samedi 19 avril 2025

RETRADUIRE GRAHAM GREENE / ÉPISODE 7


ÉPISODE 7 – UN DUC SINON RIEN

On l’a dit précédemment, le héros du roman achète au premier chapitre un livre qui va fournir au roman ses exergues – chose qui ne doit pas être très courante en littérature, il faudrait faire des recherches sur cet étrange phénomène… Ce livre c’est Le Petit Duc, de Charlotte Yonge, qui narre les péripéties d’un enfant de huit ans, Richard, devenu duc de Normandie en 950, et qui va faire l’objet d’un terrible complot orchestré par le roi de France, lequel l’enlève. Comme Rowe, donc, retombé en enfance mémorielle du fait de son amnésie, Richard est l’enjeu de forces qui le dépassent. A l’instar du Ministère de la Peur, Le Petit Duc comporte 13 chapitres… Le premier chapitre du Petit Duc s’intitule « Une visite de bienvenue » – celui du Ministère de la Peur montre Rowe se rendant à une kermesse où on l’accueille. Le deuxième chapitre s’appelle « Une mort prématurée », et dans le deuxième chapitre du Ministère Rowe révèle qu’il a tué sa femme pour abréger ses souffrances. Il faut attendre le chapitre 7 pour que Greene revienne sur l’importance des livres de l’enfance, et affirme qu’aucun livre ne nous satisfait autant que ceux lus quand on est petit. Le bien et le mal y semblent des valeurs tangibles, le héros nous inspire par son courage, etc. 

Puis l’on quitte l’enfance et toutes les valeurs sont brouillées : « Le petit duc est mort, trahi et oublié ; nous ne reconnaissons plus les méchants et nous soupçonnons le héros, et le monde est devenu un lieu exigu. » Dans son récit autobiographique, Une sorte de vie, paru en 1971, Greene raconte que quand il était enfant, le livre qui l’intéressait le plus était… Le Petit Duc, et d’ajouter : « Le souvenir de ce livre m’est revenu alors que j’écrivais Le Ministère de la peur, et quand j’ai corrigé ce roman après la guerre, j’y ai inséré des exergues empruntés au Petit Duc. »

Rappelons que le héros du livre, outre un livre et un gâteau, consulte une « voyante » lors de son bref séjour dans ce paradis perdu qu’est censée représenter la kermesse, une voyante qui veut lui « dire le passé» plutôt que de lui prédire l’avenir… Dans The Lost Childhood and other essays, publié en 1951, donc peu après Le Ministère de la Peur, Greene écrit ces propos révélateurs : « Dans l’enfance, tous les livres sont des livres de divination, qui nous parle de l’avenir, et, comme la diseuse de bonne aventure qui voit un long voyage dans les cartes ou une noyade, ils influencent l’avenir. »

Nous sommes tous des petits ducs prisonniers du monde adulte…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire