Que faire? se demandait Lénine. Qué hacer, renchérit Pablo Katchadjian, écrivain argentin qui donne ce titre à son court texte – Quoi faire –, paru récemment aux éditions Le grand os, dans la collection poc!, une collection dévolue aux "fictions nocturnes & proses hypnagogiques" – or s'il est bien un texte à vocation et fonction hypnagogiques, c'est cet étrange Quoi faire, avec ses cinquante chapitres qui sont autant de cauchemars-récits. A chaque fois, l'argument est simple: Alberto et le narrateur se retrouvent ensemble, dans le même rêve, ils savent qu'il s'agit d'un rêve, très souvent le décor de départ est une université anglaise (ou un bateau, une forêt), ils font cours, ils parlent de Léon Bloy, s'aventurent dans les marécages de la littérature comparée, les étudiants suivent ou ne suivent pas, sont fascistes ou pas, souvent il s'en lève un de particulièrement grand (disons plus de deux mètres) qui décide d'avaler Alberto, et souvent le narrateur doit sauver son collègue en l'attrapant par la capuche de son blouson. Voilà. Si vous aimez les intrigues, vous êtes intrigués, non?
La narration a-t-elle un lien de parenté avec le cauchemar? Tel semble être la question que s'est posée cet écrivain argentin. Les cinquante chapitres de son livre fonctionnent selon une souple combinatoire: divers éléments reviennent:: le chiffon, la vieille femme qui chante, le décolleté de la serveuse, l'étudiant qui mange le prof, huit cents chanteurs dans une taverne, l'état nerveux de tout belligérent, la tête qui grossit, le vieux devenu pigeon aux ailes cassées, le cours sur Léon Bloy, etc. Katchadjian travaille la différence et la répétition dans une langue désossée et beckettienne, à la fois sereine et schizoïde, mettant en loop une suite d'incidents frappés du sceau onirique, où deux protagonistes ne cessent de titubuter (yes: tituber + buter) sur la rhétorique du récit, conscients d'être dans un rêve, ou plutôt un cauchemar, s'y prenant les pieds, la tête, et vivant la répétition comme s'il s'agissait d'une pathologie inédite. Les thèmes deviennent motifs, les motifs virus, les virus mots. Le rêve est souvent le grand clou rouillé de la maison littérature: ici, il est enfoncé avec précision et talent.
L'effet – la lecture – est évidemment hypnagogique. L'absurde et l'angoisse s'égalisent, l'humour reste comme suspendu, le sens échappe aux scrutations: seul subsiste et palpite le pur récit déglingué, où le même et l'autre se tirent la bourre, porté par la tension de l'inéluctable. C'est le premier livre traduit de Pablo Katchadjian, auteur né en 1977: espérons que les autres ne tarderont pas. (Et bravo à Valeria Pasina et à ses collages, mis en couverture par t2bis: grâce à eux, le livre n'en est que plus magique.)
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Pablo Katchadjian, Quoi faire, traduit de l'espagnol (Argentine), par Mikaël Gómez Guthart et Aurelio Diaz Ronda, éd. Le grand os, collection poc!, 12 €
Il se dit que le prochain Katchadjian paraîtra chez Vies parallèles à la rentrée…
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