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vendredi 23 mai 2014

Les machines à sons du sieur Mellano

La semaine prochaine, les éditions MF publieront le livre d'Olivier Mellano, La Funghimiracolette, paru initialement en 2008, et assorti pour l'occasion de quatre postfaces signées Laure Limongi, Bernard Sève et Sally Bonn et Emmanuel Tugny. Sous son titre en apparence conçu pour s'emmêler les cordes vocales (mais on le maîtrise très vite, rassurez-vous), se cache une drôle de machine célibataire avec laquelle il est possible, et même souhaitable, de fricoter. Des textes courts, fonctionnant à des régimes divers, qui tous racontent, conseillent, inventent ou décrivent un dispositif musical hors du commun. Oui, parce qu'on peut imaginer un symphonie à base de papillons, des joueurs d'archet d'eau, des chuteurs de harpe (un peu dangereux, mais ça vaut le coup), une sonate d'œufs qu'on casse… Bref, mille et un dispositifs qui semblent sortis des songes de Raymond Roussel et John Cage, avec lesquels le lecteur apprend à voir et entendre "la prose du monde sonore" (Sally Bonn). La musique, comme inéluctable expression de tout ce qui est, possibles en sus. Tantôt zen, tantôt zutiste, un peu dada et très dingo, La Funghimiracolette pourra être lue dans toutes les positions, sous tous les climats, en mangeant des tranches de jukebox ou en écoutant MellaNoisEscape, le dernier disque d'Olivier Mellano. On vous propose aujourd'hui la recette du gamelan de pluie:

"Tantôt sur un toit, dans un champ ou sur un parking,
on déplie un tamis de milliers de pétales métalliques,
petits comme des ongles liés par un fil souple.
On attend qu'il pleuve…

On attend.

Et là, de folles gigues aléatoires.
Un carnaval d'insectes à grelots."

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Olivier Mellano, La Funghimiracolette, éditions MF, coll. Inventions, 12 euros [sortie le 28 mai]

mercredi 5 mars 2014

Handschin, ou comment apprendre à lire même en lisant

Il doit bien exister une façon authentiquement retorse de présenter le Traité de technique opératoire de P.N.A. Handschin qui vient de paraître aux éditions Argol, alors pourquoi ne pas l'emprunter à l'auteur lui-même (cette façon), puisque ce dernier (l'auteur) en a fait sa méthode au cours des 333 chapitres assortis de notes en bas de page qui constituent la matière excessivement factuelle et délicieusement hilarante de son livre. Donc donc donc, on pourrait présenter ainsi le nouvel opus de Hanschin:

Chapitre CCCXXXIV

Quatre titres de livres dont trois seulement sont des morceaux de musique,
et dont vous auriez pu offrir celui qui n'en est pas un à Georges Perec1 si vous aviez été l'ombre d'Alphonse Allais

The Windmills of Your Mind2
La Vie en Rose3
Traité de technique opératoire
Qui pourra te dire4



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1. Rappelons que Perec n'a pas pu connaître, malgré toute sa bonne volonté, le grand-père de Harvey Keitel.
2. A reçu le Golden Globe de la meilleure chanson originale et l'Oscar de la meilleure chanson originale en 1969, qui n'est pas une année bissextile.
3. Musique de Louiguy.
4. L'absence de point d'interrogation pose ici problème. On se reportera avec profit à l'article de Pedro Uribe Echeverria, paru dans L'Express le 24/07/2009.

