune des « articles » qu’ils accumulent, soit en intention soit en acte. « Elle remplace les lettres du cœur par les opérations de la tête », est-il écrit à un moment.

Dans La Tour, Bessette ose tout, tente tout, réussit tout, sur le fil chantant d’un rasoir qu’elle applique autant à son écriture qu’à notre lecture. Qu’il s’agisse de dire, d’un pinceau définitif, la nature capitulée :

« Charmante dans la blancheur cruelle, asentimentale, indifférente de la saison immobile. Les arbres du parcs tiennent en l’air quelques dernières feuilles rebelles. Paysages aux mélancoliques parades »,

de rendre tangible le fractionnement d’un rire en un saute-mouton syntaxique et renversant :

« Le rire de Louise n’est pas le bon grand rire des gens simples dont le bonheur éclate sur les joyeuses figures sans malice. Néanmoins il ranime les invités. Les réchauffe. Les redonne à la réalité. Les tire de la mortelle stupéfaction. De la surprise aux lignes rigides. De la peur. De l’angoisse. Que suscite le drame ? Au bord du drame. Il camoufle la dramatique surprise de la convoitise allumée dans laquelle on s’est plus à plonger. Les délivre de l’effroi glacial. Quand le bonheur est pour les autres. »,

ou de faire vibrer l’effarante mosaïque d’un grand magasin tel un cyclotron :

« Ceux qui sont en bas. Ceux qui montent. Celui qui hésite. Grappes au comptoir. Doublées dans les glaces. Ceux qui s’en racontent. Celui qui résiste. Des rubans en couleur. Voltigent dans l’espace. Des arcs dans le ciel. S’entrechoquent. Celles qui choisissent. Ceux qui ramassent les paquets. S’éloignent. Commandent, appellent, questionnent, interrogent, répondent, écoutent, répètent, expliquent. Ceux qui se consultent. Déposent des fardeaux. Cherchent des yeux. Déchiffrent des panonceaux. A haute voix dans le tumulte. S’exclament, démentent, affirment, s’inquiètent, s’angoissent, se décident. Soudain. Note de leur crayon mine. Des prix que l’on détermine. Les hautes vitres des portes tournent sans discontinuer. Allées, venues. Vitesse du croisement. Temps du dépassement. Celle qui examine. La durée de la poursuite. Celle qui s’achemine. Les mouvements dispersés, croisés. Centrifuge. Ceux qui cherchent refuge. Celui qui surveille vêtu de noir. A la noce. Cérémonie. Braderie baroque. Foire fantastique […]. »

Hélène Bessette est animée d’une grâce d’une haute technicité, qui lui permet de dire et la vie et son désenchantement, dans le même mouvement d’une langue pluriel, magique, tactile, abordant toutes choses avec une précision d’explosante-fixe, opposant la richesse de sa prononciation supérieure au crépitement ignare des « babioles mirobolantes ».

lundi 4 janvier 2010

Poésies du casse


On pourrait s’interroger sur le titre du nouveau livre de Daniel Foucard – Casse –, s’interroger et décliner ses significations, dire par exemple qu’il s’agit l’à d’un ordre, d’une invitation à la destruction ; ou d’une entreprise de recyclage de véhicules ; plus probablement d’un « coup », d’une combine, d’une malversation ; et aussi : de l’indication d’une lecture à deux niveaux, typographiquement orchestrée en haut et bas de casse, un texte majuscule chargé de la basse besogne, et un texte minuscule ayant à cœur de traiter les hautes instances. Malin, le nouveau texte de Foucard, qui sépare et accole, double et divise – et s’offre l’invisible coquetterie de n’utiliser aucun trait d’union.

Mais reprenons. Casse raconte un casse ; Casse est aussi, en soi, un casse ; Casse réinvente, par une pirouette roussélienne, la distinction caste/classe. Et nous informe que l’histoire secrète de l’humanité se confond avec la lutte des… casses.

