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mercredi 8 octobre 2014

I had a Grimm – Legendre l'a fait

Pour vous enrichir vous êtes prêt à tout, alors vous dites à l'inconnu qui vous promet la lune, vas-y, prend, que veux-tu, et l'autre de vous demander ce qu'il y a derrière chez vous, mais derrière chez vous il y a juste un arbre, alors vous dites oui, d'accord, sers-toi, et ça y est, vous êtes riche, sauf que derrière chez vous il y a aussi votre fille, il faut donner votre fille, vous refusez, alors celui qui vous a enrichi s'énerve, et au final vous vous retrouvez à trancher les mains de votre fille sur un billot… Schlak!

Ça se passe comme ça chez Jacob et Wilhelm, ces deux frères dévoreurs de folklore qu'une syllabe suffit à dresser dans la mémoire: Grimm. Travaillant à partir de sources tantôt orales, tantôt écrites, ils permirent au genre qu'était le conte non seulement de perdurer mais d'à nouveau se dissoudre dans le folklore. L'histoire du père qui coupe les mains de sa fille, c'est dans La jeune fille sans mains. C'est beau et glaçant. Les Grimm ne font pas dans la dentelle, car ils savent la dentelle déjà présente dans les imaginations, alors ils déroulent le fil, sans heurt mais inlassablement, et parfois le fil entame la chair. Oubliez Disney un instant et lisez Cendrillon et Blanche-Neige comme deux courts récits écrits par un narrateur impalpable, qui entendrait des voix, et restituerait en quasi idiot faulknérien ce qu'il capte.


Surtout, lisez Grimm dans la traduction dépouillée de Natacha Rimasson-Fertin (parue initialement en 2009 chez Corti) assortie des illustrations de Yann Legendre, dans le magnifique ouvrage qui vient de paraître aux éditions Textuel (avec des ornements de Lance Rutter).
Le livre est paru d'abord aux Etats-Unis chez Rockport Publishers. Et depuis une semaine, il est là, à deux pas de chez vous, il vous attend, comme un poison dans une pomme, un démon dans une bouteille. Vous vous rappelez de Flesh Empire dont je vous ai parlé l'an dernier ?  Des couvertures des livres Inculte jusqu'à il y a peu? Eh bien c'est le même artiste. Un des illustrateurs, avec Stéphane Levallois, qui nous fait le plus rêver (et dériver).

Disons-le tout net: Yann Legendre a l'art de désosser sans casser, d'aller chercher la chair cachée des choses et de lui donner une seconde chance, grâce à des tableaux vivants, stylisés et tendus, tout en mouvements suspendus, à deux doigts du déséquilibre mais vibrants d'une énergie qu'il ne tient qu'à nous de libérer en imagination. L'épure du conte trouve ici en Legendre un magicien audacieux, qui évite les représentations figées et laissent les formes, à la fois souples, organiques et rigoureuses, débattre et palpiter afin de savoir quels affects sont réellement en jeu.


N'attendez pas Noël pour vous jeter sur ce Grimm magistralement, réinventé. De toute façon, quand vous l'aurez vu en librairie, quand vous aurez touché du bout des doigts sa couverture insensée, vous serez sous le charme et vous filerez à la caisse (sinon on vous coupe les mains!).
P.S. – Il y aurait beaucoup à dire, aussi, sur l'influence des Grimm dans la littérature contemporaine, et l'on se contentera de citer ici Petite table, sois mise, d'Anne Serre, et Le Vaillant petit tailleur, d'Eric Chevillard. Je vous laisse enrichir la liste, et vous parlerai la semaine prochaine de la monographie consacrée à Legendre qui sort également chez Textuel, A corps perdu, où est repris entre autres son Flesh Empire.

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Grimm, Contes choisis, illustrés par Yann Legendre, ornements de Lance Rutter (traduction Natacha Rimasson-Fertin), éditions Textuel (29 euros)