……… (hum)

Bon, évidemment, ça ne vous éclaire peut-être pas dans l'immédiat, mais ça devrait vous donner une certaine idée du fonctionnement de cet interlope Traité, où chaque chapitre se présente comme un état des lieux des connaissances humaines sur tous les sujets possibles et/ou existants, avec en outre possibilité au lecteur de décider des bonnes et mauvaises réponses. Un QCM piégé, pour faire court. Quoique. Il s'agit en fait d'une sorte de revisitation contemporaine d'un genre vaguement inauguré (et subrepticement clôturé) par Madame Sei Shōnagon (et oui, Sei Shōnagon était une femme…) avec ses Notes de chevet, et dont on aurait mélangé les pages avec celles (les pages) d'un encyclopédie rédigée par des castors dilettantes (ou des moines cocaïnomanes). Précisions que toutes les informations fournies par l'auteur dans son livre sont véridiques, ou tout comme, qu'il s'agisse de l'existence de la pelle mécanique New Holland Kobelco E215 (jaune, de préférence) ou de la longueur d'une matraque télescopique déployée (Rem: j'ai vérifié 67,30 % des données figurant dans le livre au cours d'une insomnie pendant laquelle je n'ai pas dormi, faute de pouvoir trouver le sommeil – choses et gens n'ont pas été inventés).
Il y donc de tout, donc, dans ce livre; en fait, il y a tout, dans un fier pêle-mêle, et c'est ma foi fort pratique même si c'est parfaitement inutile, au sens où nous-mêmes en venons à douter de notre utilité.
On y apprend, on y désespère, on y rit beaucoup (sans savoir pourquoi, parfois, ce qui fait deux fois plus rire). C'est abyssal et primesautier, potache et grandiose. Et on finit par se demander à quoi rime, à part en Chine, ce magicien de Handschin. Oui, puisque tout cela – cette immense compilation de données ordonnées selon d'absurdes rites rhétoriques – est profondément vain (et donc drôle + instructif), on est en droit de se demander ce qui, littérairement, ici, fait sens. Et dans quel sens ça va. Si même sens il y a. Et ce qu'est le sens, dès lors qu'il est changé en particules et nous en cyclotron. Non pas: que nous dit l'auteur? Mais: que disent les faits? Que font-ils? Quel effet? Sont-ils ce qu'ils font, ce qu'on en fait? Savons-nous les dire?
Sauf qu'en tutoyant l'exhaustif, en parodiant les mécanismes du savoir, en se jouant des codes du questionnaire et des règles de la compétence, en travaillant jusqu'à l'absurde l'énumération, et en saturant son texte de notes en bas de page aussi édifiantes que viciées, Handschin règle définitivement son compte au sens (et à la manie qu'a le sens de vouloir faire sens), mettant à nu la vanité de toute donnée, rendant gaga les data, et démontrant par là même qu'écrire peut être aussi une façon sensée de se rire du dire (Rabelais est ici le maître caché). Mais surtout, Handschin, comme à sa délectable habitude, nous oblige (sans pour autant nous menacer…) à considérer l'acte de lecture comme une farce dangereuse dont nous ne serons jamais sorti d'affaire. Car son livre peut se lire de plus d'une manière, chacune créant un effet distinct, toutes opérant un vertige, dans une course à l'indécidable qui secoue en nous l'amateur de certitude. Or, tel l'illustre couteau de Lichtenberg, le Traité de technique opératoire brille par ce dont il s'ampute mais n'en perce pas moins la croûte des apparences. 
On peut, on doit, on devrait offrir ce livre à n'importe qui, au premier venu et au dernier parti. Car il s'agit d'une boîte à outils comportant le secret de la lecture. Une boîte de pandore pleine de tiroirs coincés, et dans l'un de ces tiroirs, en cherchant bien, on risque de trouver, comme dans le film Kiss me deadly, ce qu'on n'osait plus chercher. N'importe quel lecteur peut y trouver son compte, ou plutôt s'y voir proposer, l'air de rien, un règlement de comptes. Tout y est vrai, on l'a dit, même le chapitre CLVI intitulé "Ce chapitre a malheureusement été supprimé", qu'on se gardera bien de confondre avec le chapitre CXXXVIII intitulé "Description d'un paysage invisible". Enfin, s'il faut convaincre les lecteurs les plus rétifs, rappelons que le Traité de technique opératoire de Handschin, s'il avait été une perruque, aurait sans doute permis à Lawrence Sterne de faire sensation lors d'un concours d'araignées phosphorescentes (et de boire un verre de polonium avec Raymond Roussel).
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P.N.A. Handschin, Traité de technique opératoire, éd. Argol, coll. Locus Solus, 19 € – Rem.: Rappelons qu'un poncho en alpaga n'est pas offert à tout acheteur de ce livre.

