En prenant la parole à Francfort,
à l’occasion de la Foire du Livre, Monsieur le Président, vous en avez profité pour
évoquer la traduction et les traducteurs/trices. « Jamais », avez-vous déclaré, « le moindre logiciel ne rivalisera avec la traduction de l’œuvre
de René Char par Peter Handke ». Venant de quelqu’un qui ne parle pas l’allemand,
on va dire que c’est une bonne nouvelle. Précisons quand même qu’aucun éditeur
n’aurait l’idée, ni surtout les fonds nécessaires, pour concevoir un logiciel
de traduction capable de s’attaquer à la poésie, que ce soit à celle de René Char ou
de Maurice Carême. Ça n'intéresserait aucun investisseur – et aucun lecteur. Mais comment alors mettre « encore plus en valeur » le
travail des traducteurs/traductrices, vous êtes-vous demandé ? Eurêka :
en créant un « vrai Prix de la traduction », avez-vous trouvé tout seul. Pas un « faux »
prix, ouf. Bon, les prix de traduction existent déjà, que ce soit en France ou
en Allemagne. On peut toujours en créer un de plus, ça ne mange pas de pain. Et
puis, n’est-ce pas, rien ne vaut l’angle de l’excellence pour donner de la « valeur »
à un travailleur. Un peu de compétition, c’est toujours appréciable…

Bref, si on veut vraiment donner
de la « valeur » au traducteur/à la traductrice, plutôt que de filer un
énième prix de traduction avec petits fours et longs discours, faisons en sorte :
qu’il/elle touche des droits
décents (pas moins de 2%) et ce dès le
premier exemplaire vendu
qu’il/elle touche également des droits
indépendants lors de l’exploitation en poche et en club (c’est loin d’être systématique) ; qu'il/elle soit informé.e des droits dérivés, etc; qu'il/elle reçoive systématiquement des exemplaires justificatifs;
qu’il/elle soit payé.e décemment lorsque le livre présente d’importantes
difficultés (quand il exige de se documenter, de se déplacer, une re-création, etc.);
qu'il/elle soit mis au fait des aides existantes (bourses CNL, résidences, etc);
qu'on le rémunère quand on fait appel à ses services au moment de la promotion (quand il est sollicité comme interprète, par exemple, ce qui n'est pas forcément dans ses cordes…);
qu'il ne soit pas procédé à une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG);
(et pendant qu'on y est:
qu'ils aient droit à des congés payés et des arrêts maladie, même s'ils ne veulent pas prendre de vacances et ne tombent jamais malades, comme tout le monde le sait…)
Ces mesures, sachez-le, ne
ruineront aucun.e éditeur.trice, surtout si ces derniers bénéficient d'aide adaptée, surtout pour des livres qui se vendent peu, mais elles permettront certains progrès dans la reconnaissance du traducteur/de la traductrice comme auteur.e à
part entière.
Bref, monsieur le Président: non pas un Prix de la traduction,
mais des traductions estimées à leur juste prix.