Ecrite
spécialement en 1977 pour la troupe de la Schaubühne, la pièce La Trilogie du revoir, de Botho Strauss,
révélée en France par Claude Régy l’année suivante, est actuellement sur les
planches au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux, dans une mise en scène de Benjamin
Porée, après avoir été présentée à Avignon en juillet dernier.
Dans le
cadre d’une exposition de tableaux organisée par des « amis des
arts », les langues se délient, les sentiments dérapent, les relations
cahotent. La parole, d’abord guindée, se dégonde vite. Les conflits et les
engouements s’enlacent. Aux tableaux exposés, critiqués, racontés font miroir
d’autres agencements tout aussi exposés, critiqués, racontés, ceux des
individus qui vivent de l’art, bien ou mal. Dans le rapport à la création, et à
la chose créée, se noue et se dénoue la passion du re-voir : comment
changer face à la toile inchangée, quelle permanence accorder à nos désirs.
La mise en
scène de Porée recourt à divers subterfuges pour permettre à cette valse
hésitation de prendre tout son sens et toute sa dynamique : un plateau
doté de deux cercles rouges, enchâssés et tournants, avec au centre l’immense
banquise d’un canapé à deux pans, qui permet de cacher et montrer tour à tour
les acteurs de cette « never-ending party » dont la pièce se fait le
vivier chamboulé. En fond, une vaste baie vitrée compartimentée, au verre
dépoli, qui rend les corps distants, échangeables, même si, filmés, ils
continuent d’exister sur les deux murs latéraux de la scène, à la fois
présents-absents.
Pendant
plus de deux heures, les dix-sept acteurs de Porée se croisent et s’évitent,
aussi bien dans les remous de la parole que dans les circonvolutions des
mouvements, composant de temps à autre des tableaux vivants, soit pris dans un
ralenti saisissant, soit éclairés tels des spectres pétrifiés. Menacés par la
censure, ils s’égarent dans les méandres instables de leurs compromissions,
volatiles jusqu’à la fureur. Bousculés entre franchise et manœuvre, ils
semblent en quête d’une implosion salvatrice. Traqués par l’image, et voués à
sa célébration, ils peinent dans leur chair, se réfugiant dans une parole de
plus en plus scindée.
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Botho Strauss, La trilogie du revoir, mise en scène de
Benjamin Porée, Théatre des Gémeaux, se joue jusqu’au 20 mars.
Avec Lucas Bonnifait, Valentin Boraud, Anthony Boullonnois, Antoine Cegarra, Guillaume Compiano, Sylvain Deuiade, Philippe Dormoy, Christian Drillaud, Macha Dussart, Joseph Fourez, Mathieu Gervaise, Pierre Giafferi, Elsa Granat, Nicolas Grosrichard, Garlan Le Martelot, Sophie Mourousi, Mireille Perrier, Edith Proust, Hélène Rencurel, Aurélien Rondeau