A l’instar de l’œuvre d’art contemporaine, un casse est avant tout un dispositif, qui narre son processus et n’offre son résultat que sous la forme bourgeoise d’une plus-value. La chose est entendue, mais Foucard va nous aider à l’entendre de diverses manières, à divers degrés d’ébullition ironique.

Un désœuvré se fait un jour aborder sur un trottoir par un artiste qui a besoin de lui pour réaliser une opération complexe : un casse qui soit une œuvre d’art, à moins qu’il s’agisse du contraire. Tout cela nous est rapporté via des courriers qu’envoie ce « guetteur » à un certain Li, un contact chinois qui vit à Wuhan. Dès lors, le texte se scinde en deux niveaux, une première couche faussement narrative où nous sont détaillés les préparatifs du casse, et un PS – un post scriptum, mais sans trait d’union… – dans lequel le locuteur développe, avec un mélange de rigueur et de nonchalance, quelques théories qu’on qualifiera d’économiques : différence entre tradiste et trader, la question de l’élite, le recul du féminisme, le réveil de la Chine…

Il est aussi question d’une jeune Vietnamienne, du nom de Schème, d’une certaine Simula, d’un dénommé Basic, d’un butin de 980 000 (l’unité n’est pas précisée : preuve qu’on est, plus qu’on le croit, dans le réel, mais si mais si…). Foucard a écrit une sorte de Casse, mode d’emploi, ni plus ni moins piégé que la société dans laquelle nous vivons. Orchestré et cadencé comme un remix melvillien d’un énième Ocean 14, faussement didactique, diaboliquement naïf, Casse prend le lecteur en otage en lui laissant croire que c’est l’inverse qui a lieu, et recèle quelques renversements bien vicieux – mais amplement mérités.

Farce marxiste, polar plié en deux : Casse rappelle l’urgence qu’il y a à inventer des guetteurs.

Daniel Foucard, Casse, éditions LaureLi, 16 €

jeudi 19 novembre 2009

Sachez chasser : lisez Zaroff

La chose est entendue : l’homme est une proie pour l’homme. A fortiori, donc, pour l’écrivain. Il ne suffit pas de se choisir des cibles, encore faut-il les identifier, les identifier et les éliminer, en s’esquivant à temps, tête haute, corps voûté, sans courir, à fond de train. Le Zaroff de Julien d’Abrigeon – publié par Laure Limongi, label LaureLi, en librairie le 25 novembre, extrait ici – exécute des contrats, il exécute, c’est un exécuteur, mais il n’est pas certain que ses victimes soient forcément celles qu’on croit. Le récit de ses battues, qu’on devinera assez vite «en brèche», se répartit en chasses, sorties, reflets, traques et cavales, à lire dans l’ordre qu’on voudra, car de toutes façons personne ne sortira d’ici vivant. Une chasse, qu’est-ce que c’est ? Eh bien, outre une partie de plaisir, c’est un peu comme un chapitre : des règles s’inventent, qu’on enfreint, un style se présente, qu’on fauche, des constantes s’installent, qui brûlent. Zaroff n’est pas là pour nous donner le goût du sang ou des envies de pitié. Zaroff est là pour piéger la langue, sa langue, et toutes celles qui s’amusent à pendre. S’il sent que la syntaxe le suit, il la piège. S’il faut donner des directions, il les donne, se perde qui veut. D’Abrigeon est aux platines, il fait grincer les ritournelles, se saborde en souriant, fait du paradoxe un boomerang. A chaque phrase, il repart de zéro, permute, invite, détourne. Dès qu’on le suppose bricoleur, il se révèle armateur. Tel un pied piétinant son empreinte avec son ombre, il repasse par les tropes qu’il tord. Et s’ingénie à faire bégayer le lecteur qui s’imaginait convié à d’affreux tours de manège dans la conscience.

