Je ne sais pas si vous avez suivi ce canular qui, hélas, n'en est pas un. Il y a peu a paru dans le journal Libération une petite annonce signée par un écrivain, Fabrice Guénier, dont le deuxième roman, Ann, figure dans la liste du prix Renaudot (on est hyper impressionné…). Voici le texte en question (de l'annonce, hein, pas du roman):
« Dernier roman Gallimard encore en lice pour le Renaudot, n’ayant eu à ce jour ni critique ni article de presse, cherche à rencontrer journaliste curieux. Contacter Fabrice Guénier."
C'est bien sûr, d'une certaine façon de facto, un coup de pub, et assez bien relayé, entre autres par Les Inrocks. On comprend la tristesse ante coïtum de l'auteur, qui voit son livre en lice mais pas dans la presse. Mais que cherche-t-il à dénoncer (ou à vendre?). OK, son livre est sur une liste. C'est déjà pas mal, même si on s'en fout. Ils sont cinq cents et des poussières, en cette énième rentrée, qui peuvent s'accrocher avant que ça leur arrive. Certes, il n'a pas encore eu de "papier", et là encore ils sont plus de cinq cents qui peuvent non seulement s'accrocher, mais s'accrocher à une branche qui n'existe pas. Fabrice Guénier veut-il dénoncer un état de fait qui, rassurons-le, ne fera qu'empirer (eh oui) ou cherche-t-il à faire parler de son livre par des biais vaguement cocasses mais surtout éprouvés – l'homme est ancien publicitaire, pas membre de l'Oulipo, c'est bon on avait compris.
Disons les choses telles qu'elles sont, et telles que les attaché.e.s de presse vous le diront. Il est de plus en plus difficile de décrocher un papier, à moins de figurer dans le peloton de tête, qui se réduit chaque année, avant parution, voire avant écriture, à une dizaine de têtes de gondole. Et quand vous décrochez un papier, eh bien, ça ne fait guère avancer le schmilblik. La presse littéraire n'est quasiment plus prescriptrice. Ça peut éventuellement renflouer l'égo des auteurs, ces frêles choses angoissées qui croient que l'ivoire dont serait faite leur tour a une quelconque valeur, mais pas au point de faire sursauter la courbe de leurs ventes vouées à l'extinction au bout de trois mois. Vous voulez vendre? Vendre vraiment? C'est pas compliqué, torchez votre copie puis envoyez à Ruquier & Busnel. Sinon, oubliez.
Mais voulez-vous vendre? Parce que, bon, hein, je vous rappelle que vous êtres en principe un écrivain, et non un commercial. Votre boulot, ce n'est pas d'assurer les ventes et de booster la promotion. Votre boulot, c'est de faire des phrases. Une, puis, deux, puis trois. Puis de les recommencer. Encore et encore. Si votre livre ne marche pas, à qui la faute? Au système? Ah mais nous en sommes tous responsables du système, non? A moins que nous soyons… contre? Oups. Ne vous est-il jamais venu à l'esprit, ne serait-ce qu'une seconde, que, peut-être, la littérature a davantage à voir avec le discret, le clandestin, la résistance, la marge ? Qu'elle est peut-être menacée, mais que surtout elle est une menace? Vous voulez être la menace avec en prime les lauriers? Hum, ai-je envie de dire. C'est dur parfois de prendre des pincettes quand on aime jouer de la perceuse.
Que préférez-vous? Figurer sur une liste de prix "prestigieuse" (mouahhahah) et ne pas avoir de presse? Ou avoir un peu de presse et n'être sur aucune liste (what the fuck !) ? You know what?, comme dirait Droopy. Les trois quarts des livres de la rentrée ne seront pas sur des listes et n'auront aucune ou très peu de presse. Leur existence sera précaire, hasardeuse, catastrophique – leurs lecteurs seront rares, tardifs, aléatoire, mais, qui sait?, précieux, patients, ardents.
Prions seulement pour que ceux qui décrocheront le gros lot gagnent assez d'argent pour ne plus avoir besoin d'écrire.