© Gerhard Richter |
Passons une fois de plus par Claude Simon. Pour parler
traduction, bien sûr. Faisons donc escale dans Histoire, où le « thème » de la « version »
joue un rôle et tient une place prépondérantes, ou du moins récurrentes, puisque l'enfant du livre peine à plusieurs reprises sur des passages des Métamorphoses d'Apulée, les faisant bégayer, les "ahanant" pour mieux les laisser polliniser le texte. Il est aidé dans cette tâche par l'oncle Charles, et à l’instar de ce dernier, on aimerait parfois dire aux lecteurs
qui renoncent à se dissoudre dans Simon ce que cet oncle bienveillant et
revêche déclare au narrateur enfant qui cale au seuil de la version :
« Est-ce que tu ne crois pas que tu pourrais au moins faire semblant de la préparer avant de venir me dire que tu n’y comprends rien ? »
Oui, un peu de préparation, ça ne serait pas plus mal, non? Ou du moins l'illusion d'une préparation… C’est un moment crucial dans le livre, bien sûr, car
l’oncle Charles n’est pas dupe, pas plus que Simon, quant à notre esprit de sérieux. Nous sommes souvent des lecteurs paresseux, distraits, insuffisamment roublards. Voilà sans doute pourquoi le grand Charles pousse un peu plus loin le bouchon rhétorique et demande alors à l'enfant:
« […] pendant combien de temps as-tu fait semblant de faire semblant ? »
Phrase stupéfiante, question carabinée, à laquelle il
serait bon que tout lecteur, voire tout traducteur, réponde. Ne faisons-nous
pas en effet, quand nous lisons, ou quand nous traduisons, semblant de faire semblant ? Le simple fait que l’action de
feindre puisse être dédoublée, emboîtée dans son propre effet de miroir, est en
soi assez mystérieux. Cela suffit pourtant à nous convaincre que quelque chose
d’essentiel est ici à l’œuvre.
Nous feignons d’être plus ou moins prêt aux
expériences de lectures qui nous attendent, mais c’est une illusion. Rien ne
nous prépare vraiment à certains chocs littéraires. Mais pour entrer et avancer dans ces
lectures qui déstabilisent, étant
elles-mêmes nées d’un savant, d'un violent désaxement et ne concevant plus l’équilibre que
de façon dynamique, pour ainsi dire fildefériste, pour ne pas (trop) nous perdre dans leurs méandres, il se peut que nous feignions d’y entendre quelque chose – un écho ?
–, et c’est sans doute cette comédie de l’entendement
– où la stupeur décide de se déguiser en confiance – qui nous en ouvre certaines portes, facilite certaines figures, permet quelques bonds, un
peu comme quelqu’un qui mimerait la cécité pour tromper la nuit et finirait pas
savoir se diriger dans l’obscurité.
Feindre, c’est aussi ruser. Et l'on peut, pourquoi pas, feindre de ruser — ce dont les textes ne se privent pas, non?
J'aimerais assez que la taille de la police reste à peu près constante d'un article à l'autre, hein. Merci.
RépondreSupprimerDans une autre version, faire semblant rejoindrait la position du comédien, de l'acteur, du mime, ce qui mènerait à : jouer à faire semblant, jouer à mimer ou faire semblant de jouer ou de mimer ; dans le premier cas cela revient à ne pas faire semblant: il n'a pas fait semblant (= il n'a pas raté son coup par exemple); dans le second faire sérieusement la chose ce qui revient au même ( il fait semblant de s'amuser ou de ne pas, soit il ne s'amuse pas ou le contraire il s'amuse réellement). La recette doit s'appliquer à tous les verbes d'action pour tenter de savoir ou comprendre quelque chose à cette figure de style, ce rebondissement du sens au carré.D'une façon générale deux négatifs s'annulent. Faire semblant de faire semblant pourrait signifier prendre les choses au sérieux. Dites moi si quelque-chose cloche dans ce raisonnement ou s'il existe d'autres pistes où cheminer.
RépondreSupprimer