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samedi 21 novembre 2015

Que d'Oz! Le magicien Levallois


Le Cycle d'Oz de L. Frank Baum fait partie du patrimoine littéraire américain. Salué par bon nombre des plus grands écrivains de langue anglaise, de Salman Rushdie à Richard Powers, en passant par Margaret Atwood ou encore Thomas Pynchon, les références plus ou moins explicites à ce cycle abondent dans la littérature romanesque anglo-saxonne depuis plus d'un siècle. Cette œuvre cruciale, à l'instar du Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, n'avait jamais bénéficié en France d'une traduction intégrale. Hormis Le Magicien d'Oz, qui ouvre la série, seuls les deuxième et troisième romans du cycle, qui en compte quatorze, avaient été publiés en langue française, dans des versions tronquées et adaptées pour la jeunesse (Dorothy s'appelait Lily et vivait non au Kansas, mais en... Arkansas ! Et Oz était orthographié... Ohz !).

En 2013, le cherche midi a décidé de proposer au public français pour la première fois une traduction intégrale du cycle. Les trois premiers volumes ont été publiés (le troisième vient juste de sortir…) et les illustrations ont été confiées à Stéphane Levallois.

Stéphane Levallois a ainsi réalisé plus d'une centaine de dessins pour ce projet et, à l'occasion de la sortie du troisième volume du Cycle d'Oz au cherche midi, nous avons eu l'idée de réunir tous les dessins effectués par Stéphane dans un seul ouvrage : Oz, afin de faire découvrir son travail au public, en grand format.

Stéphane Levallois dédicacera son livre à la librairie des Batignolles (75017) le 26 novembre à 19h.

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Stéphane Levallois, Oz, préface de Claro, le cherche midi éditeur, 39 €


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Et donc, également, le troisième volume du Cycle d'Oz en librairie, comportant les deux titres suivants: La Route d'Oz et La cité d'émeraude, traduit de l'anglais par Anne-Sylvie Homassel et Blandine Longre:


jeudi 4 avril 2013

Serpentins et vorticettes (with a zest of Cimino)

On avait repéré cette merveille tartiforme sur le site d'Hélène Morice, foliealdente : le serpentin de légumes et jambon. Après quelques secondes consacrées à la salivation, on s'était promis d'en reproduire sinon le camaïeu, du moins l'esprit ombiliqué. On a remplacé le duo courgette/carotte par un combo courgette/aubergine, troqué la crème roquefort par un petit liant moutardé, et oublié l'aoste pour du prosciutto. De quoi s'agit-il donc? Faites un fond de tarte brisé que vous ferez précuire dix-minutes pour assurer la bonne étanchéité de cette roue destinée à faire tourner les têtes affamées. Pendant ce temps, à l'aide d'un économe assez large, prélevez de fines lanières de courgettes et d'aubergines sur les légumes éponymes. Faites cuire quelques minutes vos lanières d'aubergines au four, personne ne s'en plaindra. Commence alors l'assemblage. Hélène pratique la technique du rouleau virtuose, mais, petit joueur, on a procédé par lente colimaçonnade. En partant de l'extérieur, on a disposé nos lanières en partant de l'extérieur, en alternant aubergine, courgette, fromage (brebis), prosciutto, jusqu'à épuisement de l'espace investi. Puis on a nappé le tout par éparses louchées de notre petite crème relevée. Salez, poivrez, la disque est prêt à chanter. Une gourmande demi-heure au four, et on peut servir la bête avec une roquette et des cœur-de-bœuf passées au grill, par exemple. S'il en reste dans les assiettes, c'est que vos hôtes sont morts entretemps de contentement.
On a poussé le vice jusqu'à baptiser la chose "vorticette", en s'appuyant sur le latin, vortex, avec dans l'idée celle d'interprétation spiroïdale  tendant à montrer une description de l’infini, tant qu'à faire. On a aussi pensé à ces vers d'Hugo Victor: Ce tourbillon sombre et rapide, / Qui roule une voile en ses plis. Puis on s'est rué sur la glace au beurre salé et on a regardé The Deer-Hunter parce qu'on aime beaucoup l'œil du cerf qui convulse dans la brume pennsylvanienne, "Can't Take My Eyes Off You" chanté par Frankie Valli, le petit rat gris qui court sur les prisonniers américains, le bonnet de De Niro, les larmes refoulées (ou pas) de Meryl Streep, l'ersatz de sourire sur les lèvres de Walken, accompagné d'un haussement d'épaules décentré – bref, une poignante réécriture du Magicien d'Oz, avec Michael dans le rôle du bûcheron, Nick dans celui du lion, Steven dans celui de l'épouvantail, et Dorothy restée au bercail sweet bercail. Et le Magicien, direz-vous? Ben, c'est Cimino, les gars.


