mercredi 20 mars 2019

Résistance et liberté…

Pour Info:::
"Deux Français chargés de remettre le Prix Montluc 2019 Résistance et liberté à Başak Demirtas, l’épouse de l’opposant politique kurde emprisonné, Selahattin Demirtaş, arrêtés par la police turque à l’aéroport d’Istanbul et renvoyés en France
La littérature se vend peut-être moins en France mais les livres continuent de faire trembler les tyrans. Sylvie Jan et Michel Laurent de l’Association de solidarité France-Kurdistan ont été arrêtés à l’aéroport d’Istanbul en Turquie, lundi 18 mars 2019. Se rendant à Diyarbakır pour le nouvel an kurde, ils étaient chargés par Emmanuelle Collas de transmettre le Prix Montluc 2019 Résistance et liberté, qui avait été remis à Selahattin Demirtaş pour son recueil de nouvelles, L’Aurore, le 10 février 2019 à la prison militaire de Montluc, à Başak Demirtaş, son épouse. Aussi transportaient-ils dans leurs bagages plusieurs exemplaires de L’Aurore, le livre engagé d’un homme libre, dénonçant la violence faite aux femmes, les traditions patriarcales, la violence d’État, l’arbitraire et la guerre. Un livre d’histoires, de promesses et d’espoir. À leur arrivée, leurs bagages, qui contenaient également la revue de presse sur L’Aurore, le diplôme du prix ainsi qu’une photographie intitulée « Le Brise-lame », offerte par Sarah Moon, photographe française et l’un des jurés du prix Montluc, ont été longuement fouillés. Et Sylvie Jan et Michel Laurent ont été retenus de force au bureau de police de l’aéroport pendant deux jours. Ce matin, avec l’aide du Consulat, ils ont finalement pu rejoindre la France.
Selahattin Demirtaş, Kurde de Turquie, leader charismatique du HDP (Parti démocratique des peuples), parti le plus progressiste du Proche-Orient, est incarcéré depuis le 4 novembre 2016 en Turquie. Avocat des droits de l’homme, représentant depuis quelques années la lutte pour les droits de toutes les minorités, ethniques, religieuses et sexuelles, en Turquie, Selahattin Demirtaş est devenu écrivain en prison. Il risque une peine de 142 ans.
Selahattin Demirtaş, L’Aurore, Éditions Emmanuelle Collas.
En librairie. Media Diffusion"

jeudi 14 mars 2019

Livres à l'ombre : la lecture en prison

Les éditions Le Lampadaire se sont lancées dans une entreprise impressionnante: nous offrir un panorama détaillé de l'état de la lecture en prison en France, depuis le premier quart du XVIIIème siècle jusqu'à nos jours, de la Bastille à Fresnes. Pour cela, ils ont conçu un ouvrage hors norme, qui laisse essentiellement parler les documents, et s'efforce, au moyens de critères révélateurs, de nous faire approcher de ce continent gris, immergé sous des chapes de béton et d'interdits. Derrière la nécessité de créer des bibliothèques au sein des établissements carcéraux grouillent toutes sortes de raisons, de visées, parfois étonnantes. Quels livres enfermer? telle est une des questions fondamentales qui appelle des éclaircissements. Lectures de prison cherche à y répondre de façon quasi exhaustive, et fait du lecteur de cet énorme livre un sociologue en herbe.

Parmi les questions pertinentes qui se posent au chercheur, l'une des premières est la suivante: "Pourquoi l'Etat veut-il que les détenus lisent?" Les raisons, si elles se recoupent souvent, varient bien entendu d'un siècle à l'autre, voire d'une décennie à l'autre. Il apparaît que la lecture répond à un "but moral et utilitaire", du moins en 1895. En 1948, on la verra plutôt comme un "facteur d'ordre", voire la garante d'une "régénération morale". En sa qualité de loisir, la lecture joue également comme un pare-feu devant un grave ennemi: l'ennui, source de dépression ou de révolte. Elle doit être instructive, certes, mais l'on ne saurait bannir les œuvres de fiction, encore que ces dernières soient sujettes à caution. En même temps qu'un désir de "distraire" (l'occupation des esprits…) naît un souci de protéger. Certains ouvrages n'ont pas leur place en prison. Un rapport datant de 1928, émanant de l'inspection générale des services administratifs, fait le point là-dessus:
"Le choix des livres n'a pas été toujours judicieux; déjà en 1911, l'inspection générale avait pu critiquer la présence dans ces bibliothèques de trop de récits d'aventures rocambolesques et de trop de romans policiers. Nous insisterons sur l'intérêt qui s'attacherait à ce que des manuels professionnels fussent mis en plus grand nombre dans les mains des condamnés."
Pour se faire une idée précise des lectures en prison, l'ouvrage offre des listes détaillées des ouvrages invités à prendre l'ombre – au XVIIIè siècle, les détenus – ceux qui savent lire, bien sûr, et appartiennent donc à une classe sociale supérieure – n'hésitent pas à demander, dans le même temps, le nécéssaire comme le superflu, comme ce M. Everard qui écrit en 1734:
"Je vous prie de m'envoyer 1/ Une paire de draps drappés noire ou couleur chair a 3 plus ou moins; 2/ 3 quartons de laine dégraissées à 50 sols environ la livre pour tricoter; […]; 9/ je vous avais prié de m'envoyer des Actes des martyrs sinceres par Dom Ruinart, Bénédiction et le Breviaire de Cluni qui est dans ma bibliothèque [….]."
Mais le livre est aussi un objet auquel est associé une valeur. Et bien souvent, les ouvrages mis à disposition des détenus sont abîmés ou disparaissent tout simplement. En 1872, une circulaire précise:
"Chaque livre envoyé par le ministère porte, à l'intérieur de sa couverture, le prix du volume (reliure comprise). Un bulletin placé au-dessous de cette indication est destiné à recevoir l'inscription de toutes les dégradations qui seront imputées sur le pécule des détenus."
Les prisonniers ayant abîmé des livres sont mis à l'amende. Mais on veille néanmoins à ne pas trop pénaliser une population déjà lourdement contrainte de toutes parts – on craint également les effets d'une sévérité susceptible "d'intimider ou de décourager les lecteurs et par suite d'en diminuer le nombre".

