dimanche 30 novembre 2008

Cent mille milliards de Tarkos


Maintenant que les Ecrits poétiques de Christophe Tarkos, première salle des machines d'une vaste exposition universelle de la chose poétique, sont ouverts au public, grâce aux éditions P.O.L et au travail de Katalin Molnar et Valérie Tarkos, maintenant qu'en un volume de près de quatre cents pages on peut saisir une partie de cette œuvre aux publications éparses, il n'est plus possible de reculer ou de contourner cette prise au corps à la fois légère, radicale, têtue, complexe, ce combat en loop que mena toute sa (courte) vie l'écrivain Tarkos. "Ma langue est poétique": alternance décalée de blocs à double visée où celui qui écrit dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit, dans une danse des contradictions et des dépassements, où ce qui est prôné est aussitôt disséqué, où ce qu'on autopsie prend aussitôt vie. Tarkos avance des équations – ma langue est … – et dans le même mouvement brise la logique de l'équivalence, son "est" se veut à la fois programme, promesse, distance, hypothèse, geste. Par la répétition, par d'obstinées rafales, par le charme de l'anacoluthe, ce qui est dit n'est pas assener, mais bégayer, comme si chaque couche recouvrait la précédente, la maquillait d'une force nouvelle, l'obligeait à résiter au retour du palimpseste. Tarkos use de l'arrogante formule, du péremptoire de la définition autocratique pour faire éclater tous les possibles d'une écriture qui échappe précisément à tous les cadres. La chose est encore plus sensible avec "La poésie est une intelligence", dans lequel l'auteur fait de la penser, ou plutôt du penser, une gymnastique, un travail quasi musculaire, une mécanique aspirant au dynamique : "La pensée est difficile à extraire de la pensée". Mais c'est avec "Processe" que l'on entrevoit le projet de Tarkos dans toute sa nécessité. Là, tout est affaire de perspectives, de vitesses, on sent l'écriture changer de régimes, traverser plusieurs paysages en même temps. Tarkos travaille l'épuisement du dire avec méthode (et non sans humour). Il sait que répéter c'est décaler, recommencer, il avance en crabe dans son texte et frotte les sens les uns aux autres, laissant la beauté faire son travail, tressant ritournelles et refrains. Il copie, il colle, il décrit, décortique – sa gangue est poétique, pratique. Un vent encyclopédique souffle, des nappes d'histoire glissent, on surprend des chansons, mais toujours une force philosophique brasse le fond. Une langue qui doute de tout et accepte tout, pourvu qu'elle s'essaie à tout – mais comme elle vient probablement de très loin, du corps souffrant, et, on le sent, d'Artaud, ce que cette langue touche ne reste pas inchangé. Tarkos prend soin (prudence? maîtrise?) de ne jamais céder à la dérive, à l'explosion, au silence; il préfère sucer le galet pour vérifier qu'il ne va pas fondre. Dans "oui", Tarkos met en scène/en branle/en pratique une rhétorique minimale (au début en tout cas), enfilant les affirmations en les laissant se chevaucher, se compléter, se doubler, s'entraîner, passant des idées/concepts/mots de "fermeture", "mélange", "ce qui est", "déroulement" à "l'effectif", "le trou", etc… Le vertige est là, maîtrisé, mais néanmoins là, comme une pensée prise dans le vortex du langage. Le lecteur lit et s'entend lire, sent qu'on le lit à son insu, que les mots se font lire par lui, il sent le langage hors de sa langue, un furet fou qui tourne en cage, une valse de molécules, un moulin à prières actionné par un grand profane. Enfin, avec "L'argent", Tarkos atteint son objet avec sévérité et souplesse, il rend sa monnaie à l'argent, patiemment, sèchement, méthodiquement. Et toujours, quel que soit le moment par lequel passe la physique de sa langue, Tarkos essaie "autre chose", toujours il en profite pour bypasser la syntaxe, l'obliger à des aveux sonores, des lapsus, car "il ne s'agit pas de rester vivant, il s'agit de ne pas rester en invalidité, en ennui, en incapacité, en mensonge, en hésitations, en flottement". Spinoziste écorché refusant d'aider le chaos dans son entreprise innommé, Tarkos classe, inventorie, faisant du hoquet une technique, du hiatus une guérilla – de la langue une "agitation". Tarkos agite. Il nous agite.

vendredi 28 novembre 2008

Autres Electricités


A paraître en février 2009, en Lot49: Autres électricités, par Ander Monson. (Traduit par Barbara Schmidt).