jeudi 10 octobre 2013

Lire autrement à Bordeaux

Pour les 10 ans de son festival d’automne, Lettres du monde a concocté un programme anniversaire des plus réjouissants. Un festival de rencontres et de lectures avec des écrivains de différents pays du monde, des traducteurs, des éditeurs… Pour ceux que ça intéresse, je participerai à deux rencontres:

Tout d'abord le vendredi 11 octobre, à la librairie Georges (Talence), à 18h30, où il sera question de "lire autrement", au fil d'une conversation avec l'écrivain et libraire Jean-Pierre Ohl, autour de quelques ouvrages (Butor, Danielewski, BS Johnson, Morwyn Gheitl…). Une invitation à découvrir et parfois voir des textes d'écrivains qui, selon les cas, par leur forme et leur structure, la combinaison des styles et des genres, la juxtaposition des récits, le jeu avec la mise en page, ont modifié la situation du lecteur, l'obligeant à de nouvelles manières de vivre.

Ensuite, le samedi 12 octobre, à 16h, à la Bibliothèque Mériadeck – 3ème étage ( 85 Cours du Marechal Juin – 33000 Bordeaux), je présenterai quelques-uns des auteurs et des textes qui composent ma "bibliothèque idéale". De Flaubert à Raymond Roussel en passant par Apollinaire, de Beckett à Chalamov, de Nabokov à Rick Moody... La conversation sera animée par Jean Laurenti, critique littéraire.

Venez très beaucoup!

(Et sinon, pour ceux qui se posent la question, oui, le Front National est bel et bien un parti d'— —.)

lundi 25 février 2013

Douze pieds et quelques crocs

Cette semaine commence bien. Il fait un temps à relire Stig Dagerman. L'UMP est scandalisée parce que Hollande a voulu rassurer une fillette en lui disant que le père Fouettard ne reviendrait pas de sitôt. Et on peut voir des peintures de Henry Darger à l'incroyable Museum of Everything qui s'est installé jusqu'à la fin mars au 14 bd Raspail à Paris.  Les Misérables ont eu un Oscar pour le maquillage, ce qui fait sens. Et les Femen ont fait chier Berlusconi devant les urnes. Donc, n'en demandons pas trop. Pourtant, ce n'est pas l'envie de nous faire une ligne qui nous retient. Pourquoi? La réponse tout de suite.