Lectures de prison présente également des listes de livres établis par des bibliothécaires, afin de constituer des bibliothèques idéales. Pour la maison centrale d'Arles, en 1999, un bibliothécaire propose ainsi tout un choix où Artaud côtoie Jean Genet, où Claude Simon frôle les Mémoires de prison de Graciliano Ramos.

Comment se constituent les fonds? A quels critères obéissent les classements? Quel est le mode de renouvellement des catalogues? Comment fonctionne l'emprunt? Le traitement est-il le même pour les hommes que pour les femmes? Les détenus peuvent-ils participer au fonctionnement des bibliothèques carcérales? Qu'en est-il de la fréquentation de ces bibliothèques ? Quels livres sont les plus lus? Cette dernière question est évidemment passionnante.
Si en 1755, on s'arrache peut-être la Bible ou l'Histoire de Brandebourg, en 2001, on pourra trouver dans la liste des ouvrages demandés par des détenus de la maison centrale d'Arles, les Prolégomènes à une théorie du langage de Hjemslev ou le Tropic of Cancer de Henry Miller.
Certains livres sont très prisés, comme Les Misérables de Hugo:
" [Les exemplaires] existaient il y a quelques années, nous dit l'instituteur, mais ils ont été tellement lus qu'ils sont tombés en poussière."
Certains livres connaissent des destins contrariés. Un rapport d'activité pour le mois de février 2013 fait état d'un curieux détournement d'usage:
"Le très volumineux La Terre vue du ciel de Y. Arthus-Bertrand, dont j'avais signalé la disparition pendant l'absence de son emprunteur, n'a, en fait, pas été volé; il a fini par me revenir, mais en triste état, ayant visiblement servi à poser des casseroles chaudes (il reste cependant montrable). C'est le risque de tout prêt; il faut l'assumer."
Bref, l'ouvrage publié par Le Lampadaire est une mine, un trésor, bénéficiant en outre d'une étonnante iconographie, mais qui, par la masse brute de sa documentation exhaustive, nécessite une lecture sagace, capable de dépasser la chasse à l'anecdote, afin de mieux percevoir l'odyssée d'un livre, entre sa demande, son achat, son classement, son éventuelle censure, sa consultation, etc. Sera-t-il disponible derrière les barreaux? On l'ignore…

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Lectures de prison 
Du château de la Bastille aux prisons d’aujourd’hui : ensemble de documents sur les bibliothèques de prison et sur l’accès (ou le non-accès) des personnes détenues à la lecture. Les documents, aux statuts divers, sont précédés d’une séquence de 98 images (noir et blanc duotone) et encadrés par une préface de Philippe Claudel et une postface de l’historien Jean-Lucien Sanchez. 

La partie texte est composée de cinq chapitres, présentés respectivement par :
. Philippe Artières, historien 
. Guillaume de la Taille, conservateur 
. Marianne Terrusse, bibliothécaire 
. Jean-Louis Fabiani, sociologue 
. Claude Poissenot, sociologue 
CHAPITRE 1 Historique de la bibliothèque de prison et représentations associées 
CHAPITRE 2 Constitution et organisation des fonds 
CHAPITRE 3 Circulation du livre et fonctionnement des bibliothèques 
CHAPITRE 4 Ce que lisent les personnes détenues 
CHAPITRE 5 Le lieu bibliothèque 
Format 21x27, 464 pages, papier Munken Lynx Rough 120 g 
Prix : 50 euros + 6 euros frais de livraison 
ISBN : 978-2-9559097-1-3 

Vous pouvez dès maintenant les commander à cette adresse: 
http://le-lampadaire.org/