dimanche 20 avril 2025

RETRADUIRE GRAHAM GREENE / ÉPISODE 8


• ÉPISODE 8 – LE PAYS DES LIMBES 

Le tour de force de Graham Greene consiste sans doute à faire passer pour un roman d’espionnage un récit éminemment somnambulique. Le personnage principal, Arthur Rowe, semble évoluer dans des limbes de plus en plus denses, du fait de son statut « amphibie » : il a tué sa femme mais n’est pas considéré par la société comme un véritable assassin. On l’accuse ensuite d’un meurtre qu’il n’a pas commis, un meurtre dont on apprendra plus loin qu’il n’est qu’une mise en scène – la prétendue victime est bel et bien en vie (mais cette dernière mettra fin à ses jours elle-même à la fin du livre).

Rowe est donc l’homme des interzones : après un bref intervalle en prison, il erre dans un Londres dévasté par le Blitz, avant de devoir vivre « underworld » – à la fois dans des abris antiaériens et dans une forme de clandestinité. Enfin, à la suite d’un bombardement, il perd la mémoire et se retrouve dans une maison de santé sous une autre identité – il était Rowe, le voilà Digby. Sa vie, comme l’Histoire pour Stephen Dedalus, est un cauchemar dont il n’arrive pas à se réveiller. Il passe d’un endroit confiné à un autre pendant tout le roman : une prison où il n’a pas sa place, une chambre qui va être détruite, un abri où il fait des cauchemars, une pièce où a lieu une séance de spiritisme, la chambre d’un hôtel labyrinthique où il est acculé, une étrange maison de santé où il est retenu…

Si la guerre a changé le monde en limbes, alors ses habitants sont des morts-vivants condamnés à errer dans un dédale de faux-semblants. Être coupable est terrible, mais ne pas savoir si on l’est est pire encore. Or pour Greene, le seul fait de quitter l’enfance, et donc l’état d’innocence, nous enferme dans la possibilité de la faute. On verra que tout au long du roman, le presque-assassin qu’est Rowe va « causer » des morts… et causer avec les morts.

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