Nous évoquions l'autre jour la pénible ruse d'un éditeur retournant une phrase de Chevillard pour en orner la quatrième de couverture d'un livre… descendu par Chevillard. Il existe heureusement d'autres exemples plus réjouissants (et plus malins) de DCAFB ("détournement critique à fin publicitaire").
Prenez le tout jeune éditeur américain, Two Line Press, qui publie ce mois-ci aux Etats-Unis, dans une traduction de Charlotte Mandell et avec le soutien des Programmes d’aide à la publication de l’Institut Français, quatre novellas de Jonathan Littell en un seul volume, sous le titre The Fata Morgana Books. Drôle de titre, certes, puisqu'il regroupe des courts textes de Littell parus chez l'éditeur français Fata Morgana. Mais le contenu onirique et sexuel desdits textes s'accommode toutefois assez bien de ce titre.
Comment lancer un tel ouvrage aux Etats-Unis quand on est une petite (et récente) maison d'éditions et surtout quand on sait que la presse américaine a été d'une dureté et d'une violence phénoménales avec le précédent ouvrage de Littell paru là-bas, Les Bienveillantes?
Scott Esposito, le responsable marketing de Two Line Press, a eu l'idée de faire fabriquer des cartes postales (cf. illustration) comportant les éreintements de la critique américaine lors de la parution des Bienveillantes. L'ensemble est présenté ainsi: "Quelques critiques on trouvé répugnant le premier livre de Jonathan Littell…" Suivent alors des extraits de presse pour le moins révélateurs:
"compilation d'atrocités et de remarques antisémites"… "du porno morbide"… "le livre le plus répugnant que j'aie jamais lu"… "A la fin le lecteur a envie de vomir"…
Ces extraits de presse s'achèvent par l'accroche suivante:
"Wait till you see what he's done in his second book…"
"Attendez de voir ce qu'il a fait dans son deuxième livre…" Pour Scott Esposito, il y a certes le risque de voir la campagne "masquer" le livre, mais c'est aussi une façon de rappeler que la littérature ne laisse pas indifférent:
"Nous faisons ce métier parce les livres sont pour nous une source d'étonnement et de fascination. Cette campagne est donc en partie une façon de réinjecter un peu de ce 'fun' dans le discours."
La fin justifie-t-elle les moyens? Autant se demander si les ventes justifient la publicité… Quoi qu'il en soit, Two Line Press a imprimé ces citations sur des cartes postales, non en quatrième de couverture du livre. Le marketing reste ainsi cantonné à son espace privilégié: l'accompagnement distinct. Alors? Cynisme opportuniste ou pied-de-nez aux critiques? Jamais la critique, quand bien même lancé dans des circonstances contingentes, du fond d'un naufrage, n'abolira les beaux-arts…
J'ai toujours trouvé ça abominable cette habitude anglo-saxonne de faire figurer des extraits de coupure de presse sur la couverture du livre ! Une petite carte marketing glissée à l'intérieur, c'est mieux !
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