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mercredi 14 octobre 2015

Mon livre n'a pas de presse: c'est grave, docteur?

Je ne sais pas si vous avez suivi ce canular qui, hélas, n'en est pas un. Il y a peu a paru dans le journal Libération une petite annonce signée par un écrivain, Fabrice Guénier, dont le deuxième roman, Ann, figure dans la liste du prix Renaudot (on est hyper impressionné…). Voici le texte en question (de l'annonce, hein, pas du roman):
« Dernier roman Gallimard encore en lice pour le Renaudot, n’ayant eu à ce jour ni critique ni article de presse, cherche à rencontrer journaliste curieux. Contacter Fabrice Guénier."
C'est bien sûr, d'une certaine façon de facto, un coup de pub, et assez bien relayé, entre autres par Les Inrocks. On comprend la tristesse ante coïtum de l'auteur, qui voit son livre en lice mais pas dans la presse. Mais que cherche-t-il à dénoncer (ou à vendre?). OK, son livre est sur une liste. C'est déjà pas mal, même si on s'en fout. Ils sont cinq cents et des poussières, en cette énième rentrée, qui peuvent s'accrocher avant que ça leur arrive. Certes, il n'a pas encore eu de "papier", et là encore ils sont plus de cinq cents qui peuvent non seulement s'accrocher, mais s'accrocher à une branche qui n'existe pas. Fabrice Guénier veut-il dénoncer un état de fait qui, rassurons-le, ne fera qu'empirer (eh oui) ou cherche-t-il à faire parler de son livre par des biais vaguement cocasses mais surtout éprouvés – l'homme est ancien publicitaire, pas membre de l'Oulipo, c'est bon on avait compris.

Disons les choses telles qu'elles sont, et telles que les attaché.e.s de presse vous le diront. Il est de plus en plus difficile de décrocher un papier, à moins de figurer dans le peloton de tête, qui se réduit chaque année, avant parution, voire avant écriture, à une dizaine de têtes de gondole. Et quand vous décrochez un papier, eh bien, ça ne fait guère avancer le schmilblik. La presse littéraire n'est quasiment plus prescriptrice. Ça peut éventuellement renflouer  l'égo des auteurs, ces frêles choses angoissées qui croient que l'ivoire dont serait faite leur tour a une quelconque valeur, mais pas au point de faire sursauter la courbe de leurs ventes vouées à l'extinction au bout de trois mois. Vous voulez vendre? Vendre vraiment? C'est pas compliqué, torchez votre copie puis envoyez à Ruquier & Busnel. Sinon, oubliez. 

Mais voulez-vous vendre? Parce que, bon, hein, je vous rappelle que vous êtres en principe un écrivain, et non un commercial. Votre boulot, ce n'est pas d'assurer les ventes et de booster la promotion. Votre boulot, c'est de faire des phrases. Une, puis, deux, puis trois. Puis de les recommencer. Encore et encore. Si votre livre ne marche pas, à qui la faute? Au système? Ah mais nous en sommes tous responsables du système, non? A moins que nous soyons… contre? Oups. Ne vous est-il jamais venu à l'esprit, ne serait-ce qu'une seconde, que, peut-être, la littérature a davantage à voir avec le discret, le clandestin, la résistance, la marge ? Qu'elle est peut-être menacée, mais que surtout elle est une menace? Vous voulez être la menace avec en prime les lauriers? Hum, ai-je envie de dire. C'est dur parfois de prendre des pincettes quand on aime jouer de la perceuse.

Que préférez-vous? Figurer sur une liste de prix "prestigieuse" (mouahhahah) et ne pas avoir de presse? Ou avoir un peu de presse et n'être sur aucune liste (what the fuck !) ? You know what?, comme dirait Droopy. Les trois quarts des livres de la rentrée ne seront pas sur des listes et n'auront aucune ou très peu de presse. Leur existence sera précaire, hasardeuse, catastrophique – leurs lecteurs seront rares, tardifs, aléatoire, mais, qui sait?, précieux, patients, ardents.

Prions seulement pour que ceux qui décrocheront le gros lot gagnent assez d'argent pour ne plus avoir besoin d'écrire.



mardi 4 décembre 2012

Bandeau néant (sur les prix littéraires)

