dimanche 4 décembre 2011

Pressons patience: lectures à venir

Partagé entre un livre en quête de finitude (autrement dit un bouquin à terminer) et divers déplacements à Marseille et en Argentine (où ma femme Marion Laine tourne son deuxième long métrage cinéma, Un singe sur l'épaule, avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez — on vous en reparlera plutôt cent fois qu'une), je n'ai guère eu le temps de me consacrer aux mille et une lectures que je voulais. Je n'aime pas l'idée de parler des livres en trois lignes, mais là je vois mal comment je pourrais taire les titres de ces livres qui piaffent sur ma table de chevet, que j'entrouvre régulièrement en attendant de trouver le temps de leur consacrer un temps décent (et une attention digne de ce nom), car à chaque fois que je les hume ils me disent des choses, m'en promettent d'autres, et me menacent quasiment si j'ose m'imaginer les éviter. C'est l'éternel paradoxe: l'envie de lire tel livre se doublant de l'envie de lui trouver le bon moment (en se disant que ça peut être dans dix heures, dix jours, dix ans — parce que ce ne sont pas des denrées périssables, enfin si, certains, mais comme ces derniers ont été conçus comme tels, ne les plaignons pas). 

Voici donc ce qui me pend aux yeux:

• Mourir de mère, de Michael Lenz, éd. Quidam, traduit de l'allemand par Sophie Andrée Herr;
• La vache au nez subtil, de Campos de Carvalho, éd. LaureLi, traduit par l'excellent Emmanuel Tugny;
• Palabres, de Urbano Moacir  Espedite, éd. Attila, traduit par Bérengère Cournut et Nicolas Tainturier, avec des dessins et gravures de Donatien Mary;
• Se constituer vrai/ment grand-père, de Julien Blaine, éd. Le Bleu du Ciel (acheté à l'Odeur du Temps, librairie marseillaise sublimissime où les déchets n'existent pas);
• Peeping Tom, d'Alessandro Mercuri, ed. Leo Scheer;
• Cheese Monkeys, de Chip Kidd, éd. Inculte, traduit par l'ami Aronson (avec la collaboration de JC Ladurelle);
• Cinacitta, de Tommasio Pincio, éd. Asphalte, traduit par Sarah Guimault;
• Le sang du ciel, de Piotr Rawicz, éd. Deuxième Edition;
• Yama Loka Terminus, de Léo Henry & Jacques Mucchielli, éd. L'altiplano.
La liste pourrait ne pas s'arrêter là. Tous m'ont été conseillés par des amis, et bien souvent offerts par eux, car c'est ainsi que vont et viennent les livres, entre yeux et cœur concertés. Merci donc à Hugues Robert, Poucette, Fabrice Colin, les auteurs, les éditeurs, les libraires, les proches, etc. pour m'aider à faire le tri dans la beauté des choses. Dès que je finis mon livre, promis, je dévore vos offrandes.

Poppermost Pacôme

Il y a presque dix ans, les éditions Musica Falsa publiaient un drôle de livre signé Pacôme Thiellement intitulé Poppermost, considérations sur la mort de Paul McCartney, que je n'ai lu "vraiment" que très récemment, à la faveur de trajets ferroviaires, entre Paris et Marseille, en écoutant, casques sur les oreilles, non pas les Beatles mais plutôt des chants juifs ou des reprises de reprises de reprises…. Est-ce d'ailleurs un livre sur les Beatles? Rien n'est moins sûr. En fait, l'auteur, en recourant à une méthode schizo-analytique dont il relance la donne en la nourrissant de réflexions pop, se penche sur la question du devenir, et son avortement. Quand devient-on Beatles (ou plus précisément "autre", "walrus")? Quand cesse-t-on de déplier le désordre du monde pour redevenir celui qui ne devient plus mais se contente de passer par les cases de l'être? Le grand concept à l'œuvre dans le livre est celui de "tour", que Thiellement décline également en "entourloupe". Etre l'homme-œuf demande un certain sens du vertige, façon derviche. Eclairant cette histoire de "tour" avec les lueur de Lewis Carroll, Artaud et quelques autres, confrontant l'entreprise des Beatles aux derniers avatars du christianisme, Thiellement finit par créer un livre d'un romantisme très particulier, un romantisme irradié où la question de l'identité est sans cesse remise sur la sellette, comme s'il importait, jusqu'au bout, d'être "naïf" (au sens poétique), et de croire, une avant-dernière fois (celle-là, seule, compte) qu'il est possible de se défaire de soi-même, une bonne fois pour toutes, et ce sans verser dans les ornières diverses qui accompagnent l'infini des chemins pop-rock (satanisme, guitar-héroïsme, mercantilisme etc, tout ce qui lie le rock et la pop à une orthodoxie cheap). Le livre se double en outre d'une belle visite aux Residents, qui aide à tout mieux comprendre et faire détonner. L'anonyme comme phase deux du collectif. Deviens ce que personne n'est: ni toi ni lui ni les autres, mais all together.
Riche et furibond, généreux et bousculeur, bourré de freaks et de tricks (mais ne trichant jamais avec le lecteur — il est bien trop généreux pour ça), Poppermost redistribue les cartes de la mythologie pop (malicieux tarot…), et, dans une langue qui se rêve sans organes, approche au plus près de la couture entre eros & thanatos, l'air de rien, comme si la ritournelle du devenir butinait le plus noir sillon. C'est le livre d'un troubadour shooté à la pensée, un livre joyeux, funambule, qui ne laisse entrer la tristesse que pour mieux y chercher des lignes de fuite, possibles ou impossibles. C'est aussi un livre sur l'amitié, donc un livre de philosophe, entre marteau et enclume, qui sans cesse attrape le lecteur par les épaules pour l'entraîner dans une danse, possiblement nervalienne, dont le nom reste à inventer. Bref, une revolution 9 + 1 + 1…
C'est le livre de celui qui sait que I am he as you are he as you are me and we are all together.
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Pacôme Thiellement, Poppermost, éd. musica falsa, 2002