Zaroff est un chasseur d’un genre particulier, qui apprend au lecteur à chasser le sens, à coups d’immédiates impostures, d’escamotages peu réglos, de fuite en avant en arrière à droite à gauche. Il dit « je », mais comme s’il mordait le « je » du lecteur, à la façon poético-délictueuse d’un Cadiot, sachant très bien où il va, c’est-à-dire au milieu, milieu de la langue parce que plis à passer par, milieu du récit parce que la trace parle, elle aussi.

Sa dictée est enrayement. Le fluide l’attire, mais pour mieux déliter. Quel énergumène, ce Zaroff. Refusant d’être personnage, trahissant le narrateur en lui, toujours à l’affût, planqué fuyard prédateur. Et plus on le suit dans ses méandres, plus on efface ses repères.

Comment fonctionne un livre qui veut s’en sortir, veut sortir du livre, du lecteur ? Julien d’Abrigeon le sait, le dit, le fait. Et en plus l’écrit, la preuve :

« Le piège amuse s’il est un peu ludique. Les trous, pics et branchages fonctionnent, efficaces, mais ils lassent. Je me plonge dans la lecture d’anciens manuels de chasse, les pièges y sont pléthore. Un peu d’astuce, d’espièglerie, et la mécanique est adaptée à l’homme.

« Le mécanisme est conçu. Il fonctionne. Un mouvement en entraîne un autre. Le levier, levé, déclenche le mouvement de la clenche. Il s’enclenche au préalable. Le ressort se compresse. Sa force est comprimée. Elle attend le stimulus mécanique. Une lamelle se déplace. La ficelle sur la poulie se meut. L’engrenage est simple. Les forces se démultiplient. La mise en branle est dès lors inévitable. Coulisse, glisse. Une fois la chevillette tirée, la bobinette choit. La bobinette chue, tout s’enchaîne alors avec moins de minutie et la sauvagerie s’applique, sans détour. »

L’art poétique tue, il tue toujours, il se tait aussi, de temps en temps, pour aller ailleurs, essayer d’autres milieux, coller à d’autres climats. Il cloue le lecteur, l’aide à s’arracher, on ne saurait s’en passer, on repasse, ça a changé, encore et encore.

D’Abrigeon n’a pas créé Zaroff, certes. Zaroff existait déjà, d’abord dans un film en noir et blanc, puis dans les consciences, à l’état séminal, comme le nom Zaroff, le mot Zaroff, un zaroff oublié chassé par un zaroff recommencé, jusqu’à ce que, bing ! d’Abrigeon reprenne Zaroff, sa force, sa volonté, et lui inocule l’insidieux humour du chasseur sachant chasser, de l’écrivain écrivant qu’il écrit. C’est un jeu de massacre, on se le dit, on le lit.

Et comme si ça ne suffisait pas, Vincent Sardon a créé une des plus chouettes couvertures de livre de l’année. Finalement, ce mois de novembre aura servi à quelque chose.

mardi 12 mai 2009

Fausse commune (sur Ida ou le délire, d'Hélène Bessette, éd. Laureli)

