Le dernier livre de Frédéric Boyer a pour titre une question qui
n’apparaît qu’à la dernière page : Quelle
terreur en nous ne veut pas finir ? Cette terreur, c’est celle de
l’autre, du risque que l’on prend en laissant venir à soi l’autre, une terreur
qui en pousse plus d’un aujourd’hui à serrer des coudes égoïstes et à se
passionner soudain pour des histoires d’héritage national, d’identité
républicaine, qui plus en se défendant du moindre racisme. Contre ces
« incorrects » qui se prétendent réalistes, Boyer propose une
réflexion qu’il sait ou suppose naïve, tout en précisant que l’innocence de son
propos le rapproche de l’enfance et donc de l’esprit d’ouverture, esprit qui
manque cruellement selon lui à l’époque présente. D’où la nécessité – urgente – de redéfinir la
morale :
« La morale ne signifie pas le jugement mais cette forme particulière du dilemme qui appelle le courage des sentiments. »
Pour Boyer, sans risque, pas de morale. Sans morale, pas de politique.
Il importe de ne plus « rester en soi », d’affronter l’imprévu avec
bienveillance. N’est-il pas étonnant que ce soit au nom d’une prétendue
mémoire, d’un soi-disant passé, qu’on repousse l’autre et refuse la possibilité
de l’accueil, comme si, dans ce passé national soudain crucial, vivace, ne reposaient
pas les mille et un cadavres de l’autre qui nous ont aidé à nous définir, ce
qui ne veut pas dire nous fixer ? On n’invoquerait ainsi, pour fermer les
frontière, un impérieux Lebensraum
que parce que les éventuels postulants à notre sol se révèlent démunis. On
projette ainsi sur eux, les dépossédés, une peur de la dépossession.
Mais le « droit de faire un peu de place à d’autres que
nous » n’est-il pas le droit sur lequel nous fondons notre propre
occupation des sols ? Menace-t-on vraiment une cohésion fantasmatique
quand on s’ouvre aux migrations ? Et Boyer de s’insurger :
« Car j’observe que ce sont toujours les pauvres, les plus pauvres d’entre nous tous, les plus malheureux, les plus faibles du monde que nous repoussons, et sur le dos de qui nous bricolons et recollons nos déchets de morale, et sur le dos de qui nous faisons porter le fardeau de notre identité malheureuse. De notre identité protectrice et suicidaire. Le poids de notre unité, et celui de notre fausse, de notre hypocrite identité accrochée finalement à la peur de disparaître. »
Même si l’on n’est pas humaniste et chrétien comme Boyer, il est
difficile de rester insensible à son plaidoyer, qui d’ailleurs ne puise pas son
souffle uniquement dans les textes sacrés, mais fait appel aussi à Judith
Butler, Simone Weil ou John Rawls. Quelle
terreur en nous ne veut pas finir ? suit pas à pas la fausse logique
qui nous pousse à fermer les yeux devant l’ombre d’où nous venons et met au
service de notre intelligence une langue humble et articulée qui s’est
ressourcée aux écrits prophétiques. A tous ceux qui déplorent de se sentir
« si peu affectés par l’attente », voici un texte qui prend ses
forces dans une apparente naïveté dont l’autre nom est courage.
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Frédéric Boyer, Quelle terreur
en nous ne veut pas finir ?, P.O.L, 99 pages, 9 €
[Note: Merci à Sophie Quetteville d'avoir attiré mon attention sur ce livre… ]
[Note: Merci à Sophie Quetteville d'avoir attiré mon attention sur ce livre… ]
Accepter les migrants et arrêter l'immigration, telle est la voie. Trop de drames.
RépondreSupprimerJe dirais plutôt : accepter les migrants tout de suite, à terme, faire en sorte qu'ils n'aient plus le désir fou de risquer leur peau pour émigrer (el le chemin sera long).
RépondreSupprimerCette "fausse logique" comme vous dites me rend malade Et ma naïveté est sans doute totale puisque, selon moi, la terre est à tout le monde.