jeudi 29 mars 2012

Par le trou de l'écriture : Baker is back


Avec House of Holes – la maison des trous… –, qui sort bientôt aux éditions Bourgois sous le titre gentillet de La Belle Echappée, Nicholson Baker fait fort. Non content de subvertir le genre féerique, avec clin d’œil à Lewis Carroll et Frank Baum, entre autres, il fait de la pornographie une célébration lubrique – et lubrifiée – à mettre entre toutes les mains consentantes et majeures. Oh, l’histoire est simple, simple comme un coup tiré sans semonce, dans la pure tradition des contes et des légendes, si ce n’est qu’ici on frotte tout autre chose que l’antique lampe d’Aladin. Des hommes et des femmes, à la faveur d’un orifice (paille à cocktail, tambour de machine à laver, rond créé par la jonction du pouce et de l’index d’un bras sectionné, je vous passe l’inventaire des échappées belles possibles…), se retrouvent catapultés dans un monde où baiser, sucer, tripoter et autres variantes sont monnaie courante. Certes, ce monde fantasmatique a ses règles, ses interdits et ses peines, mais globalement chacun y assouvit tout ce qu’il souhaite assouvir, et même les sentiments, les affections, les regrets ont droit de cité. C’est délicieusement bandant, comme l’est assez rarement la littérature ouverte aux émulsions de la chair débridée, mais surtout c’est, mine de rien, sacrément subversif.
Car, non content d’adoptant le ton du récit féérique, voire « Young adults » pour ne pas dire « Small perverts », Baker se permet tout ou presque. Réveille-t-il le vice au sein d’une littérature prétendument naïve mais bien évidemment codée comme l’est celle qui met en scène des mondes merveilleux, ou règle-t-il le compte à la pornographie en la plongeant dans le bain idyllique du fantasme bon-enfant ? Un peu des deux, apparemment. Une fois introduit dans la Maison des trous, tout est possible, ludique, que ce soit le gang-bang consenti, le strip-tease filmé, le savonnage de couilles, le cum shot à profusion, etc. Bon, pas tout, quand même, car le sexe ici se joue entre adultes consentants, donc adieu pédophilie, zoophilie, philatélie et compagnie. Mais bon, ce que Baker s’amuse à tisser, c’est ni plus ni moins la vaste tapisserie des pulsions – américaines ? universelles ? – enfin délivrés des tabous, convenances et contrariétés dont la société s’enorgueillit.
Le principe Baker est ici on ne peut plus clair : le sexe est la chose au monde la mieux partagée, du moins dans l’intimité des chairs et la pudeur des consciences. Imaginons donc un lieu (payant pour les messieurs, on sent venir l’arnaque…), où baiser est non seulement possible « à la carte », mais ciblé, classifié, avec consultation de l’intéressé. Les participants apprennent donc, au fil de mésaventures riches en caresses prolongées et en panache de foutre, les règles nouvelles d’un plaisir débridé. Car il faut savoir parfois se retenir – de toucher, de reluquer –, et il y a même pornavion qui s'en va aspirer toute la grossièreté sexuelle accumulée chez les hommes. Le bordel de monsieur Baker n'est pas non plus l'open bar du sexe. C'est davantage un club où il faut montrer bite blanche. A peine arrivé, il faut être désinfecté et scanné pour vérifier qu'on n'a pas de maladie vénérienne. C'est quand même mieux que l'armée. Et globalement, ce sont les femmes qui fixent les règles. La patronne s'appelle Lila. Et quand Lila dit non, c'est non. Si on désobéit, eh bien on vous les coupe, mais comme on est sympa, on vous les rend un peu plus tard. Ah, il y aussi une voleuse de clito. Et des étalons sans tête. Des wonderwall mit glory holes. Des toboggans à friction. Ici, le magicien ose.
La pornographie n’a pas l’habitude de trôner ainsi, de façon profondément décomplexée, comme si les tabous étaient juste un gant empêchant la main d’approcher la vérité tactile. Pourtant, Nicholson Baker va plus loin. Il laisse monter au premier plan la puissance gaie du sexe, l’humour des positions, la facétie des sucs. Inventant sans retenue toutes sortes de désignations fantasques à nos appendices et à l’usage, possible et jubilatoire, qu’on est en droit d’en faire, concevant des dispositifs quasi rousséliens pour que ça jouisse à proportions, et ce toujours sur un ton primesautier.
Baker structure sa « maison des trous » comme un inconscient, mais un inconscient à thème, un inconscient devenu parc d’attraction, de fornication. Et nous y pénétrons d’autant plus volontiers que l’auteur a su employer la méthode la plus perverse qui soit : la douceur.
Stimulant, comme on dit dans l’espace interfémoral.

