Bon, le pain, c'est toute une histoire, il vit, il meurt et pour ce qui est de ressusciter on ne sait pas, même les vieux croûtons n'en parlent pas, bref, tout ça pour vous dire qu'il y a deux façons d'aider le pain à devenir lui-même. L'une s'appelle mouvement, l'autre immobilité. Oui, vous pouvez pétrir, c'est-à-dire agiter les molécules en brassant la masse avec l'air, insuffler de l'intranquillité dans cette collusion d'éléments secs et humides. Mais vous pouvez aussi pratiquer l'attentisme: au lieu de pétrir en forcené, vous accomplissez un pliage style portefeuille, puis vous attendez une demi-heure, ou une heure, et là, sans rage aucune, répétez en silence cette opération, et ainsi de suite pendant une journée, c'est comme une visite, vous passez devant le pain, hop, vous lui offrez une nouvelle position, il aime ça, il est patient, le pain qui devient pain.
Agitation, temps: deux méthodes qui semblent s'opposer mais dont on sent bien qu'elles communiquent à des niveaux secrets. Deux méthodes qui, si l'on y réfléchit bien, se révèlent indispensables en écriture si l'on veut que le texte lève. Mais le veut-on? A lire (ou parcourir, feuilleter, émietter…) certains textes parus en cette rentrée, on a l'impression que pour quelques écrivains bien éclairés (par des spots), écrire c'est finalement ni plus ni moins tartiner. Pas la peine de faire le pain de la fiction soi-même, il existe déjà en préparation toute faite, alors un petit coup de micro-ondes dans l'ordi, ding! on le sort, et on étale dessus tout ce qu'on trouve, sa petite confiture d'affects, la margarine de son quotidien, le miel de son ressenti.
Evidemment, tout ça manque cruellement de goût. C'est étrange, d'ailleurs, ce phénomène: lire des choses insipides. Des choses qui n'ont pas de goût, qui semblent régurgitées, réchauffées. Rien à mâcher. Possibilité de transsubstantiation : zéro. Heureusement pour elles, ces choses insipides bénéficient d'un formidable avantage: elles font saliver les professionnels de la mie, du coup on les vend comme si c'était des galettes, et elles vous collent au palais, elles gonflent, vous en avez plein la bouche et bientôt, même, plein les oreilles… Oui, la tartine aspire à devenir brioche. La biscotte s'imagine miche. Bonus: ces pains pesants et piteux seront primés. Mais dans trois mois, hein, tous rassis.
10/09
RépondreSupprimerMême sans le faire exprès, j'ai eu droit à la "rentrée littéraire"… difficile d'y échapper, j'ai donc négligemment feuilleté, lu en diagonale… peut être suis-je las, peut-être suis-je, doucement, en train de me désintéresser de l'affaire, mais j'ai eu l'impression que TOUS ces livres n'en étaient, en réalité qu'un seul, une espèce de ratapouf inodore, incolore et sans saveur passé dans le même autoclave. Les sujets ont beau être aussi gore que le buzz l'impose c'est le même yaourt, le même mastic… une langue dont je refuse encore (mais pour combien de temps) de croire qu'il s'agit de la mienne.
On s'emmerde ferme en Principauté.
Frédéric Roux/Site officiel/Rubrique Littérature
Ça c'est fait ;-)
RépondreSupprimerJ'avoue que le début de l'article m'a quelque peu déconcerté, voire inquiété...Vite rassuré dès le milieu, et tout à fait par la fin, je me suis posé les mêmes questions et abouti à la conclusion (laquelle intéresse sans doute peu de monde, mais allons-y quand même!) que moi, c'est surtout l'immobilité que j'aime. Le mouvement aussi, faut pas croire, mais à condition qu'il ne "déplace pas les lignes",comme le disait si bien en son temps Charly de Paris (qui n'en loupait pas une, le pauvre: réac, dandy, alcoolo, miché, syphilitique,et j'en passe) En fait, c'est même pas qu'il les déplace, ce satané mouvement, qui me met parfois en rogne, c'est qu'il le fait plus qu'à son tour dans le mauvais sens, y'a qu'à voir - en nous limitant au domaine "poétique" - les productions dont nous ont gratifié...("mais non, Simone, je l'ai pas dit!!)
RépondreSupprimerMais je crois, tout comme toi, à la secrète copulation de l'agitation et du temps, de l'immobile et du mouvant,à qui il arrive parfois d'aller dans la bonne direction s'agissant de poésie, c'est Pessoa qui l'affirme,et je n'ai aucune raison de ne pas le croire, au bout d'un certain temps même des petits comme moi finissent par s'en apercevoir: "Feindre est le propre du poète / Il feint si complètement / qu'il en arrive à feindre qu'est douleur / la douleur qu'il ressent vraiment" (pour ceux que ça intéresserait, c'est dans "Cancioneiro")
Et puisque j'évoquais l'albatros de la rue Hautefeuille, vous aurez remarqué que manque, dans la longue liste de ses "forfaits", le drogué qu'il fut également - inadmissible oubli ne s'expliquant que par mon aversion envers les substances illicites, car le paradis, pour peu qu'il existe, ne saurait être que pur artifice,alors que l'enfer qui nous entoure, partout et de toujours présent,est, lui, des plus naturels, défi et miroir à la fois...Chose que tout écrivain digne de ce nom (de ceux pour qui la littérature n'est pas invention à peine, jeu, expérience, boulier, forge, combinatoire, mise en joue ou sur le métier, mais création pour de vrai, faisant concurrence à ce qui EST au nom de l'inconcevable, mais irrévocable devenir) sait,ou à tout le moins, pressent ou devine ("en tout cas,rien des apparences actuelles", ce devenir que n'eut de cesse d'évoquer le gars Arthur, lui qui, s'agissant de drogue, d'enfer et de littérature, en connaissait un rayon, et même les trois, si je puis dire) Heureux ceux dont le domaine est le roman, la nouvelle, le récit, l'essai ou le théâtre,eux purent continuer après lui, alors que pour ceux qui font (ou croient faire) dans la poésie, c'est une toute autre histoire - TOUTE l'histoire,si c'est bien de littérature qu'il s'agit, et non de ses restes...Car ne leur resta que le choix entre tenter de le nier (certains s'y escrimèrent avec un certain succès, mais nous savons bien qu'il n'en a cure) ou de le dépasser (chose impossible, car comment mieux couvrir une étendue qui, "littéralement et dans tous les sens", ne le fut que par lui, et une poignée d'autres...) Loin du questionnement de l'immobile et du mouvant dans l'écriture? Que nenni, en plein dedans, au coeur même de la cible!
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