Extrait:

Nécrologie onirique pour ma mère


Qui est mon X, mon alter ego.
Qui est ma repartie mes cartes postales d’un autre pays.
Qui est mon issime.
Dont la menthe est plantée devant la maison.
Dont nous ramassons la menthe, que nous roulons entre nos doigts.
Dont le parfum est ici familier comme une chanson à la radio.
Qui peut se servir avec du thé.
Dont le nom est écrit sur des sacs sous l’abri.
Qui a épousé un ingénieur.
Dont je n’arrête pas de trouver des petits mots dans des livres parsemés
de fleurs de papier autocollant.
Dont toutes les affaires ont été jetées ou vendues aux enchères
maintenant.
Dont la caricature est gravée à l’eau-forte sur du verre dans le salon.
Qui a rendu son dernier souffle sur le divan à rayures vertes.
Qui ne le dirait jamais de cette façon.
Qui est à la fois question et réponse, trou et tout, temps et tant.
Qui vit dans un autre pays où l’on vous fouille à la frontière.
Qui nous a raconté l’histoire de son voyage au Canada par le Pont
International et de son arrestation à la Douane.
Qui se demandait si le Canada existait bien.
Qui se demandait ce qu’était le lendemain de Noël, le jour des
cadeaux.
Qui a changé tout son argent en devises canadiennes.
Qui, quoi, pour qui, pourquoi.
Qui aimait les cheveux courts et l’anglais.
Qui ne se découvre qu’après la mort, tel le secret suprême.
Qui collectionnait les recettes.
Qui gardait mon père sur le droit chemin et à la maison.
Qui m’écrit régulièrement, je le sais.
Dont les lettres n’arrivent plus par la poste.
Qui depuis là-haut est mère et femme, confidente.
Qui a réussi à obtenir un appel longue distance.
Qui était vertu et vérité.
Qui est évasure. Qui s’est évaporée.

mardi 25 novembre 2008

Inherent Vice, by Thomas Pynchon


It’s been awhile since Doc Sportello has seen his ex-girlfriend. Suddenly out of nowhere she shows up with a story about a plot to kidnap a billionaire land developer whom she just happens to be in love with. Easy for her to say. It’s the tail end of the psychedelic sixties in L.A., and Doc knows that “love” is another of those words going around at the moment, like “trip” or “groovy,” except that this one usually leads to trouble. Despite which he soon finds himself drawn into a bizarre tangle of motives and passions whose cast of characters includes surfers, hustlers, dopers and rockers, a murderous loan shark, a tenor sax player working undercover, an ex-con with a swastika tattoo and a fondness for Ethel Merman, and a mysterious entity known as the Golden Fang, which may only be a tax dodge set up by some dentists. In this lively yarn, Thomas Pynchon, working in an unaccustomed genre, provides a classic illustration of the principle that if you can remember the sixties, you weren’t there . . . or . . . if you were there, then you . . . or, wait, is it . . .


Part noir, part psychedelic romp, all Thomas Pynchon—private eye Doc Sportello comes, occasionally, out of a marijuana haze to watch the end of an era as free love slips away and paranoia creeps in with the L.A. fog…

ISBN: 978-1-59420-224-7
Price: $27.95/$31.00 Can.
EAN: 9781594202247 52795
Category: Fiction
Pages: 416
Trim: 6 1/8” x 9 1/4”
Rights: E00
On Sale: 8/4/09
STRICT ON SALE

mardi 18 novembre 2008

Pynchon Agenda


Le jeudi 20 novembre à Toulouse, Librairie Ombres Blanches, 18h, pour causer de Contre-Jour et de Face à Pynchon.

Le mercredi 26 novembre, à Nantes, au Lieu Unique, pour causer de Contre-Jour, avec Bernard Hoepffner qui causera de Noir, de Robert Coover. Débat animé par Isabelle Rabineau.

Le mercredi 3 décembre, toujours au Lieu Unique, pour évoquer Face à Pynchon avec Arno Bertina et Etienne Legrand (et sans doute Stéphane Legrand).

mercredi 12 novembre 2008

Zone au firmament


Mathias Enard vient de recevoir le prix Décembre pour son roman Zone (Actes Sud).

Quatre-vingt-dix ans et un jour après l'enterrement d'Apollinaire.

Ça ne s'invente pas.

Soleil cou couronné…