J’aimerais vous parler de l’œuf. Cet animal a rarement été étudié, car
il a souvent été considéré comme une pierre qu’on ne peut casser qu’une seule
fois. Rendons-lui justice, car c'est un des rares animaux à ne savoir
s’épanouir que sous des températures très précises. Très jeune, l’œuf apprend à
s’endurcir, et il peut être mortel si on le lance avec la force idoine. Comment
fait l’œuf pour s’endurcir à ce point ? Il plonge, tête la première, dans de l’eau bouillante. S’il
n’a pas d’eau bouillante sous la coquille, il dépérit.
Parfois, l’œuf, en souvenir de sa mère la poule, décide de vivre et
mourir en coque. Son calvaire dure trois minutes et douze secondes, après
ébullition. Le temps que met l’eau à bouillir, la température de l’eau au
départ, le volume d’eau, la circonférence de la casserole, la taille et le
poids de l’œuf : bizarrement, tous ces paramètres importent peu – c’est
trois minutes et douze secondes après ébullition. En revanche, quand les trois
minutes sont écoulées, l’œuf, qui sent que son heure approche, continue de s’endurcir
– voilà pourquoi il vous reste genre douze secondes pour le bouffer à votre
convenance.
Mais l’animal œuf préfère décéder dur. Pour cela, il s’octroie dix
minutes après ébullition. Pourquoi dix minutes ? C’est très simple. Mettez
n’importe quoi de vivant pendant dix minutes dans de l’eau bouillante et faites-moi
signe s’il bouge encore. Sachez-le : dans la vie, dix minutes, quelle que
soit la situation, c’est déjà pas mal, toutes les études le prouvent et l’œuf
le confirme.
Il y aurait eu, autrefois, une espèce d’œuf dit « œuf au
plat » (ou « œuf à plat »), mais on a dû mal à imaginer cet
animal ovale sous la forme approximative d’une amibe.
Certains explorateurs ont signalé avoir rencontré des œufs mollet. Laissez-moi
rire. L’œuf mollet est un mythe culinaire. L’œuf mollet n’est ni plus ni moins
qu’un un œuf dur raté ou un œuf à la coque raté. Rien que le mot de
« mollet » devrait vous faire tiquer : c’est le mot
« mou » mais hyper mal déguisé.
Il arrive également que l’œuf, qui vit en meutes, s’adonne au carnage.
On appelle ces sombres batailles des omelettes. Comment se
déroulent-elles ? Les
œufs se rassemblent dans une cuvette, ils s’écharpent, se battent, se
fouettent, ce n’est pas joli à voir, le jaune coule, il y a des cris. Vous
pouvez vous-même recréer en jatte ces terribles affrontements. Mais rajoutez
d’autres ingrédients, parce qu’une omelette aux œufs et rien qu’aux œufs, c’est
très primitif et pas franchement goûtu. C’est comme si vous faisiez un gâteau juste
à la farine.
Des scientifiques peu scrupuleux ont tenté de créer en laboratoire une
espèce d’œuf monstrueuse, qu’ils ont appelé « l’œuf en gelée ». On
vous déconseille cette aberration. D’ailleurs, ma femme n’aime pas les œufs en
gelée, donc je n’ai aucun scrupule à m’en faire le détracteur inlassable. Un
œuf en gelée. ? Et une couille de gnou confite dans de la marmelade, ça
vous dit ? On croit rêver.
Mais j’allais oublier le plus important. L’œuf, comme la plupart des
animaux à l’exception de la burrata, doit sa survie à l'esprit de meute. La meute d’œufs
se compose de six, parfois douze éléments et vit dans des grottes alvéolées. Enfin,
pour ne citer qu’un seul aspect du folklore des œufs, citons, Pâques, une
époque pendant laquelle les œufs se la jouent Woodstock et se peinturlurent
comme des hippies.
Sachez en outre qu’un œuf, étant doté d’une racine carrée, peut se
diviser en trois, et que s’il était plus petit, cubique et orné de points
noirs, il serait comparable à cette bête étrange dont je vous parlerai
peut-être un jour : le dé.
Parfois aussi, l'oeuf se met en poche, avec de l'eau vinaigrée frémissante, mais cette pratique a presque complètement disparu, de nos jours les poches ne sont plus étanches, il devient de plus en plus difficile d'y faire frémir de l'eau...
RépondreSupprimerC'est drôle, mais juste un peu trop.
RépondreSupprimerEt le parti pris de l’œuf de cent ans ?
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