Les hasards de l'édition font qu'en ce moment je suis en train de mettre le dernier octet à deux traductions qui ont la particularité d'être parmi mes toutes premières. Il s'agit en effet du Courtier en tabac, de John Barth, et de You Bright and Risen Angels, de William T. Vollmann. Pour ce qui est du roman de Barth, son histoire éditoriale en France est chaotique (cahotique, devrait-on dire). Je venais juste d'achever ma première traduction, Kilomètre zéro, par Thomas Sanchez, sous l'impulsion de Denis Roche, quand je me lançai, toujours pour le maître de Fiction & Cie, dans la traduction de cet énhaurme roman picaresque, écrit dans le style du XVIIIème siècle anglais, à la manière de Fielding, et paru aux Etats-Unis en 1960. Hélas, le livre ne parut pas au Seuil, faute de l'aide, alors, du CNL. La chose resta dans les tiroirs, puis l'éditeur américain reprit ses droits. Il fallut attendre 2002 pour que Le Courtier en tabac paraisse, au Serpent à Plumes, qui mit les clés sous la porte peu après. L'ouvrage connut une nouvelle et brève vie au Livre de Poche, où, publié assez stupidement en deux volumes, il n'eut guère de chance, car le premier volume s'épuisa et ne fut pas réimprimé, laissant peu de chances à une survie solitaire du deuxième volume. Heureusement, il est des éditeurs passionnés, attentifs, qui refusent de laisser aux oubliettes des livres de cet acabit. C'est ainsi que, à la mi octobre prochaine, le livre va reparaître aux éditions Cambourakis. C'est peu de dire qu'on en est ravis. Publié en anglais en 1960, traduit en 1990, paru une première fois en 2002, le voilà qui revient sur les tables, toujours aussi truculent, truffé de vers et de concours d'insultes, hanté par le secret de l'aubergine magique, revisitant les amours de John Smith et Pocahontas, nous narrant les mésaventures d'un poète puceau, d'un libertin aux mille visages, d'une prostituée au grand cœur, de pirates farouches, de colons ivrognes, d'Indiens crédules… Se jouant des codes du roman, des clichés de l'histoire et d'une langue soi-disant classique, Le Courtier en tabac me rappelle si besoin est pourquoi j'ai voulu et aimé le traduire – et sans doute pourquoi j'ai tout simplement aimé et voulu traduire. (Nota bene; et pendant ce temps Steven Soderbergh travaille à une adaptation télévisuelle du Courtier en douze heures…)
Quant au Vollmann, là encore, il revient de loin. J'avais découvert l'œuvre naissante de Vollmann à la fin des années 80 et cherchais un éditeur français pour s'occuper de lui. Personne alors n'en voulait. Finalement Balland s'y intéressa et je signai pour la traduction de son tout premier roman, You Bright and Risen Angels, une fable épique autant qu'électrique, mettant en scène la lutte des insectes contre la clique d'Edison. Hélas (là encore), Balland mit vite les clés sous la porte. Le projet avorta donc, et la traduction dut caler malgré elle. Vint Bourgois qui publia Vollmann (mais pas You Bright), puis Actes Sud qui, grâce à l'indispensable Marie-Catherine Vacher, se lança dans l'aventure avec La Famille Royale. J'ai pu enfin reprendre ma traduction vieille, là encore, d'un quart de siècle (holy shit!) et la mener à bien. Le roman sortira en février chez Actes Sud. On vous en recausera bientôt.
Puisse ce petit rappel anecdotique donner du courage (ou pas?) aux traducteurs en herbe. Non seulement il vous faudra de l'obstination, de la patience, voire de la longévité, mais surtout il vous faudra croire à la justice divine et au temps incertain que met le fût d'un canon pour refroidir.
L'expression ne serait-elle pas "mettre la clé sous la porte" ? (de l'époque où les portes n'avaient qu'une seule serrure, j'imagine...)
RépondreSupprimerQue de bonnes nouvelles, excellentes même, je les attends impatiemment et m'y plongerai dès leur sortie! Je pense en particulier à celle de Barth, qui m'est d'autant plus proche qu'il appréciait énormément mon cher Borges (vérité d'évidence à la lecture de "Lost in the Funhouse", dont la dernière traduction en français date de 1972 - ce qui pourrait te donner quelques idées, non?)
RépondreSupprimerEt je laisse le mot de la fin à Donald Barthelme, dont Barth aimait tant les écrits:
"Q: Is the novel dead?
A: Oh yes. Very much so.
Q: What replaces it?
A: I should think that it is replaced by what existed before it was invented.", qui dit à ce point TOUT ce qu'il y a à dire que je ne vois vraiment plus rien à ajouter...
Oh, ça alors, le hasard fait que le Barth (dans sa "vieille" édition du Serpent à Plumes) est dans ma pile de (re)lectures d'octobre ! Très heureux qu'il redevienne bientôt disponible pour tou(te)s !
RépondreSupprimerOui, et quel sombre hasard objectif que celui qui soustrait Denis Roche à ces équations électives, alors même que je le comptais parmi les maîtres de ma trajectoire.
RépondreSupprimerLe recueil Perdu dans le labyrinthe, soit, mais aussi le très épais Giles Goat Boy (tout comme l'introuvable, à ma connaissance, Origin of the bruinists, premier roman de Robert Coover, prix Faulnker) mériteraient réédition ! Pour les fans de Barth, un des maîtres à penser de Pynchon, rappelons que "Fin de parcours" (un de ses romans les plus simples et les plus drôles, à la Stanley Elkin) a été mis en film en 1970 avec l'immense Stacey Keach !
RépondreSupprimerLe recueil Perdu dans le labyrinthe, soit, mais aussi Giles Goat Boy (tout comme l'introuvable, à ma connaissance, Origin of the bruinists, le premier Coover, prix Faulnker) mériteraient réédition ! Pour les fans de Barth, un des maîtres à penser de Pynchon, rappelons que "Fin de parcours" (un de ses romans les plus simples et les plus drôles, à la Stanley Elkin) a été mis en film en 1970 avec l'immense Stacey Keach. Première phrase : "En un sens, je suis Jacob Horner" qui rappelle, de façon très étrange, une parole du Brad Pitt (?) de l'Armée des douze singes : "Je ne viens pas vraiment des étoiles" !
RépondreSupprimerPareil pour Chimera, hélas, à peu près aussi génial que les autres que vous citez... Et bien sûr, je reviens à la charge : Est-ce que le projet de traduction de Letters est définitivement ajourné, ô Claro?
RépondreSupprimerOh joie ! Enfin ! You Bright en février, c'est la meilleure annonce de la rentrée littéraire ! Non, je suis un peu vache, surtout en ce moment, passionné que je suis par L'Infinie Comédie - à ce propos, je me demandais quelle était votre opinion sur le pavé de Foster Wallace... Mais You Bright, j'attendais ça depuis longtemps, dès mes premiers frémissements éprouvés au contact de Central Europe, et l'extrait que vous aviez fourni m'avait un peu frustré ! Merci d'avoir persévéré, et merci pour tout ce travail...
RépondreSupprimerQue de souvenirs dans ces deux textes... "Dès las que le barbon une fille mignote, des cornes lui échoient en outre de la dote"...
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