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lundi 12 juin 2017

La très orgasmique et très secrète Pornarina

© Aurélien Police
Avant même de se lancer dans Pornarina, premier roman de Raphaël Eymery, je me léchais déjà les babines, une opération à laquelle il est possible de se livrer sans pour autant être tératologue ou hématophile, même si un peu de paraphilie, bien sûr, peut ne pas être inutile. Tout d'abord :

1/ le nom de l'auteur, clin d'œil à l'écrivaine Rachilde – de son vrai nom Marguerite Eymery –, auteure prolifique, entre autres du précieux Monsieur Vénus;

2/ Ensuite, l'exergue de la première partie, une citation de Vollmann, extraite de La Famille royale;

3/ Ajoutez à cela, parmi les auteurs prisés par l'auteur, d'après sur son blog: l'encore inédit en français Michael Cisco, dont je suis en train de traduire l'incroyable Animal Money pour le Diable Vauvert + Nicole Caligaris, auteur Verticales à suivre de près.

Bon, je suis d'accord, ce sont là des raisons objectives tout à fait subjectives, mais rien de tel pour mettre en jambes. Donc: one, léchage de babines, two, mise en jambes. Pornarina, here we come!

Pornarina est exactement ce qu'il me fallait par 31° et en plein premier tour des législatives. Une belle échappée au pays de la monstruosité débridée, de la suave dépravation et du fringant néo-gothique. Une plongée rouge et sperme dans les eaux épaisses du grand-guignol, ce genre littéraire peu exploité en France depuis André de Lorde, mais que certains écrivains anglo-saxons savent raviver comme il faut (je pense en particulier à Carlton Mellick III et à Ligotti). C'est un genre qui assume sa démesure, et jouit de sa fascination pour lui-même, s'inscrivant ainsi comme propre sujet de ses élucubrations. Eymery a compris tout ça, et nous donne avec Pornarina une sacrée chevauchée dans les limbes du détraquement psychique, en outre sans jamais verser dans la complaisance gore, tendance parfois pénible du genre. 

L'histoire met en scène le vieux et inquiétant Dr. Franz Blažek, par ailleurs rejeton de siamoises, qui a recueilli Antonie, une môme caoutchouc issue des bas-fonds de Kiev. Blažek est un tératologue, c'est-à-dire qu'il s'intéresse à tout ce qui ressort de la monstruosité. Sa passion prédominante: le personnage éventuellement mythique de Pornarina, une prostituée à tête de cheval qui émascule en série les hommes. Il n'est pas à seul à se passionner pour cette sympathique figure castratrice, ce qui donne lieu à des rassemblements de spécialistes, des traques concurrentes, des coups bas, de fugaces collusions, etc. Très vite, on baigne, que dis-je, on patauge jusqu'au fémur dans une ambiance moite et délétère, imbibée de Huysmans, saupoudrée de Cesare Lombroso (qui prête ses mots au redoutable Sylwan Viperinov), il y a quelques caméos (Sherlock Holmes, William T. Vollmann himself…), une tension palpable à la Thomas Harris (son Lecter cannibale n'est jamais très loin, et un petit épisode vénitien apporte son lot de frissons) et même un zeste de Baudelaire. J'ai oublié Poe et Lovecraft? Qu'on se rassure, ils sont là, bien vivaces.

Si Pornarina séduit, c'est surtout par son rythme changeant, où alternent considérations pathologiques très sérieuse, scènes d'action montées slash (mélange du Kick-Ass de Matthew Vaughn et des weird tales de Seabury Quinn), listes morbides, descriptions cthulhuiesques, le tout emporté par une empathie totale avec son sujet, et une écriture qui fait qu'on est plus du côté de Wittkop et de Lautréamont que de Jean Ray – le magnifique "elle y perdit d'âme ce que de sang coula" de la page 54…). Ode aux freaks et à la fascination qu'ils exercent, excursion dans les plis et replis des curiosa déviantes,  Pornarina prend le genre du néo-gothique et, plutôt que de lui tordre un peu facilement le cou ou de lui tirer la langue, lui refait une nouvelle tête et le couronne royalement. Guignol est grand, et Eymery son prophète. Vite, la suite!

