mardi 5 mai 2015

La mémoire bousculée de Sam Savage

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Spring Hope, de Sam Savage, est un livre précieux sur ce miroir sans tain qu’est la mémoire. Une femme se rappelle son enfance, en particulier sa mère, une femme férue de littérature qui sent l’écriture se refuser à elle à chaque page, et en souffre, et sans doute en meurt. Le roman progresse de façon impressionniste, par touches légères, inachevées, épiphaniques, essayant diverses couleurs afin d’approcher au plus près la nuance du réel enfui. Pour cela, Savage recourt au procédé toujours stimulant du « je me souviens », non pour accéder à un universel sensible, encore qu’il parvient à créer des zones d’affects où le lecteur trouvera sa place, mais pour exposer les ruses louables de la mémoire, ses tractations impalpables avec l’oubli.
La narratrice cherche à « insuffler de la vie dans les souvenirs », allant jusqu’à employer le verbe « ressusciter ».  Comme si les souvenirs mouraient, se décomposaient, et qu’il fallait, en créateur de l’ombre, leur offrir une seconde chance. Les images, les instants, les saveurs, les sensations qu’elle convoque seront donc souvent accompagnés d’un nuancement. Ainsi, peu après avoir retrouvé l’image suivante :
« Je me souviens quand mes frères escaladèrent la glycine pour se hisser au porche du haut où je reposais dans mon berceau en osier. »
elle croit bon de préciser :
« « Si c’était un véritable souvenir, je ne serais pas dans l’image, portant un bonnet rose, dans le berceau en osier. »
puis ajoute dans la foulée :
« Je ne me souviens pas de berceau en osier par ailleurs. »
Et c’est précisément au fil de ce jeu des contradictions, par ce travail de la raison, de la déduction, que l’auteur parvient à toucher au plus près la véritable nature du souvenir, qui peut être souvenir de souvenir, construction d’après récit, pure invention, concentré d’instants répétés, etc. Un écrivain ne se doit pas seulement d’inventer des souvenirs à ses personnages, il doit donner auxdits souvenirs une épaisseur autre que l’authenticité, dont le souvenir n’a que faire. Et cette épaisseur, cette densité du souvenir réside dans les conditions de son surgissement. Le souvenir naît du langage. Il est, à sa façon, un lapsus : un mot trébuche et aussitôt une image apparaît. En cela, le souvenir est peut-être la vérité de l’écriture, puisqu’il permet l’épanouissement d’un monde à partir d’un énoncé.
Comment naissent les souvenirs ?
« Je soupçonne qu’un certain nombre de mes premiers souvenirs appartiennent en réalité à Thornton ou même à Edward, et que je les ai pris à mon compte, ingérés pour ainsi dire, après avoir entendu l’un ou l’autre en parler. »
Mémoire cannibale, mémoire assoiffée — la narratrice de Sam Savage, dans sa quête élégiaque du passé, répare le tort dont souffrait sa mère. Et c’est alors comme si se souvenir et écrire étaient les deux faces d’une même pièce lâchée dans le puits du temps perdu.

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Sam Savage, Spring Hope, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Martin, éd. NOTAB/LIA, 13 €

2 commentaires:

  1. Mais dites-moi, cher ami, à propos de mémoire qui flanchouille... on ne serait pas autour de votre anniv' ces jours-ci ? Si ?

    Mais quel jour exactement ?
    Merci de nous rafraîchir (ce que vous faites, de toutes façons).

    Et à tout hasard, jusqu'au 21 mai : Heureux anniversaire !!

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  2. faut il encore se poser la question du pourquoi, du comment et du pour qui de ce site et de ce blog ?
    prenant le cas de Spring Hope :
    petit livre (126 pages) avec une mouche sur la couverture, que l'on retrouve en 4eme (et même sur un signet interne gracieusement mis à disposition. le charme des signets... pour ma part j'utilise le plus souvent des cartes (souvent non écrites) non pas des vues de monuments ou de jardins, mais des cartes, ou photos comme il y en a plein. leur format me convient mieux que le signet vertical.

    revenons a Spring Hope. un certain rappel des "je me souviens" de Georges Perec. le charme de ce qui a été (il y avait eu un peu pareil avec un auteur récent Du.. quelque chose (je l'ai oublié, mais il le méritait bien) (ces faux airs de nostalgie et de départ en vacances dans la voiture familiale)

    donc Spring Hope "Pourtant les oiseaux ne peuvent pas être considérés comme névrosés" il y a eu les colibris, les buses les faucons, il y aura les perroquets, corneille et pas un corbeau (ça c'était la référence a Poe, et à sa mère, fana de lettres et de littérature). la mémoire......

    petit livre agréable dont je me suis aperçu avoir vu sur ce blog une fois rentré chez moi (encore une histoire de mémoire- qui flanche celle la). reste à lire ce que cette maison a aussi produit ( L.B. Robitaille, Antonio Ungar)
    comme quoi le blog est utile (et agréable en plus ce qui ne gache rien)

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