mercredi 16 avril 2025

Retraduire Graham Greene : Épisode 4


• ÉPISODE 4 – À LA RECHERCHE DE LA KERMESSE PERDUE 

 Le Ministère de la peur passe souvent pour un roman d’espionnage. Londres pendant le Blitz, un microfilm dérobé, une enquête, des filatures, une fuite, des quiproquos, des meurtres : tous les éléments semblent en place pour que les codes du genre s’accordent en une constellation connue. Et pourtant, rien ne va de soi dans ce roman si étrange qu’il pourrait être le récit tourmenté d’un long rêve nervalien. La scène d’ouverture, d’emblée, impose sa matrice onirique : dans la nuit londonienne, un homme s’avance, irrésistiblement attiré par les lumières et les bruits d’une kermesse, une kermesse qui à ses yeux incarne l’adolescence, mais plus encore l’enfance: "Arthur Rowe stepped joyfully back into adolescence, into childhood", nous dit Greene. “To step back into childhood”: un retour (physique) en enfance, un pas en avant qui vaut pour mille foulées en arrière.

Le Ministère de la peur, on va le voir, est un roman profondément atypique malgré ses apparences rocambolesques, et surtout éminemment piégé. Piégé ? Oui, car ce roman ne raconte pas – pas seulement – l’histoire d’un homme traqué par de méchants sympathisants nazis, mais bien celle d’un homme qui, ayant commis un péché mortel – il a tué sa femme pour l’empêcher de souffrir –, n’a plus qu’une seule solution : repartir de zéro. Rowe est coupable à ses propres yeux, même si son crime revêt une indéniable dimension compassionnelle. Le péché, chez Greene, est souvent la condition sine qua non d’une réévaluation de la vie. Suis-je coupable de toute éternité, et si oui, puis-je renverser le cours de cette éternité ? La rédemption, voilà la grande affaire : un travail impossible mais nécessaire. Le mal absolu n’existe pas : il est un miroitement qui aveugle l’autre. Et l’innocence ? Existe-t-elle vraiment. C’est ce qu’on va voir (ou plutôt : lire).

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