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Raphaël Eymery, PornarinaLa-prostituée-à-tête-de-cheval, éditions Denoël, coll. Lunes d'encre, 19 euros


jeudi 3 septembre 2015

John Barth et William Vollmann sont sur un bateau…

Les hasards de l'édition font qu'en ce moment je suis en train de mettre le dernier octet à deux traductions qui ont la particularité d'être parmi mes toutes premières. Il s'agit en effet du Courtier en tabac, de John Barth, et de You Bright and Risen Angels, de William T. Vollmann. Pour ce qui est du roman de Barth, son histoire éditoriale en France est chaotique (cahotique, devrait-on dire). Je venais juste d'achever ma première traduction, Kilomètre zéro, par Thomas Sanchez, sous l'impulsion de Denis Roche, quand je me lançai, toujours pour le maître de Fiction & Cie, dans la traduction de cet énhaurme roman picaresque, écrit dans le style du XVIIIème siècle anglais, à la manière de Fielding, et paru aux Etats-Unis en 1960. Hélas, le livre ne parut pas au Seuil, faute de l'aide, alors, du CNL. La chose resta dans les tiroirs, puis l'éditeur américain reprit ses droits. Il fallut attendre 2002 pour que Le Courtier en tabac paraisse, au Serpent à Plumes, qui mit les clés sous la porte peu après. L'ouvrage connut une nouvelle et brève vie au Livre de Poche, où, publié assez stupidement en deux volumes, il n'eut guère de chance, car le premier volume s'épuisa et ne fut pas réimprimé, laissant peu de chances à une survie solitaire du deuxième volume. Heureusement, il est des éditeurs passionnés, attentifs, qui refusent de laisser aux oubliettes des livres de cet acabit. C'est ainsi que, à la mi octobre prochaine, le livre va reparaître aux éditions Cambourakis. C'est peu de dire qu'on en est ravis. Publié en anglais en 1960, traduit en 1990, paru une première fois en 2002, le voilà qui revient sur les tables, toujours aussi truculent, truffé de vers et de concours d'insultes, hanté par le secret de l'aubergine magique, revisitant les amours de John Smith et Pocahontas, nous narrant les mésaventures d'un poète puceau, d'un libertin aux mille visages, d'une prostituée au grand cœur, de pirates farouches, de colons ivrognes, d'Indiens crédules… Se jouant des codes du roman, des clichés de l'histoire et d'une langue soi-disant classique, Le Courtier en tabac me rappelle si besoin est pourquoi j'ai voulu et aimé le traduire – et sans doute pourquoi j'ai tout simplement aimé et voulu traduire. (Nota bene; et pendant ce temps Steven Soderbergh travaille à une adaptation télévisuelle du Courtier en douze heures…)

Quant au Vollmann, là encore, il revient de loin. J'avais découvert l'œuvre naissante de Vollmann à la fin des années 80 et cherchais un éditeur français pour s'occuper de lui. Personne alors n'en voulait. Finalement Balland s'y intéressa et je signai pour la traduction de son tout premier roman, You Bright and Risen Angels, une fable épique autant qu'électrique, mettant en scène la lutte des insectes contre la clique d'Edison. Hélas (là encore), Balland mit vite les clés sous la porte. Le projet avorta donc, et la traduction dut caler malgré elle. Vint Bourgois qui publia Vollmann (mais pas You Bright), puis Actes Sud qui, grâce à l'indispensable Marie-Catherine Vacher, se lança dans l'aventure avec La Famille Royale. J'ai pu enfin reprendre ma traduction vieille, là encore, d'un quart de siècle (holy shit!) et la mener à bien. Le roman sortira en février chez Actes Sud. On vous en recausera bientôt.

