A l'Ouest – spectacle de danse signée Olivia Grandville qu'on peut voir actuellement à Paris au Théâtre de la Bastille jusqu'au 29 février – est né de l'entrecroisement ou plutôt de la collision de divers projets et événements. Au départ, il s'agissait d'échafauder à partir de la musique de l'artiste new-yorkais Moondog, mais au travail que faisait ce dernier sur la musique des pow-wow est venue se greffer l'histoire politique, à partir d'une manifestations de peuples indiens à Standing Rock. Le spectacle, bien sûr, ne se résume par la fusion de deux intentions – procéder à des variations chorégraphiques sur le pow-wow et réfléchir par l'image et le geste à la tentation de l'appropriation culturelle qui nous habite plus ou moins consciemment. Il fait vite éclater le carcan folklorique et la réflexion culturelle, pour offrir un vertige dansé, où le corps amérindien est traversé par d'autres pulsions rythmiques (hip-hop, danse bretonne, etc).
Sur scène, autour d'un igloo en treillis métallique que viennent enneiger des bâches de plastique transparentes et au centre duquel brûle doucement le feu d'un téléviseur bloqué sur un paysage emblématique, cinq femmes – cinq esprits en quête de transe – martèlent la terre au son d'une musique (composée par Alexis Degrenier) qui procède par nappes et tourbillons, alentissements et vrilles. Des devenirs animaux traversent ces corps; les jambes, qui au début cisaillent l'espace tels des fléaux battant le blé (il s'agit de préparer le sol où danser en aplatissant l'herbe – la grass-dance est un des schèmes du pow-wow), deviennent vite des pattes d'étranges oiseaux – les danseuses portent un haut noir et frangé doré d'une cagoule à visière, un passe-montagne qui rend les visages indistinct, elles alternent et combinent plus d'une vingtaine de pas, s'esquivant toujours, chacune traversée par une expérience unique que chaque autre pourtant explore à l'identique. Electrons, élans, forces magnétiques et telluriques, possession et délivrance: la chorégraphie invoque tous les élémentaux, fait des corps une constellation fiévreuse d'échos physiques. Sidération, tremblement – et mystère.
Œuvrant de tous leurs membres à marquer autant que repousser le sol, s'inventant méduses noires pour mieux fluidifier l'espace scénique, traquant l'envol dans la répétition, chaque corps dansant s'efforce de nous rendre visible la musique invocatoire héritée de Moondog. Libres de saturer le cercle du monde à force de pulsations, les corps danseurs – on pourrait presque parler ici de "corps dansés" – finissent par incarner totalement les cadences qui les animent, et ce dans une spirale combinatoire qui aboutit à une expérience souverainement chamanique. L'énergie semble inépuisable, et ce spectacle qui pourtant ne dure qu'une heure semble s'affranchir du Temps pour n'être plus que l'arpentage vertigineux d'un monde nié. (A l'issue de la représentation, un court film vient rappeler la colère amérindienne et les exactions commises par l'Eglise chrétienne – histoire de, là encore, marteler le sol de la mémoire avec une histoire brisée qui n'est pas finie.)
A l'ouest, spectacle de danse d'Olivia Grandville – avec Lucie Collardeau, Clémence Galliard, Olivia Grandville, Tatiana Julien et Marie Orts.
Théâtre de la Bastille, tous les soirs sauf le mercredi (relâche) à 21h jusqu'au 29 février.