En filigrane du Ministère de la peur se cachent certains éléments de la vie de Greene, preuve s’il en est que ce soi-disant roman d’espionnage est avant tout une façon discrète pour lui de laisser infuser rêves et souvenirs dans le récit. Quelques exemples : quand Rowe, devenu amnésique, se demande quel métier il a bien pu exercer avant de perdre la mémoire, une de ses premières hypothèses est : explorateur. Et dans la troisième partie, il est dit ceci : « Il n’était pas important, il n’était pas devenu un explorateur » (une phrase qui dans la traduction de Sibon devient hélas : « Il ne comptait pas, il était loin d’être une célébrité. »). Le fait est que Greene, quand il était enfant, avait eu l’occasion de rencontrer sir Ernest Shackelton et rêvait de participer à une exploration dans l’Antarctique. Il avait même écrit à un autre explorateur, William Speirs Bruce, pour lui signaler quelques erreurs dans son ouvrage Exploration polaire…
On trouve également dans le roman une porte particulière, celle qui garde l’entrée à l’infirmerie où sont internés les patients dits violents : « the green baize door ». Une porte capitonnée d’un tissu vert servant à insonoriser la pièce au-delà. En d’autres termes, une porte recélant un mystère, un danger, un interdit. Ce type de porte, Graham Greene ne la connaissait que trop : elle séparait le bureau de son père de l’école où celui-ci officiait comme directeur, et était comme une frontière entre deux mondes, deux sphères, celle de l’intime et de l’école — « The school began just beyond my father’s study », écrit Greene dans son autobiographie intitulée A sort of life, « through a green blaize door ».. L’école commençait juste derrière le bureau de mon père. A la fois concrète et symbolique, elle marquait pour Greene le passage d’un monde où il était relativement à l’aise à un autre monde, hostile celui-ci et dont il chercha vite et par tous les moyens à s’extraire.
Rowe, par deux fois interné dans un hôpital psychiatrique, est évidemment inspiré de la vie même de Greene, lequel était par ailleurs bipolaire et sujet aux dépressions à répétition – à seize ans, l’auteur du Ministère de la peur fut traité pendant six mois par un psychanalyste du nom de Kenneth Richmond. Il se trouve par ailleurs que ce dernier était spirite, or Greene s’intéressa à plusieurs reprises au spiritisme (cf. l’importance de la séance de spiritisme chez Mrs Bellairs au début du récit). Comme de bien entendu, le Dr Forester, le psychiatre du roman, s’intéresse lui aussi au spiritisme…
On signalera également la description que fait Greene des effets du Blitz à Londres, opérant des coupes sombres dans la ville – les « untidy gaps between the Bloomsbury houses » sont à rapprocher de ce que Greene dit à Anthony Powell dans une lettre adressée à ce dernier : « Londres est incroyablement agréable ces jours-ci avec tous ces nouveaux espaces à découvert (all the new open spaces) ». Ajoutons à cela la propre demeure de Greene (la Clapham Common House), détruite par une bombe comme celle de son héros – Greene dormait (fort heureusement) chez sa maîtresse la nuit où elle fut détruite…
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