Puisse ce petit rappel anecdotique donner du courage (ou pas?) aux traducteurs en herbe. Non seulement il vous faudra de l'obstination, de la patience, voire de la longévité, mais surtout il vous faudra croire à la justice divine et au temps incertain que met le fût d'un canon pour refroidir.

mercredi 20 mars 2013

(Don't) Miss Vollmann

Le 8 octobre 2013, notre vision de l'écrivain américain William T. Vollmann risque de changer radicalement – ou pas. Déjà, dans son précédent ouvrage paru aux Etat-Unis, Kissing the Mask: Beauty, Understatement and Femininity in Japanese Noh Theater, l'ami Bill s'était essayé au transformisme sous l'égide d'expert(e)s japonais en la matière. Apparemment, l'expérience lui a plu, et il a récidivé avec tout le commitment qu'on lui connaît. Le Livre de Dolorès, que publieront les éditions powerHouse Books à l'automne, est un album de 200 pages, composé de photos, de gravures et d'aquarelles où il met en scène une certaine Dolorès, son alter ego féminin, avec, nous dit l'éditeur, "malice et parfois cruauté". Auto-portrait fantasmé et cependant réalisé, ce livre permet également à William T. Vollmann d'expérimenter des techniques photographiques obsolètes, comme la gomme bichromatée non argentique, où excellèrent en leur temps les français Alphonse Poitevin et Robert Demachy. Le tout commenté par l'auteur de La Tunique de glace, récemment paru en Lot49. Sacrée Bill.

jeudi 6 décembre 2012

Saga vollmannia: La Tunique de Glace

A paraître en janvier 2013 en LOT49, au cherche-midi éditeur: La Tunique de glace, de William T. Vollmann, premier volume dans le cycle des "Sept Rêves", cette histoire symbolique du continent nord-américain dont est déjà paru il y a quelques années un volume, Les Fusils (Lot49/Babel). Traduit par l'incontournable Pierre Demarty – l'homme qui traduit Didion, Paul Harding… et J.K. Rowling ! –, La Tunique de Glace (en anglais: The Ice-Shirt) est une entreprise romanesque assez particulière, puisque l'auteur se permet de revisiter les célèbres sagas islandaise. Imaginez: Nous sommes au dixième siècle de notre ère. Venus de Suède, de Norvège ou d’Islande, une longue lignée de rois vikings s’apprête à franchir les océans de glace qui les séparent d’une terre mythique : le Vinland, sésame de la gloire et de tous les fantasmes dont l’Amérique sera le nom. Cinq cents ans avant Colomb, Erik le Rouge, Leif le Chanceux, Freydis Eiriksdottir et quelques autres seront ainsi les véritables premiers « inventeurs » du Nouveau Monde. Quittant l’Europe nordique aux vieux parapets peuplés de monstres et de dieux du froid, ils toucheront à ce pays de cocagne, terre de lait, de miel et de légendes, avant d’en être chassés par ses habitants natifs, les redoutables indiens Skrælings…
De cette odyssée grandiose, la mémoire et les mythes ont été conservés dans l’un des documents les plus prodigieux de notre littérature : les Sagas islandaises. C’est à ce monument que s’attaque William T. Vollmann dans ce roman non moins monumental. L’auteur de La Famille Royale, des Fusils et du Livre des Violences, depuis longtemps hanté par les origines héroïques et sanglantes de l’Amérique, ne pouvait pas ne pas se lancer à la conquête de cette mythologie – mais en la transfigurant au gré ses propres obsessions, avec la facétie, la folie des grandeurs et le génie littéraire qu’on lui connaît.
La Tunique de Glace est un opéra de bruit et de fureur, une ode somptueuse et barbare à la splendeur des paysages arctiques et à la geste de nos ancêtres vikings, où dans un joyeux tohu-bohu se mélangent mythologie nordique, fantasmagorie historique, récit de voyage et d’aventures, contes inuits et pastorale américaine…

Extrait:
"Quand un orage s’annonçait dans le ciel, l’herbe et la mousse semblaient jaunir sous cette lumière. Les glaciers devenaient d’un gris vitreux, striés d’escarpements en cascade. Le vent soufflait par timides à-coups, en rafales de plus en plus fortes. Le bruit qu’il produisait semblait émaner du lit du fleuve, d’où il traversait ces longs corridors de pierre en grinçant, et de quelque part sous les ailes de la Montagne Sans Visage, et l’herbe frémissait (à l’exception des petites plantes de la toundra qui demeuraient parfaitement immobiles), et le ciel s’assom- brissait, le soleil blanc faisant pâle et pauvre figure à présent comparé aux nombreux visages de neige dont le sourire était ô combien plus étincelant que le jour lui-même."