jeudi 21 mai 2015

Simon enfoui, Simon étoilé : Numéro Europe

La Revue Europe vient de publier un numéro consacré à Claude Simon. Rappelons que ce dernier, avant et même après l'obtention du prix Nobel, n'a pas toujours fait l'unanimité auprès de la critique française. "Catalogue cousu de fil blanc" pour Angelo Rinaldi. "Grand-père déphasé", pour François Weyergans qui a si bien vieilli depuis…. "Le moins pire des nouveaux romanciers" pour Libération (en 1981)… Mais, comme l'écrivit si facétieusement et si amicalement Denis Roche à Simon lors du Nobel:
"On devrait pouvoir se présenter toujours devant les distinctions, et la postérité, comme on est lorsqu'on écrit: excité, et en velours côtelé" (lettre du 24 octobre 1985).
Ce numéro 1033 d'Europe est donc une belle occasion de se replonger dans l'œuvre de Claude Simon un peu moins de onze ans après sa disparition. Mais tout d'abord, en toute amitié puisque j'y ai participé, deux petits bémols. Le premier m'est soufflé par une phrase de Cécile Yapaudjian Labat, qui a coordonné ce numéro. En effet, celle-ci nous informe que les romans de Claude Simon exercent leur "puissance de séduction" sur
"bien des auteurs contemporains: Pierre Bergougnoux, Arno Bertina, Marcel Beyer, Claro, Maylis de Kerangal, Olivier Rolin, Jean Rouaud… la liste est loin d'être exhaustive." (p.9)
Or l'écrasante majorité des contributeurs à ce numéro sont des universitaires, en général spécialistes de Claude Simon – à l'exception de Philippe Forest et de Jean-Yves Laurichesse. On aurait pourtant aimé lire des textes d'écrivains, ceux mentionnés en préface ou d'autres, afin de "panacher" ce nouveau panorama d'une œuvre dont "la puissance de séduction" est désormais avérée auprès des poètes et des romanciers. J'en viens donc à mon deuxième bémol, ou plutôt étonnement: aucune notule bio-bibliographique n'est fournie concernant les participants à ce numéro. N'était-ce pas la moindre des choses que de donner au lecteur un minimum d'information sur les auteurs des textes qu'il va lire? Tout le monde ne sait pas forcément qu'Alastair Duncan est le président de l'Association des Lecteurs de Claude Simon. J'avoue que je l'ignorais (d'autant plus que le site de l'ALCS est une mine précieuse)  Et si je sais qui est Dominique Viart, en revanche mon ignorance est totale au sujet de Wolfram Nitsch et de quelques autres. Je suppose qu'ils ignorent également tout de mon CV et se demandent ce que je viens fabriquer dans ce sommaire. Je pinaille? Peut-être. C'est davantage un regret qu'une critique, en fait.

Mais laissons donc là ces vétilles et louons plutôt l'exigence critique de ce numéro. Le texte de Patrick Longuet, qui ouvre le volume, est particulièrement lumineux, et touche au plus près le travail de Simon:
"La description accueille au sens le plus fort: la brocante du monde entre dans le livre comme une puissance physique sans imposer d'autre ordre que celui d'un phrasé." (p. 15)
***
"Ce que les images partagent avec le corps, leur participation à ce moi temporairement reconstitué, tient lieu de loi harmonique."
Philippe Forest est nettement moins inspiré et comble ce manque d'inspiration par des citations de Simon, et sans doute aurait-on tort, finalement, de s'en plaindre. J.-Y. Laurichesse nous entraîne, quant à lui, au cœur du "sentiment géographique" de l'écrivain en s'attachant à certains modes de transport et aux bouleversements qu'ils induisent sur la vision et la captation des paysages (train, avion, voiture…). P. Schoentjes revient sur l'origine "publicitaire" des textes Archipel et Nord, tandis que N. Piégay-Gros s'interroge sur la violence coloniale (telle qu'elle est représentée surtout dans Histoire et L'Acacia). W. Nitsch se concentre quant à lui sur la présence de la machine et la valeur de la technique chez Simon. Mais il n'est hélas pas possible de détailler ici le sommaire entier de ce numéro très dense, sinon pour signaler in fine le beau texte, érudit et pudique, de Christine Genin sur un "trou noir" repérable dans Histoire, le suicide de Renée Clog, avec laquelle Simon vécut douze ans:
"L'ensemble des procédés textuels que le roman déploie semble de fait mis en œuvre pour à la fois taire et révéler, enfouir et étoiler ce qui est passé sous silence. Tel un trou noir, le secret de la mort de Renée engendre et dynamise tout le texte, et c'est sans doute grâce à ce 'noyau de mort cachée' qu'Histoire marque une évolution dans l'écriture simonienne." (p.186)
"Enfouir et étoiler": on ne saurait mieux qualifier la spécificité à la fois technique et poétique de l'œuvre de Simon.
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Revue Europe, n°1033 / Mai 2015 – numéro consacré à Claude Simon (et à Friederike Mayröcker), 20 €

1 commentaire:

  1. Laurichesse est écrivain, et pas des moindres, mais il est aussi, et surtout dans ce cas précis, universitaire spécialiste de Simon. Merci en tous cas pour votre article. Celui de Forest n'a pas grand intérêt effectivement... On peut regretter aussi la présence d'un texte de Simon lui même.
    Un libraire de passage, regrettant souvent que ces collègues dédaignent Simon sans l'avoir lu.

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