Dans Le Ministère de la peur, tout est double – les événements, les personnages, le temps, l’espace, le rêve… Arthur Rowe devient Digby à la suite d’une amnésie. Anna Hilfe est comme une autre femme à ses yeux après son amnésie. Willi et Johns aident tous les deux Rowe mais en jouant en double jeu. Le détective Rennit trouve une contrepartie dans l’inspecteur Prentice. L’amnésie de Rowe opère une coupe sombre entre passé et présent. Le fameux gâteau a deux poids différents. Le livre Le Petit Duc est à la fois dans le roman et en exergue. Par deux fois une bombe explose près de Rowe. Rowe est interné deux fois dans un asile psychiatrique. Rowe se pense coupable deux fois d’un meurtre. La maison de santé possède deux ailes distinctes. Rowe confond les deux Mme Wilcox (la mère et l’épouse). Plusieurs personnages existent sous deux identités différentes.
On pourrait multiplier à loisirs les exemples de gémellité tout au fil du texte. Cette omniprésence du « double » renforce la dimension onirique du roman de Greene, son ampleur cauchemardesque. C’est le côté « éternel retour » du Ministère de la Peur. Tout revient une seconde fois afin d’éprouver le rapport au réel du héros. Le fait qu’il y ait amnésie autorise cette duplication systématique – l’amnésie devenant ainsi un moteur romanesque implacable : puisque tout est oublié, tout peut recommencer. L’amnésie devient également l’équivalent mental d’une opération légale (l’amnistie : Rowe retrouve la liberté) et d’une opération religieuse (l’absolution : Rowe n’est pas coupable). Bien sûr, l’oubli ici est pallié par le rêve, dernier garant trouble de la mémoire), en un jeu oscillant qui relance la donne de la psychanalyse.
Rappelons enfin que Greene, pendant un temps, opéra une distinction entre ses romans « divertissants » et ses romans « sérieux ».
Pour le grand bipolaire et l’atypique espion qu’était Graham Greene, ces effets de miroir ne pouvaient qu’aboutir à une fascinante esthétique du « voir double ».
"l’oubli ici est pallié par le rêve"
RépondreSupprimerPallier est un verbe transitif qui ne supporte pas la préposition. En l'occurrence, vous pouvez remplacer par "compenser".