Qu’en est-il du théâtre narratif, dont Dario Fo donna l’impulsion en
Italie, et dont Ascanio Celestini semble être l’artisan le plus
doué ? Rappelons que Fo fut prix Nobel de la paix en 1997 et que par son
entremise la parole put investir usines et théâtres afin de dire ce qu’il en
est de l’aliénation. Etayé par des documents et des témoignages, le
théâtre-récit permet à l’interprète d’adopter des figures souvent ennemies. Il
s’agit d’une anthropologie littéraire, vécue vocalement, que la résilience politique transforme en un one-man show/text dont on
aurait peine à trouver
d’équivalents ici (sauf à lorgner du côté de Pennequin ou Adely)..
La traduction, récente et exemplaire, de Discours à la nation (et autres récits), devrait permettre à nos
oreilles engourdies de découvrir l’œuvre plus que stimulante de l’écrivain
Ascanio Celestini. Que fait Celestini ? Ni paraboles ni fables, ses plus
ou moins courts textes pivotent autour d’un axe politique, social,
philosophique. L’angle est faussement naïf dans sa dialectique, mais
suffisamment scandé et modulé pour que le message soit aussi subtil que franc. Un
homme regarde goutter son robinet, imagine le déluge possible puis se retourne
vers le mur. Un anxieux jalouse un tronçonné, dont le sang visible semble
moquer l’invisible de sa dépression. Un cadre établit le protocole de sa
participation à des réunions : doit-il ou non poser son revolver
d’emblée ? Un type croise Dieu dans un supermarché. Des cours de file d’attente
sont donnés dans les écoles, etc.
Tranchant, malin, troublant, musclé, le procédé-Celestini est une
(re)mise en scène permanente des traquenards sociaux et des discours qui les
sous-tendent. Caméléonesque, son écriture emprunte, dévoie, poursuit et explore
le labyrinthe des discours possibles – avec une charge comique qui en souligne
la dimension subversive. Ecoutons Celestini, magnifiquement traduit par son acolyte Christophe Mileschi :
« Les rats étaient dans l’égout,parmi les excréments ils croissaient à coups de latte et de poison.Un Jour ils bondirent hors de leur trouet tombèrent sur le chatqui vivait paisiblement,mais quand il vit les rats il sortit ses griffeset d’un coup de patte les renvoya à l’égout. »
Que firent les chats ? vous demandez-vous ? Ils se
terrèrent. Mais leurs enfants, élevés à coups de latte et de poison, eurent
raison du félidé qu’ils « déchiquetèrent, […] dévorèrent / et sur ses
restes laissèrent leurs excréments ». Puis surgit un chien, qui les
renvoya aux égouts. Mais les ratons des ratons viennent à bout du dogue. Et
cetera, en remontant la chaine hiérarchique, jusqu’aux instances du pays.
A à la fin d’un texte intitulé « Papier carbone »,
Celestini, », dit :
« Nous sommes pareils.Déprimés et apeurés. »
Mais la prose de Celestini, elle, est tout
sauf déprimée et apeurée. Elle exsude la révolte et l’espoir citoyen.
Ruez-vous, c’est publié par Notab/lia, la collection que dirige Brigitte
Bouchard, à qui l’on doit l’exceptionnel catalogue des Allusifs.
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Ascanio Celestini, Discours à la nation, traduit
de l’italien par Christophe Mileschi, éd. Noir sur Blanc,
coll. Notab/lia, 2014, 19 € –
(et chapeau à Paprika, qui designe les couves).
Ne serait-ce pas plutôt : Que firent les rats? Pardon de me mêler....
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