Régénéré par la traduction de Jean-Paul
Manganaro, l’Affabulazione de
Pasolini trouve avec Stanislas Nordey un vibrant oracle — ce texte, qui se joue
jusqu’au 6 juin au Théâtre de la Colline, se veut l’exploration d’une
visitation – comme l’avait été, à sa façon, le film Théorème. Ce qui se joue ici est de
l’ordre de la pulsion, une pulsion aux dimensions mythiques qui se change en
obsession : le père veut comprendre l’énigme du fils, refusant d’y voir un
pur mystère. Le tragique cherche ainsi à renaître dans le corps même du
symbolique, tandis que la poétique à l’œuvre dans le texte fait vaciller
d’autres enjeux, profondément politiques.
Le spectateur de la pièce, comme conjuré par le texte pasolinien,
assiste à une valse des convulsions et des contradictions, une enquête prise
entre rêve et veille, où le Verbe
est jeté en pâture chantante dans un décor lui-même arraché aux derniers étages
de la résidence d’été du prince Salina, celui dont le déclin baignait de son
hautain crépuscule le film de Visconti. Mais chez Pasolini, le Guépard joue à
l’agneau, le géniteur se prend pour une rejeton, et l’auteur d’Affabulazione tord sans concession le
cou au mythe œdipien et opère un renversement qui permet de relire l’Histoire.
Au centre de ces convulsions, Stanislas Nordey épuise l’espace
scénique tantôt en marcheur penché à la William Blake, tantôt agenouillé tel un
Hamlet n’ayant plus que son propre crâne à offrir à l’énigme du monde en deuil.
Un père et un fils, le premier abasourdi par sa prédation déclinante, l’autre
refusant de jouer les fauves rebelles, tous deux aimantés par l’impossible
résolution de leur conflit entre des murs qui ne cessent, au prix de lentes
reptations, de malaxer et redéfinir l’espace. Le mythe est désossé, mis à nu, bousculé,
car ce ne sont pas les fils qui veulent tuer les pères, mais les pères qui les
tuent bel et bien en les envoyant crever aux tranchées, de peur qu’un jour ils
ne les détrônent. Ce sont les pères qui redoutent un crime encore plus grave
que le parricide : le dédain, la moquerie, la fausse obéissance. Des fils
qui refusent d’être fils.
En contrepoint de cette danse du verbe à laquelle nous invite Nordey,
il y a la voix de Sophocle, qui vole et fuse, et la musique d’Olivier Mellano,
lente et patiente, à la fois ombre et menace; il y a le fils aux cheveux blonds, poussé à bout jusque dans sa raideur, les femmes tantôt ignorées tantôt
repoussées, le flic-curé-médecin à la parole prudente. Et se dressant tout
autour, de grandes toiles italiennes, comme ce Sacrifice d’Abraham du
Caravage dont personne ou presque ne semble voir la dimension propitiatoire, comme si tous avaient les yeux crevés par la réalité. Longtemps après la fin de la pièce, alors que tremblent encore sur le sol les paillettes de la nécromancienne, la voix de Nordey continue d’innerver la
conscience du spectateur, en une rare osmose avec la folie Pasolini.
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Affabulazione, de Pier Paolo Pasolini, mise en scène par Stanislas
Nordey
(avec
Marie Cariès,
Raoul Fernandez, Thomas Gonzalez, Olivier Mellano, Anaïs Muller,
Stanislas Nordey, Véronique Nordey, Thierry Paret)
Jusqu’au
6 juin 2015, du mercredi au samedi à 20h30,
le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30 (
durée
2h20
) – Théâtre
de la Colline
Vu son "Porcherie" deux fois il y a une quinzaine d'années. Sortie en tremblant. Les deux fois.
RépondreSupprimerJe crois que Nordey pourrait me passionner même en lisant l'annuaire. La saison 2014/2015 fut une belle année où on a pu le voir beaucoup...Avec le TNS, il va sans doute être plus rare comme acteur ..j'en suis toute contrite.....
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