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lundi 14 janvier 2013

Un cerveau pour quoi faire?

En feuilletant hier, dimanche 13 janvier, les Conversations Burroughs-Warhol (éd. Inculte), livre d'échanges assez superficiels entre le papi du cut-up et l'homme aux soupes à la popmate, avec Lou Reed, Bowie, Mick et alii en special guests parachutés, le tout orchestré par un Victor Bockris qui a toujours cru qu'en mettant Dieu et ses saints dans un réfectoire on obtenait la Cène, en feuilletant, donc, ces conversations à joints rompus, où il est question de congeler le sperme de l'auteur du Festin nu et de la différence entre sauce moutarde et sauce à la crème, on tombe sur ce petit passage où le grand Bill évoque son roman en cours, Les Cités de la nuit écarlate, un roman selon lui "très complexe, très dense" et que Bockris, toujours velléitaire, s'empresse de pitcher à sa place:

Bockris: Un roman noir, mais incroyablement compliqué. Une histoire qui finit en Amérique du Sud chez des gens très riches qui cherchent à se transplanter des cerveaux.
Warhol: Tu veux dire transplanter leur propre cerveau dans un corps plus jeune?
Bockris; L'idée, c'est de transplanter son Moi dans un corps plus jeune, non?
Burroughs: Oui, mais il faudrait déjà savoir où se loge le Moi dans le corps, comme on transplante un foie par exemple.
Le livre reposé, on prend le suivant sur la pile, qui se trouve être Opéra Bouffe (Seuil), de Maurice Roche, il date de 1975 et, s'il n'est pas aussi pyrotechnique que Compact, il a le mérite de rappeler que les textes de Léal et quelques autres ont une préhistoire, bref, mais c'est une autre histoire, un autre pré, mais bon, ce qui retient notre attention au bout de quelques pages seulement, c'est le passage suivant :
"Opération 1   —   ne pas se laisser arrêter par des considérations morales    .     La transplantation du cerveau est possible    Ajout d'une tête de clebs scalpée d'abord, puis détachée au scalpel. Tête reliée à la circulation sanguine du soldat-cobaye-plus-ou-moins-gueule-cassée. Ça ne fonctionnera pas plus de deux ou trois jours   . Mais pendant ce temps le chien aboie, lape du lait  ;  le troufion râle , picole son pichtegorne.
Opération 2    —    décalotter un un ouvre boîte de campagne. Extraction du cerveau couche par couche    ,    puis destruction de la matière grise avec corrosif ou eau bouillante     .     Remplacement du cortex par une éponge     voire un chou-fleur   ."
Voilà. (Je signale que la ponctuation du passage est sic.) Décidément, cette idée de transplantation du cerveau cherchait à s'imposer en ce dimanche 13 janvier. On en est venu à se demander s'il ne serait pas intéressant de concocter une Anthologie de la greffe du cerveau. On doit trouver pas mal d'autres évocations similaires dans la science-fiction, par exemple. On pense au fameux Docteur Lerne, de Maurice Renard (1908), où l'on repère entre autre cette piste intéressante:
« Et puis, pourquoi les éléments du cerveau ne se pourraient-ils rénover, molécule à molécule, sans que la pensée en soit interrompue, de même qu'on peut changer, un par un, les éléments d'une pile, sans que l'électricité cesse pour cela d'en être engendrée? » 
Il y a aussi un nanar tourné par Jacques Doniol Valcroze en 1971, avec Mathieu Carrière, L'homme au cerveau greffé. Bref, on en était là de nos réflexions dominicales quand on s'est rappelé qu'au même moment, dans les rues de la capitale, quelques centaines de milliers de personnes défilaient pour expliquer que les homosexuels ne devraient pas avoir le droit de se marier comme les autres êtres humains qui ne sont pas homosexuels mais qui sont eux aussi des êtres humains bien que différents puisque eux ont le droit de se marier et d'élever des enfants et même de divorcer pour prouver que le mariage hétérosexuel n'est pas infaillible même s'il est évident qu'il faut avoir un sexe différent du partenaire pour l'aimer correctement et savoir remplir une seule déclaration fiscale si j'ai bien suivi mais tout n'est pas très clair et apparemment les pédés faisaient chier quand ils étaient dans la marge et maintenant ils font chier parce qu'ils n'y sont plus mais heureusement on nous affirme que les partisans du mariage pour toutous, euh, pardon, pour tous sauf les gays ne sont pas homophobes point à la ligne majuscule.
Notre cerveau, épuisé par quelques lectures de trop et une foultitude de connections (sauce moutarde ou sauce à la crème??!!), aurait-il opéré un glissement fâcheux et confondu "greffe du cerveau" et "grève du cerveau"?