dimanche 4 octobre 2009

Forcer le mufle aux océans poussifs

"Je regrette l'Europe aux anciens parapets": non, ce n'est pas ce que dit, ce qu'écrit Camille de Toledo dans son livre Le Hêtre et le Bouleau, essai sur la tristesse européenne, paru le 1er octobre aux éditions du Seuil dans la collection La Librairie du XXIème siècle. L'auteur, s'il ouvre son livre par un sentiment mélancolique, prend vite soin de le distancer de toute nostalgie, pour se concentrer sur les sources et les formes d'une "tristesse" qui serait comme l'ombre d'une joie, joie survenue avec la Chute du Mur de Berlin.
Novembre 89: que tombent ces murs de briques si tu ne fus pas bien aimé… a-t-on envie de murmurer. L'Europe, pioche à la main, célèbre la fin d'une scission, à défaut d'une suture. Et tandis que l'Est va voir ce qu'est cette mythique liberté de l'Ouest, tandis que l'Ouest se voit ouvrir un nouveau marché, un homme s'installe au pied des pierres tombées pour jouer Bach. C'est Rostropovitch, mais personne ou presque ne voie les passants historiques lui jeter des pièces, l'ayant pris à tort pour un mendiant. Partant de cette méprise, du sens de cette méprise, Toledo revient sur l'événement pour nous aider à le penser en termes d'oubli et de mémoire. La joie iconoclaste née de la cassure de la cassure n'aurait-elle pas caché une tristesse nouvelle, celle qui surgit de la disparition de l'autre. Car après la Chute (quel nom négatif pour désigner un geste censément porteur d'espoir…), "nous sommes condamnés à la gestion ou à la survie, au règne d'une animalité technocratique ou affamée".
Toledo a le courage et l'intelligence de se demander comment penser une Europe qu'on suppose et espère débarrassée de ses deux piliers, la sélection des races et la lutte des classes. Car si ce grand ménage nous dévoile le danger de toute "eschatologie politique", il signe aussi le glas des rêves de "transformation collective".
Donc, nul regret. Mais un constat, qui appelle pensée et acte: "La pédagogie du XXème siècle, obnubilée par la non-reproduction des crimes, nous interdit d'expérimenter des avenirs possibles". Comme si le simple savoir du passé garantissait la conduite morale.
Toledo se sert alors d'arbres pour dépasser son propos. Après le rhizome deleuzien, qu'il connaît parfaitement, l'auteur a recours au hêtre, arbre européen par excellence, aux feuilles caduques, ce qui fait de lui un être-h, un h-être, qui s'inscrit très judicieusement dans la ligne de l'hontologie lacanienne et de l'hantologie derridienne. L'hêtre n'est pas seul: il a en face de lui le bouleau, cet arbre indissolublement lié aux temps concentrationnaires, tels que rapportés, entre autres, par Levi et Chalamov.
Les bouleaux coupés, pouvons-nous vivre à la seule ombre de l'hêtre européen? Toledo nous propose alors de lire ou relire un magicien nommé Oz, Amos Oz, ainsi que Kertész, et nous engage à penser l'acte de l'oubli, et la peur qui y est liée. Après les monuments, après les cimetières, que peut édifier la mémoire si elle veut affronter l'avenir? La réponse, le terrain de recherches est sans doute à guetter du côté de la langue. Et Toledo de rappeler l'énoncé suivant, signé Umberto Eco: "La langue commune de l'Europe, c'est la traduction". Non pas imposer une langue – on a vu et on voit ce que ça donne… – mais créer une "école du vertige", actualiser "la polyphonie des récits". Toledo termine son livre par des propositions, concrètes, enthousiasmantes. Il nous dit l'enjeu de la traduction, non comme machine à importer ou exporter des produits culturels, mais comme babélisation jubilatoire des savoirs encore éparpillés. Comme circulation dans un espace multiplié. Utopie linguistique? C'est précisément cela que cherche Toledo: la création d'une utopie comme moteur à la prochaine aventure européenne. On peut par ailleurs faire un tour sur le site de la Société européenne des auteurs, en particulier de ce côté-ci.
Que peut-on souhaiter à Toledo ? A cette question, posée un jour par John Jefferson Selve, l'auteur a répondu très clairement: "Des complices." Message reçu.