Babel, le retour

Les éditions Le Bruit du temps devraient recevoir la Légion d'honneur (ou plutôt l'ordre du mérite éditoriale; ils viennent en effet de publier les œuvres complètes d'Isaac Babel, et ce dans une nouvelle traduction (et avec un appareil critique) signé Sophie Benech. Jeudi 8 décembre à 20h00, la librairie Le Comptoir des Mots vous convie donc à une soirée autour d'ISAAC BABEL.
 
Ça se passe à l'adresse suivante: 239, rue des Pyrénées 75020 Paris - M° Gambetta). Vous pourrez rencontrer la traductrice, mais aussi l'éditeur, l'excellent Antoine Jaccottet).
 
En attendant jeudi, voici le début d'un texte écrit par Sophie Benech (paru dans le Matricule des Anges en mars), et dont on peut lire l'intégralité sur le site de l'éditeur (il suffit de cliquer sur le lien associé au nom de la traductrice un peu plus haut, voyez comme c'est facile):

Pour une traductrice qui, comme moi, a la chance de ne traduire que des auteurs qu’elle aime, chaque traduction est avant tout une rencontre. Tous ceux sur lesquels j’ai travaillé m’ont marqués, qu’il s’agisse de Chalamov qui m’a accompagnée pendant des années et auquel je pense chaque jour, de Léonid Andreïev, cet esprit tourmenté et attachant aux prémonitions fulgurantes et au style savoureux (même s’il n’a pas l’envergure du premier). Ou qu’il s’agisse d’auteurs contemporains, comme Ludmila Oulitskaïa, avec ses histoires dans lesquelles je retrouve la personne humaine pour laquelle j’ai beaucoup d’estime et d’affection, ou encore Iouri Bouïda, à mon avis l’un des plus authentiques écrivains russes de ces vingt dernières années, dont la langue à la fois poétique et concrète nous touche par tous les sens, non seulement la vue, mais aussi l’ouïe, l’odorat, le toucher et même le goût, sans oublier un sixième sens indéfinissable (…).

Défendre le livre

Comme vous le savez peut-être, un projet de loi vise à faire passer la TVA sur le livre à 7% (au lieu de 5,5%), le livre n'étant pas un produit de première nécessité aux yeux des immenses lecteurs qui nous gouvernent. Je me permets donc de relayer (parmi des dizaines d'autres réactions) un appel lancé par un libraire. (Et j'en profite pour faire la proposition suivante à nos chers décideurs: et si vous ne faisiez passer à 7% que les livres que vous publiez sous vos noms et dans lesquels vous démontrez à quel point la langue est pour vous un légume comme un autre?). En attendant vos réactions, que chacun se mobilise et interpelle à sa façon et selon ses méthodes l'Assemblée nationale et le Sénat. Et si le message ne passe pas, eh bien il faudra inventer d'autres voies pour convaincre la débilocratie qu'elle ne peut pas tout salir (les libraires pourront mettre des bandeaux sur les livres à partir du 1er janvier, avec l'inscription: "Payer plus pour lire moins", ce genre…)

"Cher Tous,

Le projet de loi de finances rectificative, voté en ce moment à l'Assemblée et déjà en discussion au Sénat met en place la nouvelle TVA réduite à 7 %. Elle était à 5,5 % jusqu'alors.
Le livre est assujetti à cette TVA réduite.
La rentabilité de la librairie française s'établit autour de 0,5 % de son chiffre d'affaires avant impôt.
Cette fragilité l'empêche de résister au choc de cette progressivité du taux de 5,5 à 7.
Alerté par l'ensemble des professions du livre, l'État commence à en prendre conscience.
Les députés et sénateurs auront ce mercredi, dans la cadre de la commission mixte paritaire qui se réunira, le pouvoir de proposer un changement de la loi.
Le livre étant aussi un produit de première nécessité, l'affirmer à nos députés et sénateurs est vital ce samedi.
Je vous invite à leur adresser ce message par courriel dès aujourd'hui :

"Madame, Monsieur, nous comptons sur votre appui pour que l'Assemblée et le Sénat s'opposent à l'application de la TVA à 7 % pour le livre. Cela menace directement toute la chaîne du livre (imprimeries, éditions, librairies, bibliothèques) sur tout notre territoire." :
1) http://www.assemblee-nationale.fr/qui/communes/recherche_new.asp ou http://www.assemblee-nationale.fr/qui/xml/liste_alpha.asp?legislature=13 ;
2) http://www.senat.fr/elus.html

Et bien sûr, nous comptons sur l'immense force de votre action si vous adresser aussitôt ce courriel à l'ensemble de votre fichier.

Yannick Poirier
Tschann Libraire
125 bd du Montparnasse
F 75006 Paris"