Quelle est donc cette race barbare et
cruelle
Qui a su à ces lieux se montrer si
fidèle ?
Sont-ils les descendants de ces
lointains ancêtres
Dont nous parlent Platon et autres
gens de lettres,
Qui virent leur patrie, la fameuse
Atlantide,
Engloutie violemment par les flots
intrépides ?
N'est-il pas plus sensé celui qui
attribue
Leur antique genèse à ces douze tribus
De Juifs infortunés qui durent
s'exiler
De leur cher Israël, et qui, en
vérité,
N'ont laissé derrière eux nulle trace
superbe –
Ces sauvages seraient des Sémites
imberbes ?
Sont-ils les rejetons, comme d'aucuns
l'attestent,
De l'ombrageux Caïn coupable de
l'inceste
Qui pour sa sœur conçut un amour
criminel
Et lâchement tua son propre frère
Abel ?
Se gardant désormais des foudres de
Yahvé,
Se peut-il qu'il soit son âme dépravée
Dans les sombres forêts du lointain
Maryland
Afin de ses péchés faire honorable
amende,
Et là, s'abandonnant à ses plus vils
instincts,
Engendra sans remords d'innombrables
païens ?
D'autres croient cependant que ce
peuple d'ébène
Réchappa au Déluge et aux vents de
galerne
Comme du vieux Noé l'audacieuse nef
Qui vogua plus d'un mois sans faillir
à son chef ;
L’humanité sombra hormis deux
spécimens :
Les marins victorieux des eaux
diluviennes
(Dont le nombre, on le sait,
approchait la quinzaine)
Et le fameux sauvage aux membres
vigoureux
Qui trouva un asile en ce sein
bienheureux
Et vit périr noyés les mortels égarés
Alors que ses pareils parcouraient la
contrée.
Certains commentateurs se plaisent à
songer
Que cette étrange gent en costume
d'Adam
Connut du genre humain les doux
commencements,
Ceux-là mêmes qu'Ovide appelait l'Âge
d'or
Quand Saturne clément modérait les
transports.
Ces mêmes érudits ont finement jugé
Que leur vaste forêt est l'illustre
verger
Aux branches décorées de fabuleux
trésors :
En ces lieux très-secrets Hercule sans
renfort
Ravit les pommes d'or aux soins des
Hespérides.
D'autres savants docteurs, à l'esprit
intrépide,
Estiment à bon droit que le Jardin
d'Éden –
Où Adam était roi et Ève souveraine
Avant que de goûter à son fruit
défendu –
Est la source avérée des âmes
corrompues.
Des lettrés ingénieux ayant examiné
La légende d'Arthur, ont préféré
parier
Sur les rives sacrées de la douce
Avalon,
Lors que d'autres misaient, non sans
quelque raison,
Sur l'Orient secret. Puis l'on
s'interrogea
Sur ce noble Viking, connu pour ses
exploits,
Qui d'emblée fut charmé par ces terres
nouvelles,
Les peuplant chaque année d'une armée
fraternelle,
Sauvage par la mère et guerrier par le
père.
On glose également sur le haut
caractère
Des anciens Phéniciens aux natures
instables
Qui poussèrent, dit-on, leurs flottes
redoutables
Jusques aux bords sacrés du lointain
Maryland
Sur de lestes vaisseaux aux cales
abondantes
Où ni juges ni prêtres n'auraient pu
se cacher.
Chacun de disputer de l'authenticité
De ces terres baignées de mystères
nombreux.
Enfin, si d'aventure on se montrait
douteux
Et qu'on voulait tenir pour fables
erronées
Ces sages opinions par les doctes
rêvées,
Je conseille à ceux-là qui aiment à
mécroire
De porter vers Satan leurs dédaigneux
regards,
Lui qui dans sa malice engendra ric à
ric
Les Indiens cruels et les esprits
caustiques !
[in Le Courtier en tabac, de John Barth (trad. Claro), à paraître mi-octobre aux éditions Cambourakis]
"...Se peut-il qu'il soit son âme dépravée..."
RépondreSupprimerUn peu bancale l'alex ici... sauf votre respect, Honorable et Très Aimé Claro.
Ebénezer Cook était un piètre poète, d'où le côté un peu bancale du ver...
SupprimerMerci d'offrir cette traduction : sans flagornerie, je suis impressionné par les alexandrins (sans mentir, phénix, plumage, tout ça, et surtout ramage, la galère, quoi). J'ose trois questions et une requête habilement dissimulée en espoir :
RépondreSupprimer• "comme d'aucuns l'attestent" (13) pour "as some maintain" : pour quoi pas certains, qui colle aussi ?
Assonance avec document, docte ? Autre ?
• "Se peut-il qu'il soit son âme dépravée" : je ne comprends pas bien la construction de la phrase.
• peu (13) avant la fin, je ne trouve pas l'écho de "The men commenced to colonize this foreign shore in manner dastard" : pourquoi ce choix ?
• Et plus généralement donc, pourrait-espérer un jour quelques commentaires sur certains choix de traduction à partir de cet exemple ?
Merci en tout cas.
Cela fait quinze ans que j'ai arrêté de fumer, mais j'ai hâte d'entrer dans ce "Barth tabac" et d'y rester longtemps, à me repaître des alexandrines volutes...
RépondreSupprimerLes fameux sémites imberbes !...
RépondreSupprimerDans "Se peut-il qu'il soit son âme dépravée", j'aime beaucoup l'alexandrin privé d'un pied, dépourvu de, corrompu, dépravé ; ça me redonne l'envie de lire des alexandrins, c'est pas rien quand même, ça faisait des milliards d'années que je n'en lisais plus...
RépondreSupprimerD.