Quand un magistrat fait part de ses engouements littéraires, comme c'est le cas de Philippe Bilger pour la romancière Françoise Bourdin, ce n'est pas pour parler style, mais pour instruire un procès. D'abord celui de la presse littéraire, celle du Monde en particulier, à qui il reproche un certain mépris pour la littérature populaire (rappelons que F. Bourdin vend à peine moins que Musso et Levy…). Que pourrait bien faire la pauvre Françoise pour avoir droit aux honneurs du Monde? Pas grand-chose, hélas, ainsi que le déplore maître Bilger:
"Même si Françoise Bourdin s'efforçait d'instiller de l'hermétisme et de glorifier l'homosexualité, cela, je le crains, ne suffirait pas."
Bon, là, on voit clairement que ce qui agace cet amoureux des lettres, ce n'est pas le désintérêt du Monde pour les best-sellers, mais leur prédilection pour… l'hermétisme et l'homosexualité. C'est beau, la subtilité, quand même. Ça évite d'être frontal, ça permet de ne pas dire: eh-oh, bande de pédés abscons. Mais tout le monde comprend le message. La litote agite ici sa fière dentelle pour mieux diffuser ses vents brenneux (aïe). Ça permet aussi de dire: non mais dites donc, je suis magistrat, je lis des livres, j'interviewe des humoristes, en plus j'ai le droit de sortir des trucs aussi énormes. Mais Bilger ne manie pas que la litote. Il excelle également dans la peinture de mœurs. On en prendra pour preuve ce portrait qu'il fait d'Alain Soral :
"Parcours contrasté, chaotique, apparentes fluctuations idéologiques mais sous-tendues par une approche jamais banale, toujours provocatrice, à contre-courant, une infinie répugnance à l'égard des poncifs même les plus utiles, les plus bienfaisants, une maîtrise du langage violent dans sa netteté et son art des formules […] un dissident campant sur sa singularité de foudre, d'humeur, d'agression et de discrimination, une nature."
Chaos, flux, passion, solitude, violence, foudre — nature! On pourrait croire qu'il parle de Nietzsche, mais en fait non, il parle bien d'un homme d'affaire franco-suisse et national-socialiste. Et une fois de plus, on retrouve l'imparable et brune rhétorique qui glorifie la singularité des trafiquants de fiel sous prétexte qu'ils ont du panache, voire des couilles. Ça a le mérite d'instiller du compréhensible et de glorifier la virilité. Mais Soral n'est-il pas antisémite? Oui-mais:
"Antisémite affiché, Soral fait preuve sur ce plan d'une déplorable pauvreté intellectuelle en même temps que d'une triste éthique quand il justifie sa position notamment par le fait qu'il était signifiant et révélateur que les Juifs avaient toujours été persécutés et qu'en quelque sorte leurs souffrances venaient d'eux."
Bon sang mais c'est bien sûr! Ce que Bilger reproche éventuellement à Soral, ce n'est pas d'être antisémite, mais de faire preuve de "pauvreté intellectuelle" dans la justification de sa "position" (oui, vous avez bien, lu, l'antisémitisme est une position). Ce qui n'empêche pas Soral de camper dans une "singularité de foudre". Là encore, on n'est pas franchement dans l'hermétisme.
Bref, quand maître Bilger tient dans son bec un fromage, on n'est tout sauf alléché par son odeur. Et on se dit que, finalement, un des grands mérites du mariage pour tous sera d'avoir contraint les corbeaux à se tailler des plumes entre eux.