Les éditions Laureli publient cette semaine un nouveau texte d'Hélène Bessette, Ida ou le délire (suivi de Le Résumé). Ida, personnage principal mais personnage absent, parce que disparue, morte, écrasée par un camion, qui dira ce qu'elle fut? C'est l'objet de ce roman à tâtons, panoptique de voix vouées à témoigner, mais aussi à taire, car personne ne savait qui vraiment était Ida, si ce n'est qu'Ida était une servante, donc inférieure de toute éternité. Ceux qui en parlent, donc, ici, par bribes, souvenirs et jugements mêlés, sont ses propriétaires. Et comme souvent chez Bessette, l'approche est disjonctive, intermittente, on sent sous l'énoncé le fard de l'énonciateur (et même le prix qu'a coûté ce fard) – car Ida est, était, à sa façon, une Félicité, avec, comme chez Flaubert, sa chambre où nul n'allait jamais. Ida est une femme âgée, une servante: qu'est-elle d'autre. En quoi sa mort va-t-elle la changer?
Bessette, qui manie l'ironie comme un fragment d'uranium, crée autour d'Ida un prisme d'énoncés qui jamais ne parvient à filtrer de véritable lumière, car ceux qui parlent ne connaissaient pas Ida – ils la possédaient, c'est tout. Et leur condescendance est un siège sur lequel se trémousse leur sage conscience d'assis. Ils l'avaient pourtant prévenu,e Ida: "Regardez pas vos pieds comme ça." Les aurait-elle regardé ses pieds, qu'elle aurait peut-être traversé dans les clous, au lieu de se jeter sous ce camion… Mais les pieds de Ida, c'est ce qui la définit: des souliers à 30 francs, pour elle qui travaille chez les riches, ceux qui ont un balcon, et un balcon ça va plutôt taper dans les 300 000. Problème de Ida: il y a entre 30 et 300 000 un abîme infranchissable.
Pourtant, Bessette ne se contente pas d'écorner la muflerie des maîtres pour bâtir un tombeau à l'humble servitude involontaire. Ida est avant tout (en tant que tiers état à elle toute seule) un trou noir, un objet complexe, qui permet à l'écrivaine Bessette d'en faire un attracteur d'épithètes, de substances, jusqu'à épuisement (impossible) de la matière Ida: Ida-Chose, Ida automate, le cas Ida, Ida non protégé, l'enfant-Ida, Ida-clown… Pullulement étiologique qui n'aboutit pas, dont on ne sait s'il remplit ou vide Ida, d'une substance ou d'un manque. Avec une obstination fractale, les énoncés se ruent sur le trou noir-Ida et – c'est ce qui intéresse Bessette – permettent à la phrase de "décrocher", de changer de vitesse, de déboîter, soit pour aller vers le silence, soit pour vibrer, lyrique, soit encore pour faire tourner la machine à paroles, ricocher les points de vue.
On sent que Bessette tient là un thème moteur, une étoile morte qui rayonne encore. Entre les proprios vampires qui sucent la moelle Ida, vivante comme défunte, et la phrase qui la relance dans tous les coins de la galaxie langagière, Ida dérive, inacessible mais charnelle, avec tout son barda de dentelles et de confiture, ses secrets, ses clés, son esprit, sa mort.

"Méditation longue et douloureuse
blasée rageuse silencieuse résignée
sur un cas.
Un cas particulier.
La pauvre Ida et sa mort."

N'hésitant pas à moquer, à travers le spectre des voix qui tentent de définir ce qu'était Ida, la propre démarche de l'écrivain qui presse sans fin la pulpe de son sujet (ou plutôt: objet), Bessette, une fois de plus, témoigne de ce phrasé irradié de liberté, avec ses déhanchés syntaxiques, ce goût du rejet (le versifié refoulé…), cette façon de casser la gangue narrative pour en faire jaillir une pépite, un os blanchi:

"et Ida dans un troisième espace
maintenant tordue sur l'asphalte sec de l'été."

"Sur l'asphalte sec de l'été": Un énoncé qui n'était possible que dans la grammaire bessettienne, après torsion et poussée à l'extase du mystère-Ida. A la fois tombeau pour une servante défunte, vaudeville de voix veules experts en ravaudages de souvenirs exsangues, poème-cristal mitraillé par le chariot d'une Bessette-Remington balançant toujours entre fêlure et folie (ne pas oublier l'autre titre de Ida: "ou le délire").

Ida ou le délire est suivi d'un texte intitulé Le Résumé, présenté par Julien Doussinault, dont on parlera sûrement très bientôt. En attendant, refermez La Princesse de Clèves (on a assez donné ces derniers temps…) et lisez Bessette.