Il est des personnes qu'on aime, qui ont écrit, longtemps, écrit du fond d'une discrète résistance, et qui parfois meurent. Elles meurent parfois, ces personnes, je veux dire par là qu'au fil de leur parcours survient à un moment plus ou moins identifié une cessation, purement technique, de leur geste — car si elles ne peuvent plus écrire, leurs écrits, eux, peuvent continuer et continuent de nous écrire, d'écrire nos corps, nos mémoires, puisque, paraît-il, nous les lisons, les lisons encore. Voilà pourquoi le Clavier Cannibale ne fait jamais état, ou si peu, ou si mal, de ceux qui disparaissent, ou du moins dont la disparition signe en surface la fin d'une avancée qui pourtant, on l'espère, proliférera, mais autrement.
L'hommage aux morts semble souvent lié à quelque devoir de mémoire, ou de rémémorade, de remembrance, s'accompagnant hélas de façon quasi pandémique d'une confusion entre la personne enterrée ou crématée et la résonance menacée de son travail. Or cette confusion, si humaine, trop humaine sans doute, éprouve une difficulté coupable à faire l'économie de l'éloge. Qui meurt bouffe du laurier. Notre formulation du deuil semble devoir passer par un gommage des aspérités. Nous ne voilons de noir que pour mieux chanter les seules clartés du fantôme qui s'est tu.
Je rêve d'un enterrement voluptueusement critique et saboté, le mien ou celui d'un ami, le tien lecteur, où chacun cultiverait avec panache et dérision le fier venin qu'il en tire; je rêve d'une crémation qui serait, sinon tout feu tout flamme, du moins un ambigu et rutilant règlement de comptes. On se contente trop souvent de humer avidement le fumet des récentes dépouilles, comme si leurs ultimes hoquets, même soyeusement fermentés dans l'humus ou roussis dans la braise, risquaient de s'offusquer de notre réticence d'encore vivant.
Est-ce parce que l'écrivain mort ne peut plus répondre qu'on le lange dans la couche révérencieuse? Pourtant il répond, a répondu et répondra des fonts fort peu baptismaux de son œuvre, n'en doutez pas. Et la mort, croyez-moi, s'il l'a choyée dans son pansu défi et son moite compagnonnage, vous la trouverez au bout du moignon de chacune de ses phrases. Quant à cette histoire de trépas, elle est au mieux relative, n'est-ce pas. Certains, dont les pensums occupent des rayonnages, sont déjà décédés avant l'heure. D'autres se décomposent par avance à l'intérieur même de leur bouquin déjà boucan. D'autres encore tardent à renaître, n'ayant pas assez tété les polypes de la gloire.
"La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz."
Débuons et lavons les livres que nous aimons, et au soleil de notre intempérance desséchons et noircissons leurs lignes. La langue nous fossoie bien assez comme ça, nul besoin donc de la pelle du laudateur. Rions de ces faux vivants qui n'écrivent qu'avec l'encre sucée de leur concession auto-patrimoniale et prêtons l'oreille, en curieux, en allié, en spectre inassoupi, à ceux qui, morts ou n'ayant ni envie ni peur de l'être, s'empêchent d'être les perroquets de demain et cherchent à faire de chaque os une flûte.
Aucun de mes os ne sera troué pour servir de flûte enchantée...
RépondreSupprimercitation de jean marc lovay.... ne peut-on le dire? ;-)
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