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mardi 12 janvier 2016

Millet: zéro nuance de gris

Le problème – l'ennui, le profond ennui – avec les écrivains paranoïaques en manque de renom, c'est qu'à peine a-t-on écrit leur nom sur la page ou l'écran qu'ils gonflent déjà, telles des baudruches entendant le début de leur nom – bau… – et croyant y déceler une épithète louangeuse. Et à peine a-t-on entrepris de leur rabattre le caquet qu'ils y voient la confirmation de ce nœud, plus coulant que le fromage auquel s'apparente leur cerveau, où ils s'imaginent que l'on glisse leur tête. Aussi ne dira-t-on pas grand-chose finalement de l'article consacré par Richard Millet à Maylis de Kerangal, paru récemment dans le numéro 61 de la Revue Littéraire. Pas grand-chose à dire, en effet, puisque, une fois de plus, on y apprend ce qu'on savait: l'homme du ressentiment aime à remuer.

Donc, Millet remue. Et remue mollement dans les eaux attendues de ses détestations. Il arbore ses petits étendards fiévreux qui n'étonneront que les novices, enfilant les rôles honnis comme autant de gants moisis. D'abord le Sexiste, qualifiant Maylis de Kerangal de "Zola femelle", lui donnant du "Madame de", la traitant de "Babyliss de Kerangal". Puis le Raciste, crachant sur la "littérature française", visiblement abâtardie, qu'incarne selon lui Maylis de Kerangal et d'autres (en gros, les primés), afin de pouvoir mieux insulter les tenants de la littérature francophone, recourant à l'expression "attraction raciale" et rabâchant l'adjectif "blanc" (ou, "white"), même serti de guillemets. Enfin le Réac, fier et froissé, fustigeant en une même gerbe le post-modernisme, l'ultra-gauche, Foucault, Didi-Hubermann, les gender studies, etc. Surtout etc.

Sexiste, raciste, réac: ce sont là sans doute des termes un peu forts, et que cherche tant à décrocher ce petit persécuté Millet qu'on trouverait finalement généreux de l'en parer. Soit. Retirons-les. Il n'en a pas besoin, étant devenu, jusqu'au paroxysme du ridicule, dérapages inclus, la parodie de lui-même, comme si le fiel fascisant suffisait à faire acte de Bloy. Ça doit être ça le plus dur à vivre, dans le ressentiment. S'imaginer au sommet de la dénonciation et de la vérité, alors qu'on racle la cuvette en se torchant avec ses pages. Se vouloir fracasse et n'être que mélasse. Se croire polémiste quand on est juste taxidermiste. S'inventer blanc quand on n'est que gris. Se croire unique quand on progresse aux régionales.

jeudi 30 août 2012

Richard Millet ou le chou blanc

Richard Millet crée une violente polémique avec un pamphlet de trop, un éloge qui dérange. Une abjection de trop? Va-t-il devoir quitter Gallimard? Bref, le nouveau réactionnaire, à la fois écrivain mal aimé et pestiféré des lettres, suscite le scandale en faisant l'abjecte apologie des crimes d'Anders Breivik et va  de plus en plus loin dans la provocation, provoquant la polémique avec cette nouvelle provocation, suite à cet éloge qui embarrasse.
Voilà, en résumé, et en reprenant verbatim les termes relevés dans la presse, le sentiment (général) suscité par la parution du dernier livre de Richard Millet (il en publie par ailleurs deux autres simultanément). Preuve qu'on peut encore s'étonner des écrits d'un homme qui se présentait à la télévision comme «Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale». Pierre Assouline, dans son billet paru hier, s'efforce de mettre à plat les propos de Millet plutôt de de participer à ce que l'auteur de Langue fantôme se délectera d'appeler (comme à chaque fois) une "curée". L'écrivain et éditeur Yves Pagès, lui, préfère y aller d'une "dédicrasse" enlevée et sans appel.
Personnellement, je bénéficie de l'immense privilège de n'avoir pas encore lu ce texte d'une quinzaine de pages, appendice à un constat désabusé (on s'en doute) sur la littérature actuelle. Je pourrais bien sûr le lire. Mais pourquoi le ferais-je?
Pour vérifier que ce "Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale" qui s'inquiète d'être le seul Blanc dans le RER écrit, si ça se trouve, des choses bêtes? Pour vérifier qu'il écrit des choses, si ça se trouve, pas si bêtes que ça ? Mais où irais-je puiser en moi l'envie – l'idée ! – d'aller vérifier qu'un éloge des crimes d'Anders Breivik, écrit par quelqu'un se prétendant à la télévision "Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale" (et s'inquiétant d'être le seul Blanc dans le RER) peut, si ça se trouve, m'intéresser ? Où irais-je puiser en moi le désir de vérifier que cet éloge n'est pas, si ça se trouve, une apologie d'un crime fasciste comme on le pressent hâtivement, mais, si ça se trouve, une posture esthétique suscitée par le gros chagrin née du déclin des valeurs occidentales (les Croisades?) et de la perte (blanche?) de l'identité nationale ?
Je bénéficie en outre de l'immense privilège, pardon, du triste avantage d'avoir déjà lu des écrits de Richard Millet (n'oublions pas qu'il est persuadé d'être le plus détesté des écrivains français et déplore de n'être pas assez lu). Où irais-je puiser en moi, français de souche métèque, athée et non-homophobe, hanté par la question départementale (= payer mon loyer parisien), l'envie, le désir, l'idée de lire jusqu'à plus soif les écrits de Richard Millet? Où irais-je puiser en moi la motivation nécessaire pour me pencher sur cette quinzaine de pages, venant après quelques centaines d'autres, où je sais que le martyr Millet va me bassiner avec "le chant de la Kalachnikov" après s'être épandu sur la médiocrité de la littérature pan-nationale (qui ne devrait pas être si médiocre que ça, au final, puisque lui-même est en charge de sa régulation chez Gallimard et permet donc de rétablir l'équilibre)? Où irais-je puiser l'audace (ou la bêtise) d'aller vérifier que, si ça se trouve, Millet est peut-être, à sa façon, un nouveau Céline? Où irais-je puiser la curiosité suffisante à la découverte de ce coup médiatique, alors même que je n'arrive toujours pas m'intéresser à la question de savoir si, oui ou non, Jean-Claude Delarue est mort?
Je dois rater quelque chose. Je vais rater quelque chose. Mais quoi? Un raté? Un raté, non pas au sens socialement méprisant du terme, mais au sens automobilesque: quand l'inerte tuyau vide, par lequel le moteur déficient pulse son gaz vicié, lâche un petit pet sonore que, de loin, on prend pour la détonation (le chant?) d'une arme dont on espère qu'elle ne vise que la tempe de celui qui, dépit oblige, s'amuse, si ça se trouve, à la manipuler.