"Devine où je te dévore", murmure le sphinx en exergue de Congo, bref récit d'Éric Vuillard. Et c'est bien de dévorations dont il s'agit tout au long de ces quatre-vingt-cinq pages nerveuses, irascibles, cuisantes: dévoration de l'Afrique par les blancs pachas, dévoration de l'âme par l'absence de remords, dévoration du temps noir par l'argent blanc, dévoration de la vie par le mépris. On pourrait parler d'une méthode Vuillard, mais ce serait mécaniser une approche qui tient davantage du traitement poétique. Et si Congo est qualifié, en couverture, de récit, ce n'est pas parce que l'auteur raconte, mais parce qu'il récite, comme un récitant, c'est-à-dire en hôte d'une histoire ravagée. Alors oui, Vuillard récite, mais ça n'a rien d'une récitation, soumise et dos au tableau noir, car ici, le tableau noir, c'est l'Afrique, et le récit suinte de ce tableau, il éclabousse, cherche des visages à maculer, des consciences à ronger.
Il était une fois un roi belge qui voulait s'acheter, à titre personnel, une terre, une planète, ce fut le Congo, qui n'était qu'un fleuve, et pour cela Léopold, "sorte de mammouth" secoue tous les cocotiers d'Europe afin de s'assurer leur soutient dans cette main basse sur l'Afrique.
Vuillard a une façon bien à lui d'évoquer les puissants – qu'on retrouve également dans l'autre livre qu'il fit paraître la même année, La bataille d'Occident –, une façon qui rappelle Claude Simon, mais en plus ramassé, en plus électrique: il les peint dans leur décor, fait reluire un ou deux stigmates de leurs apparats, cherche dans leur superbe le lexique de leur bassesse puis les tord en une phrase où il lui suffit alors, d'un changement de registre d'un seul, de les vêtir d'asticots. Chez Vuillard, la description est narration, et la narration description: mais surtout, elles sont accusations, parce que stylées de façon impitoyable, prises dans une poétique du sensible où la moindre nuance est politique. Quand Vuillard décrit le palais Radziwill où en 1834, se réunissent pour négocier les puissances européennes, la conférence est décrite en quelques lignes, quelques lignes gorgées d'un discret carnage:
"Et c'est […] dans cette superficialité étouffante, paludéenne, dans ce déchaînement de frivolité, parmi une prolifération de stucs, lianes de plâtre, flammes de verre, au milieu de cette prospérité monstrueusement légère, de cette inexpression foisonnante, de ce désir inouï de ne rien dire mais de ruminer, de racasser, de remuer sa paille dans son verre, avec toute cette sexualité qui s'ignore et s'expose ingénument, vases chinois, mandarines, fouillis de branches et de griffes, rondes de satyres, espiègleries hideuses de petits monstres, qu'on va se pencher sérieusement sur le destin du monde et chuchoter d'énormes calculs."
Tout est là, en une centaine de mots: le fantôme de l'Afrique, la jungle des affaires, le raclement de la prose (prolifération-prospérité; ruminer-remuer; le verre des flammes et celui où boire; la monstruosité comme un fil rouge…), la petitesse des roublardises (stucs, espiègleries)… Car en moins de cent pages, Vuillard ne vise évidemment pas le panoramique, il s'attache à quelques proies, à la famille Chodron, à Edward Malet, à Stanley, au roi des Belges, au lieutenant Lemaire, à Fiévez qui pour mieux que coule le caoutchouc instaura la moisson des mains:
"[Fiévez] aurait proféré cette règle intolérable: celui qui tire des coups de fusil doit, pour justifier l'emploi de ses munitions, couper les mains droites des cadavres et les ramener au camp."
Ces mains coupées, Vuillard les laisse s'entasser dans les paniers des blancs jusqu'à ce qu'elles grouillent dans notre imaginaire et notre mémoire, et rejoignent d'autres sinistres tas. Chez Vuillard, le motif n'est jamais ornemental: il est profondément organique. C'est plus un muscle qu'une cheville. Qu'on en juge par la phrase suivante:
"[…] ces hautes noblesses où le purin a eu tout le temps de se faire feuille d'acanthe sur son traversin de poussière."
Le Congo de Vuillard n'est donc pas circonscrit à un territoire, une histoire, il devient le livre lui-même, comme si "congo" se changeait en un cri chanté, un mot de désordre, le nom d'un enfant anonyme. Parfois, Vuillard dit "on" ("On peut voir aujourd'hui, si l'on cherche un peu…"), parfois il dit "je" ("J'ai lu quelque part sur le téléscripteur de je ne sais quelle maison de fous…"), et à chaque fois ce "je" et ce "on" sont comme des doigts pointés vers le lecteur, qui semblent dire: et toi, où es-tu dans cette empoignade? Et quand le livre est fini, force est de reconnaître que ce qu'on vient de traverser tient moins du récit que des "illuminations". Une poésie critique, donc, préoccupée d'intensités, éprise de courts-circuits, travaillée par le politique. Monstration.
« qui pour mieux que coule... » ; « devine où je te dévore » ; « c'est bien de dévorations dont il s'agit » : il me semble qu'on n'attendrait pas cela d'un écrivain et traducteur . Laissez ces couacs aux journalistes !
RépondreSupprimerEt encore une fois il ne s'agit là que d'un post sur un blog, foutez donc la paix à Claro, il a déjà la gentillesse de nous faire partager ses découvertes, ses interrogations, ses inquiétudes... et parfois même ses recettes de cuisine ! On ne va pas en plus lui demander de relire par trois fois et de traquer les fautes sur chaque post, à mon sens il a mieux à faire en écrivant, en traduisant, en lisant... ou en faisant la cuisine !
SupprimerOh ! pardon ! Je voulais « Merci not' bon maître, de nous rendre visite en débraillé ! C'est bien assez bon pour nous. »
RépondreSupprimerC'est mieux comme ça ?
Vraiment vous confondez tout ! Mais si franchement vous n'avez rien de mieux à faire que de jouer les correcteurs, alors allez-y carrément, et faites-nous un relevé de toutes les fautes, d'orthographe, de syntaxe, de frappe, de ponctuation... sur tous les posts de ce blog ! Et, tant que nous y sommes, publiez-les en un fort volume, ça vous rendra (peut-être) célèbre... Ou alors, activez votre propre blog, avec un minimum syndical de cinq posts par semaine (hors vacances scolaires, et nous serons bons, nous vous laisserons choisir votre zone académique, nous ne vous l'imposerons pas !), et faites-nous part de son adresse ; nous verrons alors si son contenu vaut celui de Claro et si vous réussissez à faire moins de fautes !
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