Lire, pour le traducteur, n’est déjà plus lire, c’est déjà
défaire, oublier. Qui lit ce qu’il va – peut-être – traduire, lit déjà ce qu’il
va – peut-être – écrire. C’est une étrange lecture que celle que fait –
fabrique – le traducteur qui feuillette le livre à traduire Il lit plusieurs
choses à la fois, sans vraiment tenter de les éplucher, conscient que l’oignon
n’existe pas hors sa cyclique superposition. Il lit dans le décollement, et sa
rétine se laisse impressionner au-delà du raisonnable. Il lit, et au moment
même où il lit, le lecteur en lui se voit contraint d’écrire, même en
ignorance, même en silence, le texte qui imperceptiblement, comme à force de
discrètes apnées, commence à dériver, déraper, la langue de départ s’inventant
non pas une transparence – la quête des équivalence n’a pas encore commencé –
mais des vibrations, des écoulements. Tout ce qu’elle contient, et qui ne fait
pourtant pas d’elle un récipient, se met à connaître une ébullition invisible.
Elle sent, bien qu’en apparence inerte, qu’on attend d’elle, au prix truqué de
son déni, une autre force. Le texte, sommé par la lecture de s'agiter, éprouve alors la tentation d'être traduit.
Écartons d’emblée la tarte à
la crème de la fidélité. Pour qu’il y ait fidélité, autrement dit respect et
soumission, il faudrait que le texte dont on s’empare soit figé dans sa forme
comme un œuf dans sa gelée. Or on le sait, le texte qu’on lit n’est que le
brouillon n+1+1+1… au sein d'une tâche infinie; il porte en lui, saturées, oblitérées,
abandonnées, magnifiées, les cicatrices de son élaboration. Bien qu’apparemment arrêté au stade
illusoirement oméga de son élaboration, il conserve en lui une
dynamique, un élan, et c’est heureux, car c’est précisément cette mystérieuse mobilité qui va en faire un objet de lecture, c’est-à-dire d’appropriation, de dérive, de résonance. Or c’est sur cet objet mouvant que va se greffer le
processus de traduction. Le traducteur prend le train en marche – et se paie le luxe de resquiller la langue.
Votre approche de la création dans la traduction, du texte toujours à traquer dans ce qu'il dit malgré lui et dont certains aspects pourraient être sublimés dans une autre langue que celle de départ est absolument confondante.
RépondreSupprimerEt pourtant, que de livres de bons auteurs devenus, cela apparait évident à leur (tentative) de lecture, de véritables pensum à la langue et à la syntaxe lourdes, pâteuses, indigestes de par une volonté de "fidèle" traduction ! Le traducteur est "aussi écrivant". S'approprier un texte, sa langue, n'est ni le trahir ou le transformer mais bel et bien le porter, et effectivement le sublimer, au risque forcément nécéssaire, pour le bonheur du lecteur,que le traducteur se soit payé "le luxe de resquiller la langue".
RépondreSupprimerBon sang Claro, vous avez une âme de théologien qui s'ignore...sauf que...il s'agit pas d'éplucher un oignon, mais d'évider le noyau de la transparence...sinon on risque d'occulter la pure motivation éthique sous le palimpsestes des hésitations esthétiques...bye
RépondreSupprimerC'est bien pourquoi, sur le premier plat de couverture, le nom du traducteur devrait jouxter celui du premier auteur. Sinon seuls les happy few apprennent à choisir les traducteurs.
RépondreSupprimerMichèle P