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lundi 25 février 2013

Douze pieds et quelques crocs

Cette semaine commence bien. Il fait un temps à relire Stig Dagerman. L'UMP est scandalisée parce que Hollande a voulu rassurer une fillette en lui disant que le père Fouettard ne reviendrait pas de sitôt. Et on peut voir des peintures de Henry Darger à l'incroyable Museum of Everything qui s'est installé jusqu'à la fin mars au 14 bd Raspail à Paris.  Les Misérables ont eu un Oscar pour le maquillage, ce qui fait sens. Et les Femen ont fait chier Berlusconi devant les urnes. Donc, n'en demandons pas trop. Pourtant, ce n'est pas l'envie de nous faire une ligne qui nous retient. Pourquoi? La réponse tout de suite.

Tracer une ligne n'est pas une opération de tout repos, surtout quand la ligne en question est une ligne d'autobus, celle du 29 plus précisément, et qu'elle est déclinée en alexandrins et soumise au cahots des digressions. C'est pourtant ce que fait Jacques Roubaud dans son Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, publiée récemment les éditions Attila. Un chouette livre par sa conception et sa réalisation, confiée à des élèves de l'école Estienne, où les caractères changent de couleurs selon les niveaux du discours, où souvent les derniers mots des vers voient leur syllabe finale génétiquement modifiée afin de respecter la rime à l'œil (ce dernier mot, chez Roubaud, pourrait donc rimer avec fautœil), où l'orthographe en général est bricolée pour mettre à l'aise ce grand benêt d'alexandrin. Evidemment, le modèle absolu en arrière-fond, on le sent bien, et en plus c'est dit, n'est autre que Cosmogonie de Queneau, même si on sent à tous les hémistiches l'ombre du Roussel des Nouvelles Impressions d'Afrique ou de La Seine, ainsi que les mânes urbaines de Perec. 
Roubaud fait le malin et aime ça. Tour à tour drôle, potache, faussement sentencieux ou ostensiblement érudit, il cherche à convaincre le lecteur que l'alexandrin a encore de beaux jours devant lui, et que la poésie l'a peut-être enterré un peu vite. Il le déshabille, le déguise, le désarticule, l'affuble et le fabule. Le réanime au cas où il serait crevard (alors qu'il va très bien, hein, c'est juste les conditions bourgeoises de sa productions qui ont pris un coup dans l'aile, a-t-on envie de dire). Mais cette Ode faussement linéaire (parce que digressive) ne se contente pas de dire ce qu'elle fait et de faire ce qu'elle dit (ce qui est déjà beaucoup). Elle se permet des petits écarts de route, déboîte parfois sèchement pour filer un coup de pare-chocs aux confrères en poésie de Roubaud, comme si redorer (ou dé-rouiller) l'alexandrin allait de pair avec la sortie de route et le tête à queue.
Dans le chant II, l'auteur se moque des écrivains qui pratiquent le "document poétique" (les mêmes selon lui qui conspuent "les zou lipiens qui font des fable / pour réparer des ans l'outrage irréparable"), donnant ainsi l'impression d'une querelle des anciens et des modernes. On est surpris par l'apparition de cette guéguerre littéraire qui semble agacer passablement Roubaud, lequel se complaît à jouer volontairement les vieux cons à qui on ne la fait pas (ce qui, à son âge, est risqué). Déjà, dans le chant I, pourtant, l'attaque commençait fort :
"Il est temps de marquer     un temps d'arrêt, le stile
De mon ode     paraître difficile
Au lecteur habitué   des écrits qui hont cour
Post-modernes romans   post-poésie à jour
Du goût contemporain,   rap! slam! "nouveau lyrisme"!
Dada régurgité!   hou vieux-breton! lettrisme!
    Disciples des hayd'sick   des blaineu des métaill
    J'admire vos effor    physiques, ne ne raill'
    Ni vos gueulantes ni   vos cris ni vos mimiques
    Ni l'attirail de bé   quilles zélectroniques
    Micro zou ho-parleur   en cent dispositions
    Qui semble indispensable   à vos prestati-ons
          Héroïques héros   du grand vroum vroum disciples
          Dans la soci-été   vos soutiens sont multiples
          Municipalités    journaux et cultureux
          Frétillent de bonheur    vous exaltent, heureux
          De se voir délivrés    de ce dont ils ne savent
          Que faire, ces écrits […]"
Et ça continue dans cette veine en mal d'œdème encore quelques vers. L'attaque contre Bernard Heidsieck (hayd'sick) et Julien Blaine (blaineu) surprend un peu, non seulement parce qu'elle est hors de propos, mais surtout par son inutile virulence, car on voit mal en quoi les tenants de la poésie action et de la performance sonore nuisent (ou ont nui) à la poésie et encore moins à Roubaud. Du coup, les pyrotechnies érudites et cocasses de Roubaud prennent un sens revanchard, comme si le fiel  imbibait la page où se meut son bus. D'autant que son livre peine malgré sa vélocité et sa pétillance à dépasser l'hommage mimétique au maître Queneau. Pourtant quelle furibonderie dans le verbe, quelle souplesse dans l'enjambement ! Le livre se lit à voix haute et sinueuse, et constitue une réelle expérience de lecture, on est surpris, à l'œil et à l'oreille, et oui, il y a plein de citations, c'est riche, énergique, nerveux, même si ça un fait peu son mariole de temps en temps. Dommage que le bus roubaldien se soit cru obligé de rouler sur les clous de la poésie action (ajouter un accent circonflexe au "a" de Quintane n'est pas ce qu'il y a de plus finaud, convenons-en). Bref, malgré la nostalgie cachée à l'œuvre dans cette odyssée eratépéenne, on a souvent envie de prendre le maîtr'ho peaulitin, histoire de faire un p'tit tour de manège dans l'undeurrrgroune…