© Aurélien Police |
Avant même de se lancer dans Pornarina, premier roman de Raphaël Eymery, je me léchais déjà les babines, une opération à laquelle il est possible de se livrer sans pour autant être tératologue ou hématophile, même si un peu de paraphilie, bien sûr, peut ne pas être inutile. Tout d'abord :
1/ le nom de l'auteur, clin d'œil à l'écrivaine Rachilde – de son vrai nom Marguerite Eymery –, auteure prolifique, entre autres du précieux Monsieur Vénus;
2/ Ensuite, l'exergue de la première partie, une citation de Vollmann, extraite de La Famille royale;
3/ Ajoutez à cela, parmi les auteurs prisés par l'auteur, d'après sur son blog: l'encore inédit en français Michael Cisco, dont je suis en train de traduire l'incroyable Animal Money pour le Diable Vauvert + Nicole Caligaris, auteur Verticales à suivre de près.
Bon, je suis d'accord, ce sont là des raisons objectives tout à fait subjectives, mais rien de tel pour mettre en jambes. Donc: one, léchage de babines, two, mise en jambes. Pornarina, here we come!
Pornarina est exactement ce qu'il me fallait par 31° et en plein premier tour des législatives. Une belle échappée au pays de la monstruosité débridée, de la suave dépravation et du fringant néo-gothique. Une plongée rouge et sperme dans les eaux épaisses du grand-guignol, ce genre littéraire peu exploité en France depuis André de Lorde, mais que certains écrivains anglo-saxons savent raviver comme il faut (je pense en particulier à Carlton Mellick III et à Ligotti). C'est un genre qui assume sa démesure, et jouit de sa fascination pour lui-même, s'inscrivant ainsi comme propre sujet de ses élucubrations. Eymery a compris tout ça, et nous donne avec Pornarina une sacrée chevauchée dans les limbes du détraquement psychique, en outre sans jamais verser dans la complaisance gore, tendance parfois pénible du genre.
L'histoire met en scène le vieux et inquiétant Dr. Franz Blažek, par ailleurs rejeton de siamoises, qui a recueilli Antonie, une môme caoutchouc issue des bas-fonds de Kiev. Blažek est un tératologue, c'est-à-dire qu'il s'intéresse à tout ce qui ressort de la monstruosité. Sa passion prédominante: le personnage éventuellement mythique de Pornarina, une prostituée à tête de cheval qui émascule en série les hommes. Il n'est pas à seul à se passionner pour cette sympathique figure castratrice, ce qui donne lieu à des rassemblements de spécialistes, des traques concurrentes, des coups bas, de fugaces collusions, etc. Très vite, on baigne, que dis-je, on patauge jusqu'au fémur dans une ambiance moite et délétère, imbibée de Huysmans, saupoudrée de Cesare Lombroso (qui prête ses mots au redoutable Sylwan Viperinov), il y a quelques caméos (Sherlock Holmes, William T. Vollmann himself…), une tension palpable à la Thomas Harris (son Lecter cannibale n'est jamais très loin, et un petit épisode vénitien apporte son lot de frissons) et même un zeste de Baudelaire. J'ai oublié Poe et Lovecraft? Qu'on se rassure, ils sont là, bien vivaces.
Si Pornarina séduit, c'est surtout par son rythme changeant, où alternent considérations pathologiques très sérieuse, scènes d'action montées slash (mélange du Kick-Ass de Matthew Vaughn et des weird tales de Seabury Quinn), listes morbides, descriptions cthulhuiesques, le tout emporté par une empathie totale avec son sujet, et une écriture qui fait qu'on est plus du côté de Wittkop et de Lautréamont que de Jean Ray – le magnifique "elle y perdit d'âme ce que de sang coula" de la page 54…). Ode aux freaks et à la fascination qu'ils exercent, excursion dans les plis et replis des curiosa déviantes, Pornarina prend le genre du néo-gothique et, plutôt que de lui tordre un peu facilement le cou ou de lui tirer la langue, lui refait une nouvelle tête et le couronne royalement. Guignol est grand, et Eymery son prophète. Vite, la suite!
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Raphaël Eymery, Pornarina – La-prostituée-à-tête-de-cheval, éditions Denoël, coll. Lunes d'encre, 19 euros