Difficile de passer à côté de ces prix littéraires qui récompensent le tout à proportion de la partie et se focalisent sur la page 111, puis la page 112 – et qui se sont par ailleurs expliqués sur cette fixation en apparence arbitraire. Leur démarche a été commentée, et force est de signaler que David Caviglioli a écrit là-dessus un article définitif et magistral, auquel on peut adjoindre le coup de gueule de l'excellent Pierre Maury. Devant l'arbitraire, l'homme s'insurge, c'est ainsi. Et j'avoue que j'ai été tenté d'aller jeter un coup d'œil aux innombrables pages 111 et 112 qui peuplent ma bibliothèque, à commencer par mes propres livres, mais je me suis alors rappelé que j'avais toujours eu un problème avec ces pages et que, bien souvent, plutôt que de les bâcler, j'avais pris soin de ne pas les écrire, ce dont d'ailleurs personne ne s'est jamais aperçu. Mais passons. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est la véritable motivation de ces prix, les raisons secrètes de leur émergence, et non le fait qu'ils considèrent l'angle du mérite sous le rapport de la lotocratie.
A quoi sert un Prix littéraire? La réponse est simple: à distinguer un livre de ses pairs et, ce faisant, à lui donner un petit coup de pouce, à booster ses ventes, et donc à aider financièrement l'auteur (parfois en lui donnant tellement de fric qu'il n'a plus besoin d'écrire pour gagner sa croûte, ouf). Bien sûr, ça ne marche pas comme ça, pas vraiment, puisque bien souvent ne sont distingués que les livres qui ont déjà été distingués, extirpés du troupeau par quelques experts, dont les choix, moutonnerie oblige, ont été systématiquement suivis, ce qui explique que sur plus de six cents livres parus en rentrée on vous cause inlassablement des douze même grigous. Mais tout ça est archi-connu. Le prix fait le livre, mais le livre fait aussi le prix. Ils s'entre-tripotent en bonne intelligence, ne les dérangeons pas pour si peu.
Mais pourquoi créer des Prix qui, sous couvert d'éthique ou de clairvoyance, non seulement, n'aideront aucun auteur, mais en outre jetteront sur leur production une lumière douteuse? On peut apprécier les honneurs, pourquoi pas, mais est-il  humainement possible (et souhaitable) de s'enorgueillir d'un prix qui vous félicite en fonction de critères stupides, niais, illusoires, vains et/ou pathétiques? Qui a vraiment envie de recevoir le Prix du Style, lequel loue un ouvrage "pour ses qualités stylistiques" (et vous offre une plume véritable et un plomb authentique, sorte de mixed métaphore qui fait de vous instantanément un coq de bruyère tiré sans sommation )? Qui a vraiment envie de tirer fierté d'une seule page de son livre, fût-elle la cent douzième ? Qui peut raisonnablement prendre plaisir à s'entendre dire que son roman a "touché le jury par son audace littéraire, sa justesse, ou toute autre qualité faisant sens" ? Loin de nous l'envie ou la nécessité de critiquer ces prix, leur jury et leurs nobles motivations, mais reconnaissons qu'ils font la part belle à la naïveté ou à la moquerie inconsciente. Comme si l'auteur espérant être primé un jour n'avait le choix qu'entre la grosse machine à magouilles et le petit laurier insipide. Comme si, en marge des gros prix où l'incohérence sénile et le bagout fumeux se débattent avec des enjeux financiers mâtinés d'inimitiés et de jalousies, se sentait obligée d'exister toute une pléthore de prix de rattrapage, dans la pure tradition scolaire d'antan. Ah, être repêché ! Ah, sentir souffler le vent de la consolation sur la page aride ! Ah, décrocher la queue du Mickey à défaut des couilles du forain ! Le pire, c'est que tous ces Prix pensent bien faire, espèrent sincèrement réparer des injustices. Le Prix de l'Inaperçu !?! Pourquoi pas le Prix du Livre pris au hasard? Oh, ils vont bien finir par l'inventer, si ce n'est déjà fait.
On a parfois l'impression que tous ces prix n'ont qu'un seul but: mettre au défi leurs candidats de leur opposer un refus courtois. Vérifier que tous ploient devant l'attrait du galon, fût-il en nougat. Placer chaque élu dans l'impossibilité d'y aller d'un "non merci" – car refuser un prix, ou refuser de figurer sur sa liste, c'est faire preuve d'une vanité cent fois supérieure à celle qui préside à son acceptation, ben voyons. On ne refuse pas le Goncourt, mais on ne refuse pas non plus le Prix Prout-Prout-Cadet. Plutôt primé que déprimé: tel semble être l'adage de saison.
Derrière tout ce cirque vivote une faible espérance: élargir son audience. Atteindre davantage de lecteurs. Mais ce louable projet n'est-il pas l'apanage – le boulot – des éditeurs et des libraires, lesquels ne pensent pas systématiquement, et heureusement, qu'il suffit de passer un bandeau à un livre pour que, par un effet de cécité paradoxale, on le voie mieux. Avant d'"élargir son lectorat" – expression qui semble faire de ce dernier un élastique à culotte ou un orifice constipé –, il s'agirait peut-être de veiller à ses conditions d'existence. Autrement dit, non pas d'écrire pour lui, mais d'écrire de sorte qu'il s'invente et se réinvente à travers l'acte de lire (et non par le simple truchement de l'achat). La littérature n'est nullement sacrée, mais elle a peut-être à voir avec l'inestimable, au sens littéral, ce qui ne serait pas la moindre de ses qualités dans l'humiliant enfer consumériste où elle s'ébat et se débat. Il n'est pas sûr que la prolifération des primes à la qualité aille dans ce sens, ni que flatter les ego soit la meilleure manière de rappeler qu'écrire c'est entrer dans un processus de dépersonnalisation : écrire non pour peaufiner les tubercules de son petit ego, mais pour permettre à ses rhizomes d'aller se faire voir ailleurs. On ne ressortira pas ici notre sempiternelle antienne – échouer mieux –, mais il serait peut-être temps de redonner à l'échec ses lettres de noblesse, histoire de rappeler que tous les écrivains n'aspirent pas nécessairement à devenir d'humbles petits winners.