vendredi 25 avril 2025

RETRADUIRE GRAHAM GREENE / ÉPISODE 13

 


• ÉPISODE 13 – UNDERGROUND REQUIEM

Dans Le Ministère de la peur, le rêve est une seconde vie. Outre les ambiances oniriques – la kermesse au début du livre, les descriptions de Londres pendant le Blitz – et l’importance de la nuit et de l’obscurité (le black-out opérant comme une nuit redoublée, voire transfigurée), Greene se livre souvent à des digressions sur l’importance du rêve.

A la fin du premier chapitre, quand une bombe tombe sur l’immeuble où se trouve Rowe, il est dit qu’une explosion est une « chose étrange. Elle peut avoir le même effet qu’un rêve gênant dans lequel un homme se venge furieusement d’un autre homme, vous laissant tout nu en pleine rue ou vous surprenant dans votre lit ou sur le siège des toilettes face aux regards des voisins. » Plus loin : « Dans un rêve, on ne peut pas s’enfuir ; les pieds sont comme plombés ; impossible de s’éloigner de la porte menaçante qui s’entrouvre imperceptiblement. » Quant au chapitre 5, intitulé « Entre éveil et sommeil » – un des plus troublants et des plus atypiques du livre – il propose une plongée radicale dans l’inconscient, l'écriture se disloquant pour mieux témoigner du tissu déchiré dont sont faits les rêves. A un autre moment, évoquant le temps béni de l’adolescence, Greene écrit : « On pouvait se moquer des rêves, mais tant qu’on avait la capacité de rêver éveillé, on avait une chance de pouvoir acquérir les qualités dont on rêvait. » Enfin, il est conseillé également à un moment à Rowe d’aller « underground » – et ici Greene joue avec les deux sens du mot : à la fois les abris où se protéger des raids aériens, et des sortes de limbes où errer sans fin.

Dans un épisode précédent, j’ai dit qu’il y avait quelque chose de profondément « nervalien » dans ce roman. Mais plutôt que Nerval, référence un peu trop française pour Greene qui pourtant est un grand lecteur d’auteurs français, c’est du côté de George William Russel qu’il faudrait aller fouiner : ce poète (et peintre) irlandais (et mystique) qui signait ses textes AE (ou Æ, ou A.E.) et, fort de ses nombreuses visions, avait décrété qu’une conscience supérieure transcendant veille et sommeil était responsable de la création des rêves. Un poème de Russel en particulier – Germinal – joue un rôle subliminal dans un autre roman de Greene, La puissance et la Gloire.

En fait, chez Greene, le rêve et l’enfance forment une étrange coalition. L’enfance, une fois perdue, laisse l’homme dans un état second, où il n’a de cesse de se demander s’il rêve la réalité ou si la réalité le rêve – et souvent ledit rêve tourne au cauchemar dès qu’il se confond avec la réalité.

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