Tracer une ligne n'est pas une opération de tout repos, surtout quand la ligne en question est une ligne d'autobus, celle du 29 plus précisément, et qu'elle est déclinée en alexandrins et soumise au cahots des digressions. C'est pourtant ce que fait Jacques Roubaud dans son Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, publiée récemment les éditions Attila. Un chouette livre par sa conception et sa réalisation, confiée à des élèves de l'école Estienne, où les caractères changent de couleurs selon les niveaux du discours, où souvent les derniers mots des vers voient leur syllabe finale génétiquement modifiée afin de respecter la rime à l'œil (ce dernier mot, chez Roubaud, pourrait donc rimer avec fautœil), où l'orthographe en général est bricolée pour mettre à l'aise ce grand benêt d'alexandrin. Evidemment, le modèle absolu en arrière-fond, on le sent bien, et en plus c'est dit, n'est autre que Cosmogonie de Queneau, même si on sent à tous les hémistiches l'ombre du Roussel des Nouvelles Impressions d'Afrique ou de La Seine, ainsi que les mânes urbaines de Perec. 
Roubaud fait le malin et aime ça. Tour à tour drôle, potache, faussement sentencieux ou ostensiblement érudit, il cherche à convaincre le lecteur que l'alexandrin a encore de beaux jours devant lui, et que la poésie l'a peut-être enterré un peu vite. Il le déshabille, le déguise, le désarticule, l'affuble et le fabule. Le réanime au cas où il serait crevard (alors qu'il va très bien, hein, c'est juste les conditions bourgeoises de sa productions qui ont pris un coup dans l'aile, a-t-on envie de dire). Mais cette Ode faussement linéaire (parce que digressive) ne se contente pas de dire ce qu'elle fait et de faire ce qu'elle dit (ce qui est déjà beaucoup). Elle se permet des petits écarts de route, déboîte parfois sèchement pour filer un coup de pare-chocs aux confrères en poésie de Roubaud, comme si redorer (ou dé-rouiller) l'alexandrin allait de pair avec la sortie de route et le tête à queue.
Dans le chant II, l'auteur se moque des écrivains qui pratiquent le "document poétique" (les mêmes selon lui qui conspuent "les zou lipiens qui font des fable / pour réparer des ans l'outrage irréparable"), donnant ainsi l'impression d'une querelle des anciens et des modernes. On est surpris par l'apparition de cette guéguerre littéraire qui semble agacer passablement Roubaud, lequel se complaît à jouer volontairement les vieux cons à qui on ne la fait pas (ce qui, à son âge, est risqué). Déjà, dans le chant I, pourtant, l'attaque commençait fort :
"Il est temps de marquer     un temps d'arrêt, le stile
De mon ode     paraître difficile
Au lecteur habitué   des écrits qui hont cour
Post-modernes romans   post-poésie à jour
Du goût contemporain,   rap! slam! "nouveau lyrisme"!
Dada régurgité!   hou vieux-breton! lettrisme!
    Disciples des hayd'sick   des blaineu des métaill
    J'admire vos effor    physiques, ne ne raill'
    Ni vos gueulantes ni   vos cris ni vos mimiques
    Ni l'attirail de bé   quilles zélectroniques
    Micro zou ho-parleur   en cent dispositions
    Qui semble indispensable   à vos prestati-ons
          Héroïques héros   du grand vroum vroum disciples
          Dans la soci-été   vos soutiens sont multiples
          Municipalités    journaux et cultureux
          Frétillent de bonheur    vous exaltent, heureux
          De se voir délivrés    de ce dont ils ne savent
          Que faire, ces écrits […]"
Et ça continue dans cette veine en mal d'œdème encore quelques vers. L'attaque contre Bernard Heidsieck (hayd'sick) et Julien Blaine (blaineu) surprend un peu, non seulement parce qu'elle est hors de propos, mais surtout par son inutile virulence, car on voit mal en quoi les tenants de la poésie action et de la performance sonore nuisent (ou ont nui) à la poésie et encore moins à Roubaud. Du coup, les pyrotechnies érudites et cocasses de Roubaud prennent un sens revanchard, comme si le fiel  imbibait la page où se meut son bus. D'autant que son livre peine malgré sa vélocité et sa pétillance à dépasser l'hommage mimétique au maître Queneau. Pourtant quelle furibonderie dans le verbe, quelle souplesse dans l'enjambement ! Le livre se lit à voix haute et sinueuse, et constitue une réelle expérience de lecture, on est surpris, à l'œil et à l'oreille, et oui, il y a plein de citations, c'est riche, énergique, nerveux, même si ça un fait peu son mariole de temps en temps. Dommage que le bus roubaldien se soit cru obligé de rouler sur les clous de la poésie action (ajouter un accent circonflexe au "a" de Quintane n'est pas ce qu'il y a de plus finaud, convenons-en). Bref, malgré la nostalgie cachée à l'œuvre dans cette odyssée eratépéenne, on a souvent envie de prendre le maîtr'ho peaulitin, histoire de faire un p'tit tour de manège dans l'undeurrrgroune…