Les traductions vieillissent pour des tas de raisons et, parmi ces dernières, figure celle des expressions, lesquelles ont tendance à prendre des rides avec le temps. Si l’on traduit « he felt a slight resentment » – comme le fait Marcelle Sibon – par « il gardait une dent contre », il y a fort à parier que cette dent proverbiale sera un jour cariée. Et si vous traduisez « to recover » par « se retremper les nerfs », il y a des chances pour que cette trempette nerveuse se dissipe dans l’éther du temps…
Mais comment savoir, au moment de traduire, que « se retremper les nerfs » fait partie des expressions dont va se repaître la désuétude ? Comment le traducteur peut-il deviner que même le mot « obsolète » sera un jour obsolète ? On touche également là à l’épineux problème de la traduction différée, c’est-à-dire de la traduction d’un texte ayant pas mal d’années au compteur. Doit-on coller au langage de l’époque ? peut-on moderniser sans risque ?
Il va de soi qu’une traduction actuelle de Don Quichotte (celle d’Aline Schulman, par exemple) n’a rien à voir avec celle parue peu après la publication originale du roman de Cervantès (celle de César Oudin, par exemple), qui pourtant, selon toute logique, devrait être plus fidèle quant à « l’âge » de la langue utilisée (si tant est qu’on puisse postuler une similitude entre deux langues au même moment historique donné). Mais on ne peut pas traduire « à l’ancienne », ce qui reviendrait à parodier un état de langue particulier. Et que signifierait, pour un traducteur, traduire en veillant à ce que sa langue ne vieillisse pas trop vite, et ce tout en respectant les marqueurs contemporains du texte qu’il traduit ?
De toutes façons, même s’il est vigilant sur ces nombreux points, les lecteurs, eux, vieilliront, d’autres viendront, plus jeunes un certain temps – bref, le tourbillon de la vie non seulement veillera au grain mais le moudra sans complexe – sur ce, je vous laisse conjuguer au subjonctif imparfait le verbe « moudre », à la deuxième personne du pluriel. Bonne chance.
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