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mercredi 11 octobre 2017

Le prix de la traduction, Monsieur le Président…

En prenant la parole à Francfort, à l’occasion de la Foire du Livre, Monsieur le Président, vous en avez profité pour évoquer la traduction et les traducteurs/trices. « Jamais », avez-vous déclaré, « le moindre logiciel ne rivalisera avec la traduction de l’œuvre de René Char par Peter Handke ». Venant de quelqu’un qui ne parle pas l’allemand, on va dire que c’est une bonne nouvelle. Précisons quand même qu’aucun éditeur n’aurait l’idée, ni surtout les fonds nécessaires, pour concevoir un logiciel de traduction capable de s’attaquer à la poésie, que ce soit à celle de René Char ou de Maurice Carême. Ça n'intéresserait aucun investisseur – et aucun lecteur. Mais comment alors mettre « encore plus en valeur » le travail des traducteurs/traductrices, vous êtes-vous demandé ? Eurêka : en créant un « vrai Prix de la traduction », avez-vous trouvé tout seul. Pas un « faux » prix, ouf. Bon, les prix de traduction existent déjà, que ce soit en France ou en Allemagne. On peut toujours en créer un de plus, ça ne mange pas de pain. Et puis, n’est-ce pas, rien ne vaut l’angle de l’excellence pour donner de la « valeur » à un travailleur. Un peu de compétition, c’est toujours appréciable…

Le problème de la traduction est pourtant assez simple. Bien sûr il y la question de la visibilité du traducteur/de la traductrice, mais de ce côté-là, des progrès ont été faits, même s’il en reste à faire (mention systématique du traducteur dans la presse, les annonces de prix littéraires, sur la couverture, etc.). Non, le problème c’est la façon dont sont payé.e.s les traducteurs/traductrices. Ils/elles sont payé.e.s au feuillet, en gros 21€ les 1500 signes, et ce quelles que soient les difficultés du texte. C’est nettement plus que nos confrères & consœurs italien.ne.s ou espagnol.e.s, d’accord. Mais le hic, c’est que la somme perçue est considérée comme un à-valoir, une avance, donc, et que le traducteur/la traductrice ne touche de droits sur les ventes du livre qu’une fois son avance « amortie ». Et quand il/elle touche des droits après amortissement, il s’agit d’un pourcentage allant de 1% à 2% (souvent dégressif…). Par conséquent, mieux vaut traduire un livre facile qui a des chances de bien se vendre plutôt qu’un gros pavé exigeant. Par exemple : je ne toucherai de droits sur ma traduction de Jérusalem d’Alan Moore qu’à partir du deux cent millième exemplaire vendu, et là je ne toucherai que 1% sur un peu moins de trente euros. Personnellement, sur environ cent vingt traductions réalisées à ce jour, je n’ai touché de droits d’auteur que deux fois, et encore, jamais des grosses sommes (en plus, certains éditeurs cumulent nos travaux et, tels des banquiers, nous rendent à jamais débiteurs, même quand une traduction a bien marché, mais passons…)

Bref, si on veut vraiment donner de la « valeur » au traducteur/à la traductrice, plutôt que de filer un énième prix de traduction avec petits fours et longs discours, faisons en sorte :

qu’il/elle touche des droits décents (pas moins de 2%) et ce dès le premier exemplaire vendu 

qu’il/elle touche également des droits indépendants lors de l’exploitation en poche et en club (c’est loin d’être systématique) ; qu'il/elle soit informé.e des droits dérivés, etc; qu'il/elle reçoive systématiquement des exemplaires justificatifs;

qu’il/elle soit payé.e décemment lorsque le livre présente d’importantes difficultés (quand il exige de se documenter, de se déplacer, une re-création, etc.);

qu'il/elle soit mis au fait des aides existantes (bourses CNL, résidences, etc);

qu'on le rémunère quand on fait appel à ses services au moment de la promotion (quand il est sollicité comme interprète, par exemple, ce qui n'est pas forcément dans ses cordes…);

qu'il ne soit pas procédé à une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG);

(et pendant qu'on y est:
qu'ils aient droit à des congés payés et des arrêts maladie, même s'ils ne veulent pas prendre de vacances et ne tombent jamais malades, comme tout le monde le sait…)

Ces mesures, sachez-le, ne ruineront aucun.e éditeur.trice, surtout si ces derniers bénéficient d'aide adaptée, surtout pour des livres qui se vendent peu, mais elles permettront certains progrès dans la reconnaissance du traducteur/de la traductrice comme auteur.e à part entière. 

Bref, monsieur le Président: non pas un Prix de la traduction, mais des traductions estimées à leur juste prix.